Uri Avnery
          "Holyland", c’est le nom d’un nouveau scandale de corruption  financière et immobilière, impliquant de nombreux responsables  israéliens. Pendant ce temps,  l’annexion et la purification ethnique  rampante de Jérusalem Est  se poursuit ...         
A Jérusalem-Est, l’Etat d’Israël fait  régulièrement détruire des maisons appartenant à des Palestiniens,  invoquant un "défaut de permis de construire". Photo Nov. 2009.
TOUT LE MONDE a le droit de changer d’avis. Même Danny  Tirzeh.
Le colonel Tirzeh était responsable de projet pour le  mur qui “enveloppe” Jérusalem - celui qui sépare la ville de la  Cisjordanie pour en faire la Capitale Unifiée d’Israël pour Toute  l’Éternité.
Et maintenant, tout d’un coup, Tirzeh apparait comme le  principal opposant au mur dont il a lui-même établi le projet. Il veut  le déplacer, de façon à laisser les terres du village d’al-Walaja du  côté “israélien”.
Le colonel a cessé d’agir pour le compte de l’armée  israélienne et représente maintenant des entrepreneurs privés qui  veulent construire 14 unités d’habitation pour 45.000 âmes juives. Tout  cela, naturellement pour le plus grand bien du sionisme, du peuple juif,  de la capitale éternelle d’Israël et pour beaucoup de dizaines de  millions de shekels.
LE COLONEL TIRZEH n’est pas n’importe qui. C’est un  symbole.
Pendant des années, j’avais l’habitude de le rencontrer  dans les couloirs de la Cour Suprême. Il faisait presque partie des  meubles : le témoin vedette, l’expert et l’âme de vingtaines d’audiences  relatives au mur de séparation et d’annexion.
Il connait tout. Chaque kilomètre du mur et de la  barrière. Chaque colline, chaque pierre. Il transporte toujours un grand  paquet de cartes qu’il étale devant les juges, expliquant sérieusement  pourquoi le mur doit passer ici et pas là, pourquoi la sécurité de  l’État impose que les villages palestiniens soient séparés de leurs  terres, pourquoi en laissant une oliveraie aux mains de ses  propriétaires on ferait courir un danger mortel aux soldats israéliens.
En général, les juges se laissent persuader. Après tout,  c’est lui l’expert. C’est l’homme qui sait. Comment pourraient-ils  prendre sur eux la responsabilité de modifier le tracé du mur, si cela  devait conduire à ce que des Juifs soient tués.
Il y a des exceptions. Au village de Bil’in, la Cour fut  convaincue que la clôture pouvait être déplacée de quelques centaines  de mètres sans entraîner l’effondrement de la sécurité de l’État et sans  que des monceaux de cadavres juifs ne recouvrent le paysage.
Donc, la Cour Suprême a admis l’argumentation des  villageois et décidé de déplacer la clôture et - plus rien. La clôture  est restée où elle était. Le gouvernement et l’armée ont simplement  ignoré la décision de la Cour.
C’est en vain que le président de la Cour Suprême les a  avertis que ses décisions “ne sont pas des recommandations”. Comme des  dizaines d’autres décisions de justice concernant les colons, celle-ci,  aussi, est enterrée.
Le cas de Bil’in est particulièrement remarquable, et  pas seulement parce que des protestataires - Palestiniens, Israéliens et  autres - y ont été tués et blessés. Il est remarquable parce que la  raison qui cherche à se cacher derrière la clôture est tellement  évidente.
Ce n’est pas le sionisme. Ce n’est ni la sécurité ni la  défense contre les terroristes. Ce ne sont pas les rêves de générations.  Ce n’est pas la vision de Théodore Hertzl dont on célèbre le 150ème  anniversaire de la naissance.
Tout simplement de l’argent. Des quantités d’argent.
La zone qui s’étend entre la clôture actuelle et le  tracé alternatif a été affectée à la colonie orthodoxe Modi’in-Illit. De  grandes sociétés doivent y bâtir de nombreuses centaines d’unités  d’habitation, une affaire qui vaut beaucoup de millions.
Partout les surfaces volées aux Palestiniens sont  transformées immédiatement en propriétés immobiliaires. Ils passent par  des voies mystérieuses entre les griffes de trafiquants de terres. Les  trafiquants construisent alors de grands ensembles d’habitation et  vendent les “unités d’habitation” pour une fortune.
COMMENT EST-CE réalisé ? L’opinion publique reçoit  maintenant une leçon sous la forme de l’affaire “Holyland” (Terre  Sainte), une leçon sous forme de feuilleton à épisodes - chaque jour de  nouveaux détails sont révélés et de nouveaux suspects apparaissent.
Sur le site d’un ancien et modeste hôtel de ce nom, un  énorme projet immobilier a jailli - un alignement d’immeubles  d’habitation et un gratte-ciel. Ce monstre affreux domine le paysage -  mais la partie du projet que l’on peut voir de loin ne représente qu’une  fraction de l’ensemble. Les autres parties ont déjà reçu la bénédiction  de toutes les autorités municipales et gouvernementales concernées.
Comment cela s’est-il fait ? L’enquête se poursuit  encore. Presque chaque jour, de nouveaux suspects sont arrêtés. Presque  toute personne impliquée d’une façon quelconque dans l’autorisation du  projet, jusqu’au niveau le plus élevé, est suspecte - des ministres, des  hauts fonctionnaires du gouvernement, l’ancien maire, des membres du  conseil municipal. Actuellement, les enquêteurs essaient de retrouver la  trace de l’argent de la corruption dans le monde entier.
Holyland est situé à Jérusalem Ouest (là où se situait  avant 1948 le quartier arabe de Katamon).
La question qui vient naturellement à l’esprit : si les  choses se font de cette façon dans la partie ouest de la ville, que se  passe-t-il à l’est ? Si ces politiciens et ces fonctionnaires osent  voler et toucher des pots-de-vin à Jérusalem Ouest - que se  permettent-t-ils à Jérusalem Est, dont les habitants n’ont aucune  représentation ni dans la municipalité ni dans le gouvernement ?
QUELQUES minutes de voiture seulement séparent Holyland  du village de al-Walaja.
On pourrait écrire des volumes sur ce petit village qui a  pendant plus de 60 ans a été l’objet d’exactions.
En bref : le village d’origine fut occupé et annexé à  Israël lors de la guerre de 1948. Les habitants furent expulsés et  fondèrent un nouveau village sur la partie de leurs terres qui restaient  de l’autre côté de la Ligne Verte. Le nouveau village fut occupé  pendant la guerre de 1967 et annexé à Jérusalem qui fut elle-même  annexée à Israël. Selon la loi israélienne, les maisons sont illégales.  Les habitants vivent dans leurs propres maison sur leur propre terre,  mais sont officiellement considérés comme des résidents illégaux  susceptibles d’être expulsés d’un moment à l’autre.
Maintenant, les trafiquants de terres sont en train de  lorgner cette savoureuse portion de terre, qui vaut beaucoup d’argent  pour des projets de construction. Ils suivent le schéma sioniste  éprouvé. En tout premier lieu, le nom arabe de l’endroit est remplacé  par un nom purement hébreu, de préférence emprunté à la Bible. Tout à  fait comme le Jebel-Abu-Ghneil voisin est devenu Har Homa, avant que  l’horrible projet immobilier monstrueux n’y fut érigé, c’est ainsi que  al-Walaja est devenu maintenant Giv’at Yael. Il est clair qu’un endroit  appelé Colline de Yaël doit appartenir au peuple juif, et c’est un  devoir sacré que d’y construire une nouvelle colonie.
Alors, où est le problème s’il faut pour cela déplacer  le mur ? On peut toujours trouver un officier complaisant de l’armée  pour justifier cela par des raisons de sécurité.
CELA FAIT DES ANNÉES que je demande que cet aspect de  l’entreprise de colonisation soit examiné de plus près.
Le débat public a toujours porté sur des idéaux nobles.  La promesse divine opposée à la vision humaine. Le Grand Israël opposé à  la solution à deux États. Les valeurs du sionisme opposées à la valeur  de la paix. Le fascisme contre l’humanisme.
Et quelqu’un se félicitait du profit qu’il en retirait.
Les colonies se développent rapidement en permanence.  Dans l’ensemble de la Cisjordanie et à Jérusalem Est, les colonies  jaillissent comme des champignons vénéneux, empoisonnant les projets de  paix. En la matière, il n’y a jamais eu de différence entre Golda Meir  et Menachem Begin, Ehoud Barak et Ariel Sharon, Shimon Péres et Benjamin  Nétanyahou.
Parmi les colons, on trouve un noyau dur de zélotes  idéologiques. Mais beaucoup des constructeurs sont simplement des hommes  d’affaires avisés, dont le seul dieu est Mammon. Ils n’ont pas de peine  à se lier d’amitié avec les dirigeants du Likoud et les chefs du parti  travailliste, sans parler de la masse de Kadima.
Les colonies massives de Jérusalem Est - celles qui  existent déjà et celles qui sont encore en projet - se développent  suivant les mêmes modalités que le monstre de la colline de Holyland, et  il leur faut les mêmes permis délivrés par les mêmes autorités  municipales et gouvernementales. Jérusalem, après tout, a été unifiée.  Par conséquent les mêmes nuages sombres planent sur eux.
Ce qu’il faut, c’est une commission d’enquête judiciaire  pour examiner tous les permis accordés à Jérusalem au cours des années  récentes, certainement depuis le début du mandat d’Ehud Olmert comme  maire. Olmert s’est battu comme un tigre pour la création de Bar Homa et  les autres grandes colonies de Jérusalem Est. Tout cela au nom du  sionisme et de l’autorité juive sur la Ville Sainte. C’est maintenant le  suspect N° 1.
Tout doit faire l’objet d’enquêtes depuis le début. Et  tout nouveau projet doit être bloqué jusqu’à ce que son titre de  propriété ait été authentifié de façon indubitable.
CES CHOSES sont suffisamment graves en elles-mêmes, et  elles sont encore plus sérieuses lors qu’elles sont au centre du conflit  israélo-palestinien et de la crise entre Israël et les États-Unis.
Pour le profit des projets immobiliers israéliens à  Jérusalem Est, le gouvernement Nétanyahou est en train de mettre en  danger notre lien vital avec les États-Unis. Le maire d’extrême droite  déclare qu’il n’a rien à foutre des ordres du gouvernement et qu’il va  continuer à construire partout, quoique puisse dire ou ne pas dire  Nétanyahou. Les Palestiniens, de façon compréhensible, refusent de  négocier avec le gouvernement israélien tant que des activités de  construction se poursuivent à Jérusalem Est.
Allons-nous mettre en danger l’avenir d’Israël pour des  générations, simplement pour que des trafiquants de terres puissent  amasser davantage de millions ?
Est-ce que parce que les patriotes qui se partagent  Jérusalem Est comprennent des personnalités élues ou des fonctionnaires  qui attendent de généreux pots-de-vin de la part des constructeurs ?
Y a-t-il un lien entre la corruption rampante dont  l’affaire Holyland n’est que la partie émergée de l’iceberg et des  décisions nationales historiques ?
Bref, permettrons-nous que l’avenir de la terre sainte  soit sacrifié sur l’autel impie des profits de la corruption ?
* Uri Avnery est un  écrivain et journaliste israélien militant de Gush Shalom (le  Bloc de la Paix).
                1° mai 2010 - Vous pouvez consulter cet article à : 
http://www.lepost.fr/groupe/la-paix...
Traduction : LG pour France Palestine Solidarité-38
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