Propos recueillis par Saraï Makover-Belikov
OPINION (édifiante !) :
Les réflexions du ministre des Affaires étrangères  israélien sur les Palestiniens, les Arabes d’Israël, les transferts de  population, la diplomatie américaine et quelques autres sujets  d’actualité.
Pourquoi  êtes-vous dans le gouvernement Nétanyahou ?
Avigdor Lieberman Il y a un an, pendant la formation du  gouvernement, lorsqu’il a fallu aborder le volet diplomatique, j’ai  d’emblée fait savoir que je ne croyais pas à la piste George Mitchell  [envoyé américain chargé de négocier une paix israélo-arabe] et que je  ne me voyais pas accepter comme objectif le retour aux frontières  d’Israël de 1967. Pour moi, nous n’allions pas faire l’économie d’une  brouille avec les Américains, voire d’un isolement international.  J’avais mis en garde le gouvernement contre l’impasse dans laquelle  certains voulaient nous engager. Mais, comme la plupart des Israéliens  préfèrent ne pas voir la vérité en face, j’ai dit : “Chiche, pendant un  an, je ne vous dérangerai pas pendant que vous testerez la piste  Mitchell.” Un an plus tard, nous en sommes exactement là où je craignais  d’arriver.
Avez-vous peur d’une solution fondée sur  deux Etats pour deux peuples ?
Je crois dans le Grand Israël [Palestine biblique], mais  je suis prêt à accepter une solution fondée sur deux Etats. Cette  solution ne me fait pas plaisir mais, dès lors qu’il y a une  contradiction insoluble entre deux systèmes de valeurs, il faut opter  pour une solution qui, à défaut de garantir l’intégrité de la terre  d’Israël, garantisse celle de son peuple. Cela dit, la solution que l’on  tente de nous imposer est belle mais irréaliste. Je suis prêt à  accepter la solution des deux Etats, mais pas celle qui donnerait un  Etat et demi aux Palestiniens et un demi-Etat aux Juifs. Or, comme la  majorité des Arabes israéliens se définissent comme Palestiniens, ils ne  reconnaîtront jamais Israël comme Etat juif et sioniste. Tout le monde  nous vante les mérites des frontières de 1967, mais il ne s’agit que de  la poursuite du conflit par d’autres moyens, encore plus redoutables.  Kfar-Sava ou Tel-Aviv seront arrosées de roquettes Qassam tirées depuis  Qalqiliya ou de mortiers tirés depuis Tulkarem [en Cisjordanie]. Le  retour aux frontières de 1967, ce n’est pas la fin mais le transfert du  conflit au cœur du Goush Dan [le Grand Tel-Aviv] et de Haïfa.
Dès lors, que proposez-vous ?
Nous ne pouvons plus tergiverser à l’infini. Nous devons  aller de l’avant et présenter à la communauté internationale un modèle  simple et intelligible, pas quelque chose d’embrouillé et d’illisible.  Des échanges de territoires et de populations. C’est la seule solution.  Ça ne me plaît pas de voir le Triangle [un groupe de villes et villages  arabes israéliens contigus à la Cisjordanie, au sud-est de Haïfa] sous  souveraineté israélienne. Là-bas, il n’y a presque pas de Juifs et il  ne sera pas difficile de faire passer ces Arabes israéliens sous  souveraineté palestinienne. En contrepartie, les blocs d’implantations  [colonies] de peuplement en Cisjordanie, comme le Goush Etzion [au  sud-ouest de Jérusalem et Bethléem], passeront sous souveraineté  israélienne.
En somme, vous proposez de virer les  Arabes israéliens ?
Il ne s’agit pas de déplacer les gens mais les  frontières. Les gens resteront dans leurs foyers et sur leurs terres,  mais ils passeront sous souveraineté palestinienne. Une partie d’entre  eux devront être évacués, tout comme, selon ce modèle, je pourrais être  amené à évacuer ma maison de Nokdim [une colonie de Cisjordanie]. C’est  sans doute difficile à avaler, mais je sens que cette solution commence  aussi à faire son chemin en Europe. Nous devons dire ce que nous  voudrons faire quand nous serons grands, exactement comme le font les  Palestiniens. Notre objectif, c’est un Etat d’Israël ET juif, pas un  Etat de tous ses citoyens ou d’autres contes de grands-mères.
Echanger des populations, est-ce  démocratique ?
Lors de la création de l’Etat d’Israël, les pères  fondateurs ont pris une décision historique : s’il y a conflit entre les  valeurs universelles et les valeurs juives, ce sont ces dernières qui  priment. C’est précisément pour cela qu’a été adoptée la loi du Retour,  une loi qui ne concerne que les Juifs. Chaque démocratie a ses propres  spécificités. Aux Etats-Unis, quelle est la différence entre  Schwarzenegger et Reagan ? Reagan était un acteur hollywoodien élu  gouverneur de Californie avant de devenir président des Etats-Unis.  Schwarzenegger était un acteur hollywoodien et il est aujourd’hui  gouverneur de Californie. Pourtant, il ne sera jamais président des  Etats-Unis, tout simplement parce qu’il n’y est pas né. Est-ce davantage  démocratique ? Non.
Pourquoi la communauté internationale  accepterait-elle votre solution ?
La communauté internationale en a marre de nous. Ce  qu’elle veut, c’est une solution, quelle qu’elle soit. C’est donc à nous  de faire une proposition intelligible et limpide.
Que pensez-vous des exigences  américaines ?
Les Etats-Unis exigent que nous gelions la construction  dans la plupart des quartiers juifs de Jérusalem comme Gilo, Ramot,  Pisgat Zeev et Talpiot-Est. C’est inacceptable. Toute concession  israélienne supplémentaire est vaine. Tout ce sur quoi nous cédons est  aussitôt oublié pour céder la place à de nouvelles revendications. Il y a  un an, à [l’université nationaliste de] Bar-Ilan, le Premier ministre  Nétanyahou a prononcé un discours clair dans lequel il acceptait le  principe du “deux peuples, deux Etats”, la levée de la majorité des  barrages et le gel de la construction en Judée et Samarie [Cisjordanie].  Personne ne nous a dit merci. Dès lors, si nous ne parvenons pas à  convaincre les Etats-Unis que leurs exigences sont insensées, nous  devrons nous accrocher et en payer le prix.
Une telle position ne peut qu’aggraver  la crise avec les Etats-Unis.
Il y a un nombre incalculable de conflits aux quatre  coins du monde, en Corée du Nord, en Afghanistan, en Iran, en Irak, en  Inde, en Somalie, etc. Comme ils ne trouvent pas de solution, c’est à  nous qu’on présente la facture, comme si résoudre le conflit  israélo-palestinien allait tout faire rentrer dans l’ordre. Or le  conflit du Moyen-Orient ne porte pas sur des territoires mais sur des  valeurs. Il oppose l’islam extrémiste à l’Occident éclairé. Quiconque  pense que la paix peut être pliée d’ici deux ans se trompe et trompe son  monde.
Quelle est votre opinion sur [le parti  de centre droit de Tzipi Livni] Kadima ?
Kadima n’est pas un parti politique mais un catalogue  d’individualités venues d’horizons différents avec des idéologies  différentes, et dont le seul dénominateur commun est leur appétit pour  le pouvoir et les portefeuilles ministériels. Par ailleurs, à la place  des dirigeants de Kadima, je ferais vœu de silence et je me retirerais  dans un monastère. Pour vendre leur plan de désengagement [de la bande  de Gaza, été 2005], ils avaient promis un jardin de roses, un pays où  couleraient le lait et le miel. Le résultat, c’est quoi ? Le terrorisme  et les roquettes. Et ils voudraient donner des leçons à la droite.
Le Parti travailliste ?
Aucun intérêt.
Les députés arabes de la Knesset ?
Voilà des gens dont la seule aspiration politique est de  détruire Israël en tant qu’Etat juif et sioniste. Un député comme Ahmad  Tibi ne reconnaît pas le caractère juif et sioniste d’Israël. Mais,  comme il jouit de tous les droits conférés par un Etat démocratique, il  participe au nom de l’Autorité palestinienne à des conférences contre  l’Etat d’Israël. Il se présente lui-même comme un député “palestinien”  et ne rate pas une occasion de nous calomnier.
Il représente un courant d’opinion  et participe à des scrutins démocratiques.
L’opinion arabe comprend qu’être extrémiste peut  s’avérer payant. Les Arabes israéliens ont été loyaux lors de la guerre  du Kippour [octobre 1973] et de la première guerre du Liban [été 1982].  Mais, ces dernières années, les dirigeants israéliens ont fait preuve  d’indécision, ce que les Arabes israéliens ont vu et ils se sont  radicalisés. Nous n’osons pas avoir de la poigne à leur égard. Nous nous  conduisons comme des imbéciles et des pleutres. Au Moyen-Orient, quand  on agit comme ça, le résultat est à l’avenant.
Si les Arabes israéliens se radicalisent, n’est-ce pas  parce qu’ils sentent qu’ils ne sont pas des citoyens égaux en droits  dans leur propre patrie ? Les Arabes israéliens ont trop de droits, et cela dans tous les  domaines. Qu’ils arrêtent de nous casser la tête. En Judée et en  Samarie, on traque la moindre terrasse construite illégalement [par les  colons], mais, chez eux, des milliers de chantiers sont lancés sans  permis. Les Arabes israéliens jouissent d’une liberté et d’un niveau de  vie comme dans aucun Etat arabe. Ils le reconnaissent eux-mêmes, mais  ils pensent tout simplement que nous allons perdre et parient sur la  partie adverse.
Selon votre conception de la  citoyenneté, les Arabes devraient donc chanter “L’âme juive vibre” [une  strophe de l’hymne national israélien] ?
Absolument. En Angleterre, les Juifs chantent l’hymne  national, font leur service militaire et meurent au combat.
La gauche voit en vous un raciste.
Les gens de gauche me font pitié. Ces malheureux  souffrent apparemment d’une tare génétique. Que Dieu leur pardonne. Moi,  cela fait longtemps que je leur ai pardonné.
publié par Courrier international