Hugh Pope
Les tensions entre la Turquie et Israël -croissantes depuis la mort de militants turcs, la semaine dernière, lors de l’assaut israélien contre la flottille humanitaire au large de la bande de Gaza- posent la question du maintien de la Turquie au sein d’alliances occidentales de longue date, face à son nouveau statut de puissance montante du Moyen-Orient.
Les élites du parti politique au pouvoir ont fait part de leur soutien aux militants turcs qui ont organisé le départ de la flottille.
Il est aussi vrai que ces activistes ont rassemblé des milliers de personnes en Turquie pour condamner les actes israéliens, entonnant des slogans islamistes et brûlant parfois une image du président américain.
Dans ce contexte, les porte-parole israéliens sont allés très loin en insinuant que ces militants avaient des liens avec l’organisation terroriste Al-Qaeda. Théorie qui n’a pas été prouvée.
Une vue d’ensemble objective sur ce que la Turquie essaie d’atteindre depuis ces dernières années montre à quel point de telles analyses et accusations manquent la cible.
Oui, effectivement la Turquie tente de changer les politiques de l’Occident, en particulier celles qui ferment les yeux sur les conséquences humanitaires du blocage israélien de Gaza. Par contre, les voies utilisées par la Turquie sont légitimes, dont notamment son siège durement gagné au Conseil de sécurité des Nations unies.
La Turquie imite le parcours de l’Union européenne
La pression sur les relations avec Israël ne dépend pas de l’idéologie du gouvernement turc. Il y a deux ans, la Turquie avait accueilli les négociations directes entre Israël et la Syrie, interrompues seulement à la suite de l’assaut israélien sur Gaza pendant l’hiver de 2009.
Les crises ont toujours suivi la dénonciation, par l’opinion publique turque, d’injustices commises contre les Palestiniens, que ce soit lors de la guerre des Six jours en 1967, de la déclaration de Jérusalem comme capitale d’Israël en 1980, ou lors de l’occupation des villes de la Cisjordanie en 2002.
L’âge d’or des relations entre la Turquie et Israël, pendant les années 90, coïncide exactement avec les accords de paix d’Oslo.
Ces tentatives d’Ankara de stabiliser la région sont caractéristiques de ses efforts de ces dix dernières années. La Turquie a conclu des accords avec la Syrie, le Liban, la Jordanie et la Libye pour :
* supprimer progressivement les visas ;
* ouvrir de nouvelles routes, chemins de fer et les voies de communications ;
* intégrer des infrastructures énergétiques ;
* établir des accords de libre-échange et tenir des réunions ministérielles communes régulièrement.
Des accords similaires ont été signés avec d’autres pays dans la région. En ce sens, la Turquie est explicitement en train d’imiter le parcours de l’UE qui a montré à quel point la convergence peut mettre fin aux cycles de conflit.
Manifester contre le blocus de Gaza n’a rien de non-européen
Ceci ne peut pas être considéré comme une politique « islamique » ou pour le Moyen Orient, puisque ces projets de grande ouverture et d’intégration ont déjà été utilisés pour renforcer les liens entre la Russie et la Grèce.
Ceci ne signifie pas non plus un changement fondamental de l’attitude turque vers l’Europe et l’Occident. Plus de la moitié des exportations turques sont pour l’Europe, 90% des investissements étrangers en Turquie proviennent des États de l’UE, et plus de quatre millions de Turcs habitent déjà en Europe.
En comparaison, le Moyen-Orient reçoit moins de 25% des exportations turques, et les travailleurs immigrés en Turquie sont plus de 200 000.
Il est vrai que les négociations entre la Turquie et l’Union européenne sont dans une impasse, et ce n’est pas la première fois en 50 ans de convergence.
Cette fois-ci, les politiciens populistes de France, d’Allemagne, d’Autriche, et au sein des gouvernements chypriotes et grecs, ont éloigné la Turquie en critiquant le processus de négociation.
Les différences entre la Turquie et Israël ne constituent pas le signe d’une animosité turque envers l’Ouest. Les Turcs sont peut-être les principaux organisateurs de la flottille de Gaza, mais ils ont été rejoints par d’autres activistes, par des bateaux et des fournitures de plus de 30 pays différents, et par plusieurs politiciens de l’UE.
Il n’y a rien de non-européen à protester contre la peine infligée par Israël sur les habitants de Gaza. Ce qui est inhabituel pour les pays européens, c’est que, pendant que la Turquie s’engage contre le blocus, eux ne fassent rien pour y mettre fin.
Hugh Pope est directeur du projet Turquie-Chypre à l’International Crisis Group.
publié par Rue89