Frédéric Burnand
Depuis  l’affrontement sanglant entre Israël et le Liban du 3 août dernier, la  région a retrouvé un calme relatif. Mais pour Berne, l’ouverture de  discussions et de négociations entre tous les protagonistes du  Moyen-Orient demeure prioritaire.
Même modeste, l’implication  de la diplomatie suisse au Moyen-Orient n’en est pas moins régulièrement  critiquée en Suisse même. En résumé, elle serait biaisée car trop  hostile à Israël et trop complaisante à l’égard d’acteurs comme les  islamistes du Hamas palestinien ou du Hezbollah libanais.
Interpellé par swissinfo.ch suite à l’accrochage  meurtrier du 3 août dernier entre l’armée libanaise et celle d’Israël,  le ministère suisse des affaires étrangère (DFAE) a répondu par écrit à  nos questions.
« La Suisse est parfaitement consciente des énormes  difficultés politiques qu’il faudra vaincre pour réaliser une paix juste  et durable dans cette région, rappelle en premier lieu le DFAE. La  Suisse n’a pas vocation à jouer les premiers rôles dans cette  entreprise, mais il est de son devoir d’utiliser les instruments  traditionnels de sa politique extérieure pour faire avancer la cause de  la paix. En effet, le conflit du Proche-Orient a aussi des conséquences  politiques, économiques et sociales sur notre pays. »
Les dangers du statu quo
Paru la semaine dernière, un rapport de l’International  Crisis Group – ICG, un « think tank » basé à Bruxelles centré sur la  prévention et la résolution des conflits armés – apporte de l’eau au  moulin de la diplomatie suisse. Et ce, en montrant en premier lieu les  menaces grandissantes que fait peser l’apparent statu quo dans la  région.
« Depuis 2006, les règles du jeu ont évolué. Tant Israël  que le Hezbollah – les principales parties au conflit – ont procédé à  un renforcement de leurs capacités militaires », précise à swissinfo.ch  l’une des rédactrices du rapport.
Analyste au Liban pour l’ICG, Sahar Atrache poursuit :  « Pour ces deux parties, c’était le seul moyen de dissuader leur  adversaire. Ce que montre notre rapport, c’est que cette logique de  dissuasion est en elle-même source potentielle de conflit. L’équilibre  des forces ainsi créé peut à tout moment tomber parce qu’une des deux  parties pourrait penser pouvoir briser à son avantage cet équilibre. »
Une analyse confirmée par les récents incidents dans la  région. Et ce même si depuis lors les différents protagonistes de ces  affrontements ont affiché des positions plutôt apaisantes.
Techniquement en guerre
De fait, ces propos ne changent pas la situation sur le  terrain. Israël et le Liban sont d’ailleurs toujours techniquement en  guerre, séparés par une ligne de démarcation et non une frontière  internationalement reconnue.
De plus, depuis la guerre de 2006 entre Israël et le  Hezbollah, les jeux d’alliance se sont complexifiés. « Aujourd’hui, nous  avons affaire à une logique régionale du conflit entre Israël et le  Hezbollah. Le mouvement chiite n’est plus seul, mais inséré dans une  alliance stratégique très forte avec le Hamas palestinien, la Syrie et  l’Iran », souligne Sahar Atrache.
Selon la chercheuse libanaise et le rapport de l’ICG, un  conflit armé entre Israël et le Liban présente donc un vrai risque de  propagation dans toute la région. Pour mémoire, la dernière guerre  impliquant l’armée israélienne et celle des autres pays de la région  remonte à 1973 (guerre du Kippour) .
« Les adversaires des Etats-Unis se sentent aujourd’hui  en position de force avec cette alliance qui leur donne des leviers  supplémentaires », relève Sahar Atrache.
Les retombées de l’ « axe du mal »
C’est donc toute une approche diplomatique développée en  particulier par les Etats-Unis sous la présidence de Georges W. Bush  qui se trouve ainsi remise en cause.
« Notre rapport montre que la politique menée par les  Etats-Unis et les Occidentaux en général a produit des effets inverses à  ceux recherchés. Ils ont en fait renforcé leurs adversaires », précise  Sahar Atrache.
Et la chercheuse d’enfoncer le clou : « Cette approche  suivie ces dernières années par les Occidentaux ne contribue pas à une  solution puisqu’ils ne s’engagent pas avec des parties qui sont  directement concernées. Ne pas parler au Hamas, au Hezbollah ou à la  Syrie, c’est ignorer les vrais acteurs de ce qui est perçu comme des  problèmes en Occident. C’est une politique contre-productive. »
Or depuis des années également la diplomatie suisse  défend justement une approche inclusive, en prônant par exemple de  dialoguer avec le Hamas ou le Hezbollah. Même s’il reste à vérifier sur  le terrain la portée de cette diplomatie helvétique de paix.
Approche inclusive
En octobre 2008, Micheline Calmy-Rey, ministre suisse  des affaires étrangères, avait d’ailleurs défendu publiquement cette  approche dans un discours un rien provocateur intitulé « Le dialogue,  arme anti-conflit ». Ce qui lui avait valu une volée de bois vert.
Or aujourd’hui, les faits semblent bien donner raison à  l’approche défendue par la ministre suisse. Dans son célèbre discours du  Caire, Barack Obama, l’actuel président des Etats-Unis – un acteur  central au Moyen-Orient – avait d’ailleurs tenu à rompre avec la  politique de son prédécesseur en tendant la main au monde musulman et à  certain de ses acteurs jugés jusque là peu fréquentables. Et ce même si  la mise en œuvre de cette approche s’avère des plus complexe, comme le  montre par exemple la situation en Afghanistan.
Vu du Liban, cette nouvelle diplomatie est néanmoins une  urgence. « Nous sommes convaincu que les problèmes sont tellement  interconnectés comme le montre les alliances (citées plus haut, ndlr),  que la résolution des problèmes au Liban ne peut se faire qu’en abordant  la solution entre la Syrie et Israël, toute la question palestinienne,  sans oublier le dossier nucléaire iranien, le fond même du problème »,  plaide Sahar Atrache.
12 août 10 - Genève
Frédéric Burnand/swissinfo.ch  relayé par Infosud