Catrina Stewart -The Independent
          Soixante ans plus tard, la véritable histoire du massacre des  Palestiniens à Deir Yassin pourrait finalement voir le jour, écrit  Catrina Stewart.         
          Emotion d’une survivante  palestinienne pendant une cérémonie de commémoration sur le site  original de son ancien village de Deir Yassin à Jérusalem.ATTA  HUSSEIN/AFP/Getty Images
Plus d’un visiteur désorienté à Jérusalem, en proie à  une bizarre délusion, s’est cru le Messie. Habituellement, ce genre de  personne est emmené rapidement vers la sérénité de l’hôpital  psychiatrique de Kfar Shaul, à la périphérie de la ville, où on l’aidera  doucement à retrouver la santé.
Il est ironique que les patients de Kfar Shaul  récupèrent de cette variété d’amnésie à l’endroit même où Israël a  cherché à effacer sa mémoire collective.
Le lieu est Deir Yassin, village arabe que les forces  juives ont brutalement nettoyé en 1948, quelques semaines à peine après  la formation d’Israël. Plus que n’importe quel autre endroit, Deir  Yassin est devenu le symbole du sentiment de dépossession chez les  Palestiniens.
Soixante-deux ans plus tard, ce qui s’est vraiment passé  à Deir Yassin le 9 avril reste masqué par des mensonges, des  exagérations et des contradictions. À présent,le journal israélien  libéral Haaretz cherche à percer le mystère en  adressant une requête à la haute cour de justice israélienne pour  obtenir la publication des preuves écrites et photographiques ensevelies  dans les archives militaires. Les survivants palestiniens de Deir  Yassin, village d’environ 400 âmes, prétendent que les juifs y ont  commis un énorme massacre qui a poussé les Palestiniens à fuir par  milliers, en contradiction avec l’histoire longtemps racontée par Israël  sur leur départ volontaire.
À la version palestinienne, les Israéliens rétorquent  que Deir Yassin a été le site d’une bataille rangée après que les forces  juives se sont heurtées à une forte résistance inattendue de la part  des villageois. Toutes les victimes, prétendent-ils, sont mortes lors  des combats.
En 2006, Neta Shoshani, étudiante israélienne en  lettres, a demandé à avoir accès aux archives de Deir Yassin pour un  travail universitaire ; elle pensait qu’un embargo de 50 ans bloquant  les documents secrets avait expiré huit ans auparavant. Elle a eu un  accès limité à la documentation, mais elle a appris que les documents  plus sensibles étaient l’objet d’un embargo plus long. Lorsqu’un avocat a  demandé une explication, il s’est révélé qu’un comité ministériel avait  prolongé l’interdiction plus d’un an après que Neta Shoshani avait  introduit sa première demande, ce qui a placé l’État dans une  controverse juridique. L’embargo actuel dure jusqu’en 2012.
Pour défendre son droit au secret, l’État israélien a  prétendu que la publication de ces documents ternirait l’image du pays à  l’étranger et enflammerait les tensions entre Arabes et Israéliens. Haaretz et Mme Shoshani ont rétorqué que le public a le  droit de savoir et de faire face à son passé.
Ayant examiné toutes les preuves archivées détenues par  l’État israélien au sujet de Deir Yassin, les juges doivent encore se  prononcer sur ce qui sera éventuellement diffusé. Parmi les documents  qui seraient aux mains des autorités figure un rapport compromettant  écrit par Meir Pa’il, officier juif, qui a condamné la conduite  sanguinaire et honteuse de ses compatriotes ce jour-là. Tout aussi  compromettantes sont les nombreuses photos qui ont subsisté.
« Les photos montrent à l’évidence qu’il y a eu  massacre » dit Daniel McGowan, professeur étasunien à la retraite qui  travaille avec Deir Yassin Remembered. « Ces photos  montrent [des villageois] fusillés devant le mur d’une carrière ».
En 1947, les Nations unies avaient proposé un plan de  partition qui devait couper la Palestine en un État juif et un État  arabe, avec Jérusalem comme ville internationale. Les Arabes ont opposé  une résistance farouche à ce plan et des affrontements ont éclaté alors  que les deux parties se disputaient le territoire avant l’expiration du  mandat britannique. En avril 1948, la Haganah, précurseur de l’armée  israélienne, a lancé une opération militaire pour assurer un passage sûr  entre les zones juives en s’emparant des villages arabes surplombant la  route de Jérusalem.
L’Irgoun et le gang Stern, groupes paramilitaires qui  avaient fait scission, ont élaboré des plans séparés pour s’emparer du  lieu stratégique de Deir Yassin le 9 avril 1948, en dépit du pacte de  non-agression que les villageois avaient signé - et respecté -avec les  juifs. Ce qui s’est passé ensuite est encore en débat. Dans son livre, The Revolt, Menachim Begin, futur premier ministre  israélien, rappelle que les forces juives ont averti les villageois par  mégaphone qu’ils devaient quitter le village. Ceux qui sont restés ont  combattu.
« Nos hommes ont été obligés de se battre pour chaque  maison ; pour arriver à bout de l’ennemi, ils ont dû utiliser quantité  de grenades à main » écrit M. Begin qui n’a pas assisté à la bataille.  « Et les civils qui n’avaient pas pris en compte nos avertissements ont  inévitablement subi des pertes. Je suis certain que nos officiers et nos  hommes voulaient éviter toutes victimes inutiles ».
Le récit de M. Begin est toutefois contesté par les  survivants et les témoins. Abdul-Kader Zidain avait 22 ans en 1948 et  s’est immédiatement joint à un groupe de 30 combattants du village pour  faire face à l’offensive juive surprise, alors que les assaillants  étaient de toute évidence supérieurs en nombre.
« Ils sont entrés dans les maisons et ils ont fusillé  les gens qui s’y trouvaient. Ils ont tué tout ce qu’ils voyaient, femmes  et enfants compris » a dit M. Zidain qui a perdu quatre membres de sa  famille immédiate, notamment son père et deux frères lors de l’assaut. À  présent, frêle vieillard de 84 ans, il vit dans un village cisjordanien  et il se souvient de tout ce qui s’est passé comme si c’était arrivé  hier. Les témoignages des survivants sont corroborés par M. Pa’il,  témoin direct dont le récit a été publié en 1998. Dans l’attente d’une  réaffectation, il était allé observer l’attaque car il avait pour  mission de contenir l’Irgoun et le groupe Stern.
Après que le combat se soit calmé, M. Pa’il a entendu  des coups de feu sporadiques venant des maisons et il est allé voir. Il a  vu que les soldats avaient acculé les villageois dans un coin de leur  maison et les avaient fusillés. Un peu après, il a vu un groupe de  quelque 25 prisonniers emmenés vers une carrière entre Deir Yassin et  Givat Shaul proche. Comme ils surplombaient la scène, son compagnon et  lui ont tout vu et ils ont pris des photos. « Il y avait là un mur  naturel. Ils ont mis les prisonniers contre le mur et les ont tous  fusillés » dit-il. M. Pa’il raconte que les juifs de Givat Shaul proche  sont finalement intervenus pour arrêter le massacre.
Dans la confusion qui a suivi et la colère suscitée par  la tuerie de Deir Yassin, les deux côtés ont gonflé le chiffre des  victimes palestiniennes pour des raisons très différentes : les  Palestiniens voulaient radicaliser la résistance et attirer l’attention  des pays arabes dans l’espoir que ceux-ci leur viendraient en aide ; les  juifs voulaient effrayer les Palestiniens et les pousser à fuir.
Quand les choses se furent calmées, Mr Zidain et les  autres survivants ont fait le décompte des absents et ils ont conclu que  105 Palestiniens étaient morts à Deir Yassin et non pas le chiffre  souvent mentionné de 250. Parmi les juifs il y avait eu quatre morts.  Mais le dommage avait déjà été fait. Les nouvelles de Deir Yassin ont  dévasté le moral et beaucoup d’historiens considèrent l’incident comme  le principal événement qui a incité les Palestiniens à fuir. D’après les  estimations des Nations unies, 750 000 Palestiniens avaient fui leurs  maisons à la fin de la guerre de 1948, soit approximativement 60 % de la  population palestinienne arabe d’avant la guerre.
Si vous mentionnez Deir Yassin aujourd’hui à de jeunes  Israéliens, le nom ne leur dira rien. Tout près de l’hôpital de Kfar  Shaul, deux adolescents hochent la tête lorsqu’on leur pose une question  sur Deir Yassin. Jamais entendu parler, disent-ils.
« Le sujet est accueilli chez la plupart des Israéliens  par un silence total », dit le professeur McGowan. « Ce n’est pas qu’ils  nient, il n’en parlent simplement pas ».
Quant à savoir si le silence sera à présent brisé, la  décision en incombe aux tribunaux israéliens. « Ce fut un important  événement dans notre histoire ici. La prise de ce premier village a eu  de fortes répercussions sur la guerre qui a suivi » dit Mme Shoshani.  « Nous devons faire face à notre passé et c’est dans notre propre  intérêt ».
                10 mai 2010 Thje Independent - Cet article peut être  consulté ici :
http://www.independent.co.uk/news/w...
Traduction : Anne-Marie Goossens
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Traduction : Anne-Marie Goossens