Karim Lebhour
Une loi palestinienne datée du 15 février  interdit le commerce en territoire palestinien des produits fabriqués  dans les colonies juives
Les supermarchés  palestiniens, comme ici à Ramallah, sont inondés de produits fabriqués  dans les zones industrielles des colonies juives.
L’inspecteur jette un regard soupçonneux sur des cartons  entreposés dans l’arrière-boutique d’une quincaillerie du centre de  Ramallah. Il en sort un accessoire de plomberie et pointe la marque d’un  air satisfait : « Lipski ! s’exclame-t-il. C’est une marque fabriquée  dans la colonie de Barkan » (une zone industrielle proche de  l’implantation d’Ariel). Les 200 pièces de tuyauterie seront saisies.  « C’est un vieux stock, plaide le vendeur. Je l’ai reçu avant la loi,  mais maintenant je n’en achète plus. »
Ces officiers des douanes palestiniens ratissent les  boutiques de Cisjordanie en application de la nouvelle loi du 15 février  interdisant le commerce des produits fabriqués dans les colonies. Une  mesure prise par le gouvernement de Salam Fayyad pour lutter contre  l’expansion des implantations juives en territoire palestinien. On en  dénombre à ce jour plus de 120 en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.  Certaines sont de véritables petites villes, avec leurs quartiers  résidentiels et des zones industrielles dont les produits inondent le  marché palestinien.
Dans l’entrepôt des douanes, les marchandises saisies  s’accumulent : des cartons de biscuits, des produits de beauté, des  bouteilles d’eau minérale et même des sacs de sel. « Le sel vient de la  colonie de Mizpe Shalom, situé sur la rive palestinienne de la mer  Morte, précise le chef inspecteur, Omar Kaba. Ils exploitent nos  ressources naturelles. »
Le fonctionnaire a établi une liste d’environ 200  articles interdits : nourriture, tapis, meubles, etc. Il s’est même fait  passer pour un homme d’affaires auprès des usines israéliennes, pour  obtenir un catalogue précis de tous leurs produits. Car, face aux  menaces de boycottage, les industriels brouillent les pistes. « Sur cet  emballage, l’adresse est à Tel-Aviv, mais l’usine est dans la colonie de  Barkan, dit-il en montrant un paquet de gâteaux. Ils ont simplement  changé le nom et l’adresse pour passer inaperçus. »
Pour convaincre les consommateurs palestiniens,  l’Autorité palestinienne a lancé une campagne baptisée « Karamah »  (« dignité », en arabe). Des affiches ont été placardées dans les villes  de Cisjordanie avec ce texte : « Votre conscience, votre choix »,  assorti d’un doigt accusateur. Le premier ministre, Salam Fayyad, est  venu lui-même brûler devant les caméras les marchandises saisies.
L’image a fait grincer des dents en Israël. « C’est du  terrorisme économique », a tonné le député d’extrême droite Uri Ariel.  « Les Palestiniens doivent choisir. S’ils ne veulent pas de relations  commerciales et économiques avec Israël, alors il n’y en aura pas »,  a-t-il menacé. « Nous ne visons que les produits des colonies, pas ceux  d’Israël, rétorque Hitham Kayali, coordinateur de la campagne de  boycottage. La part de ces produits sur le marché palestinien représente  500 millions de dollars par an (370 millions d’euros) qui devraient  profiter à l’industrie palestinienne plutôt qu’à celle des colonies,  illégales au regard du droit international. Cela doit cesser. »
Ce faisant, l’Autorité palestinienne suit un mouvement  amorcé en Europe, après les passes d’armes diplomatiques sur les  colonies israéliennes. L’Union européenne a ainsi exclu les produits des  colonies d’un accord de libre-échange conclu avec Israël. Le  Royaume-Uni impose également aux commerces britanniques d’identifier  clairement les produits qui viennent des implantations israéliennes. Les  Palestiniens veulent aller plus loin. Le ministre de l’économie, Hassan  Abou Libdeh, prépare un texte de loi interdisant aux 25 000 ouvriers  palestiniens du bâtiment de participer à la construction de colonies.  « Ma population, ma société contribuent à l’essor des colonies. Cela  doit cesser, a-t-il justifié. Tous les Palestiniens doivent se sentir  partie prenante dans la construction de notre État. »
publié par la Croix