Noam Chomsky
La Flottille de la Liberté défiait la  politique israélienne qui consiste à saboter toute solution au conflit  arabo-israélien basée sur des décisions et accords internationaux et  devait donc être écrasée.
L’attaque violente d’Israël  contre la Flotille qui transportait de l’aide humanitaire à Gaza a  choqué le monde entier.
Le détournement de navires dans les eaux internationales  et l’assassinat de passagers constituent, bien sûr, un crime.
Mais le crime n’a rien de nouveau. Depuis des décennies,  Israël détourne des bateaux entre Chypre et le Liban et tue ou enlève  des passagers, et parfois les retient en otage dans des prisons  israéliennes.
Israël présume qu’il peut commettre impunément de tels  crimes parce que les Etats-Unis les tolèrent et que l’Europe en général  leur emboite le pas.
Comme l’a fait remarquer le quotidien (britannique) The  Guardian du 1er juin (2010), « Si un groupe armé de pirates somaliens  avait accosté hier six navires en pleine mer, tuant au moins 10  passagers et en blessant beaucoup plus, une force d’intervention de  l’OTAN se dirigerait dés aujourd’hui vers les côtes de la Somalie. »  Dans ce cas, le traité de l’OTAN oblige ses membres à porter secours à  un pays membre – la Turquie – attaqué en pleine mer.
Le prétexte avancé par Israël était que la Flottille  transportait du matériel que le Hamas pouvait employer pour construire  des bunkers pour tirer des roquettes sur Israël.
Ce prétexte n’est pas crédible. Israël peut facilement  faire cesser la menace des roquettes par des moyens pacifiques.
Le contexte est important. Hamas a été désigné comme une  menace terroriste importante lorsqu’il a remporté les élections libres  en janvier 2006. Les Etats-Unis et Israël ont sévèrement renforcé leurs  mesures punitives contre les Palestiniens, cette fois-ci pour avoir  commis le crime de mal voter.
Le résultat fut le siège de Gaza, qui comprend un blocus  naval. Le siège fut nettement durci en juin 2007 après une guerre  civile qui a vu le Hamas prendre le contrôle du territoire.
Ce qui est communément décrit comme un coup d’état  militaire du Hamas fut en réalité provoqué par les Etats-Unis et Israël  qui ont ouvertement tenté d’inverser le résultat des élections  remportées par le Hamas.
Ceci est connu depuis au moins le mois d’avril 2008,  lorsque David Rose a révélé dans (le magazine) Vanity Fair que George W.  Bush, le Conseiller en Sécurité Nationale Condoleeza Rice et son  adjoint, Elliot Abrams (*), « ont soutenu une force armée sous les  ordres de l’homme fort du Fatah Muhammad Dahlan, déclenchant ainsi une  guerre civile sanglante à Gaza d’où le Hamas est sorti renforcé. »
Le terrorisme du Hamas comprenait des tirs de roquettes  sur les villages israéliens avoisinants – un acte criminel sans aucun  doute, mais un acte qui ne représente qu’une infime fraction des crimes  couramment commis par les Etats-Unis et Israël à Gaza.
Au mois de juin 2008, Israël et le Hamas ont conclu un  cessez-le-feu. Le gouvernement israélien a formellement reconnu que le  Hamas n’a plus tiré une seule roquette avant qu’Israël ne viole le  cessez-le-feu le 4 novembre de la même année pour envahir Gaza et tuer  une demi-douzaine de militants du Hamas.
Le Hamas a offert un nouveau cessez-le-feu. Le  gouvernement israélien a examiné l’offre et l’a rejeté, préférant lancer  une invasion meurtrière sur Gaza, le 27 décembre.
Comme pour tous les autres états, Israël a le droit de  se défendre. Mais Israël avait-il le droit d’employer la force dans Gaza  au nom de son autodéfense ? Le Droit International, dont la Charte des  Nations Unies, ne laisse aucun doute : un état a ce droit uniquement  lorsqu’il a épuisé tous les moyens pacifiques. Dans ce cas précis, les  moyens pacifiques n’ont même pas été tentés, malgré – ou peut-être à  cause de – les bonnes chances d’aboutir.
Ainsi, l’invasion fut littéralement un acte d’agression  criminel, et il en est de même pour l’attaque de la Flottille.
Le siège contre Gaza est cruel et son but est de  maintenir les animaux en cage en état de survie, juste de quoi éviter  les protestations internationales, mais guère plus. C’est le dernier  volet d’un plan israélien à long terme, appuyé par les Etats-Unis, pour  séparer Gaza de la Cisjordanie.
Le journaliste israélien Amira Hass, éminent spécialiste  de Gaza, décrit les grandes lignes du processus de séparation. « Les  restrictions imposées au mouvement palestinien qui ont été mises en  place par Israël en janvier 1991 ont renversé un processus initié en  juin 1967.
« A cette époque, et pour la première fois depuis 1948,  une large portion du peuple palestinien vivait à nouveau sur le  territoire en un seul morceau d’un seul pays – un pays occupé, certes,  mais entier... »
Hass conclut : « La séparation totale de la bande de  Gaza de la Cisjordanie est une des plus grandes réussites de la  politique israélienne, dont l’objectif ultime est d’empêcher toute  solution basée sur des décisions et accords internationaux et d’imposer  un accord basé sur la supériorité militaire d’Israël. »
La Flottille défiait cette politique et devait donc être  écrasée.
Un cadre pour résoudre le conflit arabo-israélien existe  depuis 1976, lorsque les états arabes de la région ont présenté une  résolution au Conseil de Sécurité qui appelait à la création de deux  états le long des frontières internationales, en incluant toutes les  garanties de sécurité exigées par la Résolution 242 de l’ONU qui fut  adoptée après la guerre de juin 1967.
Ses principes les importants sont soutenus par  pratiquement le monde entier, y compris par la Ligue Arabe,  l’Organisation des Etats Islamiques (dont l’Iran) et les organisations  non étatiques concernées, dont le Hamas.
Mais depuis trente ans les Etats-Unis et Israël ont  toujours rejeté cet accord, à une exception prés qui est révélatrice et  mérite d’être notée. En janvier 2001, au cours de son dernier mois du  mandat, Bill Clinton a initié des négociations israélo-palestiniennes à  Taba, Egypte, qui étaient sur le point d’aboutir, selon les  participants, lorsqu’Israël a décidé de rompre les négociations.
Aujourd’hui encore, les conséquences de cet échec se  font cruellement sentir.
Le Droit International ne peut pas être imposé aux états  puissants, sauf par leurs propres citoyens. C’est toujours une tâche  difficile, surtout lorsque l’opinion qui se fait entendre déclare que le  crime est légitime, soit explicitement soit en instaurant tacitement un  cadre criminel – ce qui est plus insidieux et rend les crimes  invisibles.
publié par In these Times
et en français par le Grand Soir
Traduction VD pour le Grand Soir