entretien avec Hasan Abou-Libdeh
Le ministre palestinien de l’Economie Hasan  Abou-Libdeh s’exprime au Soir, à Baudouin Loos. L’Autorité  palestinienne s’en prend aux colonies juives dans les territoires  occupés et promeut un boycott par la population palestinienne.
Et si l’on parlait un peu  d’économie dans le dossier palestinien ? L’Autorité palestinienne (AP),  actuellement basée à Ramallah, en Cisjordanie occupée, tente depuis des  années de faire décoller l’économie locale en butte à une série  importante de difficultés. Le ministre palestinien de l’Economie Hasan  Abou-Libdeh était à Bruxelles ce jeudi pour rencontrer plusieurs  commissaires européens.
La rencontre avec le Belge Karel De Gucht aura été  profitable, puisque ce dernier a annoncé que la Commission européenne  devrait proposer dans les prochains mois aux pays de l’UE d’accorder  l’accès en franchise de droit et sans contingent aux exportations  palestiniennes à destination de l’UE.
Nous avons rencontré le ministre palestinien avant ce  rendez-vous.
Entretien.
Pouvez-vous expliquer pourquoi vous avez  récemment lancé une campagne pour dissocier les Palestiniens de  l’économie des colonies juives ?
Je rappelle pour commencer que ces colonies israéliennes  sont illégales au regard du droit international, ce qu’admet sans  réticences la communauté internationale. Quand la Feuille de route (plan  international de 2003 intégré ensuite dans une résolution du Conseil de  sécurité de l’ONU, NDLR) exige une cessation des activités des  colonies, cela ne vise pas seulement la construction de logement, mais  aussi l’activité économique. L’Autorité palestinienne voit ces colonies  comme des entités illégales mais aussi hostiles car elles menacent nos  futures relations avec Israël comme Etat indépendant. Nous voulons  supprimer les dividendes économiques que produisent ces colonies en  coupant nos relations économiques avec elles, nous en espérons que les  colons en tireront une raison pour s’en aller.
La campagne s’adresse à qui ?
Aux consommateurs et travailleurs palestiniens. Nous  visons à réussir à couper entièrement ces liens pour la fin de l’année.  La campagne est bien dirigée contre les colonies, il n’y a aucune  intention anti-israélienne même si le protocole économique dit de Paris  (signé en 1995 entre Israël et l’AP) ne nous est pas très favorable. Le  résultat de ce protocole et de l’attitude israélienne qui nous ferme la  plupart de ses marchés fait que nous importons pour 3 milliards de  dollars de biens israéliens tandis que nous ne leur exportons que pour  400 millions de dollars.
Vous rendez illégal pour les ouvriers  palestiniens le fait d’aller travailler dans les colonies ; or 25.000  d’entre eux y gagnent leur vie et disent que c’est cela ou le chômage  non rémunéré. Comment allez-vous gérer ce problème ?
Cela concerne 22.000 personnes, en majorité des ouvriers  du bâtiment ou des travailleurs agricoles. Nous avons la ferme  intention de les intégrer dans l’économie palestinienne dans les  prochains mois. Nous avons par exemple prévu une enveloppe de 50  millions de dollars pour un programme d’absorption. N’oublions pas que,  avant la seconde intifada (2000), il y avait 149.000 ouvriers  palestiniens qui allaient travailler en Israël chaque jour, ce qui n’est  plus le cas. Heureusement, notre économie, du moins en Cisjordanie  (Gaza échappe au contrôle de l’AP, NDLR), connaît une bonne croissance –  7 % l’année dernière – et nous avons l’ambition d’augmenter ce chiffre,  notamment en lançant une autre campagne, pour convaincre notre  population d’acheter palestinien : pour le moment, seuls 18 % des  produits que nous consommons sont palestiniens, nous pouvons arriver à  40 % en trois ans car nos produits sont de bonne qualité.
Comment Israël réagit-il à votre  campagne contre les colonies ?
Un débat franc s’est ouvert dans les médias, mais les  autorités, elles, ont réagi avec fureur parlant notamment d’incitation à  la haine, ce qui est injustifié puisque nous ne transgressons aucun  accord signé et que la campagne est résolument non violente. On entend  aussi des menaces de rétorsions économiques. En revanche, nous n’avons  pas reçu la moindre critique émanant de la communauté internationale. Ce  n’est pas un complot : il suffit de comprendre que nous estimons qu’il  est temps de faire cesser la contribution palestinienne à la prospérité  des colonies juives, cela en accord avec le droit international qui  considère ces colonies comme illicites.
Quel pourcentage de la production des  colonies est acheté par la population palestinienne ?
Quelque 20 %. Mais cela ne tient pas compte de la  main-d’œuvre palestinienne bon marché qui y travaille. Notre campagne  est clairement destinée à rendre cette économie spécifique moins  compétitive. Or nous partons avec désavantages : les colonies contrôlent  40 % des ressources naturelles comme les sources aquifères ou les  terres agricoles de la Cisjordanie occupée.
Mais vous parliez d’une croissance de  7 %, cela ne va-t-il pas dans le sens de « la paix économique d’abord »  préconisée par le Premier ministre israélien Binyamin Netanyahou ?
Il y a trois jours, j’ai eu l’occasion d’évoquer cette  question lors d’un débat public à l’Université de Tel-Aviv. J’ai pu y  développer l’idée que cette soi-disant « paix économique » était un gros  mensonge. La croissance n’est pas due à Israël. Elle est accomplie par  notre dynamisme et avec l’aide internationale malgré toutes les mesures  israéliennes qui freinent et handicapent notre économie, même si  quelques mesures ont un tantinet assoupli la situation (comme la  suppression de quelques check-points). Je discutais récemment à Tokyo  avec un homme d’affaires japonais ; il m’a raconté avoir importé dans le  même avion deux cargaisons semblables de bières, l’une venant d’Israël,  l’autre des territoires palestiniens. Cette dernière lui a coûté 40 %  plus cher, m’a-t-il dit, en raison des mesures de restriction (par  exemple, le fait de devoir changer de camions en entrant en Israël, les  routes fermées ou le manque d’accès externe). Nous disposons d’un grand  potentiel de développement : par exemple, notre 1,5 million actuel de  touristes peut facilement tripler – et même, à plus long terme, passer à  40 millions avec les Lieux saints à Jérusalem et à Bethléem – mais  Israël contrôle et restreint ce développement.
publié par le Soir