Sophie Janel
Le 16 mars les jeunes Palestiniens,  répondant à l’appel à la "colère", ont manifesté à Jérusalem contre la  colonisation galopante qui tue toute perspective de paix. Les forces  d’occupation ont répliqué avec leur habituelle violence.
Qalandia, mardi 16 mars.  L’entrée du check-point est bouclée à l’aide de jeeps et de barrières  israéliennes. Entre les protestataires palestiniens et l’armée  israélienne, une dizaine de journalistes, casques, gilets pare-balles et  masques à gaz, assistent aux affrontements. Cagoulés à l’aide de  keffiehs, de jeunes Palestiniens lancent des pierres sur les soldats  israéliens. La riposte ne se fait pas attendre : bombes lacrymogènes,  bombes sonores ou balles en caoutchouc sont envoyées dans leur  direction. La foule se disperse avant de recommencer la danse.
Les affrontements ont commencé tôt le matin. « Des jeeps  israéliennes étaient postées autour de 8 heures du matin à l’entrée du  camps de Qalandia. C’est comme ça que tout a démarré », raconte un des  jeunes de camps, à 15 heures. Les échauffourées sont en réaction à  l’inauguration d’une synagogue à Jérusalem-Est, au blocus de la  Cisjordanie depuis cinq jours et à la limitation de l’accès à la mosquée  al-Aqsa, troisième lieu saint de l’islam, aux hommes de plus de 50 ans. Autour de la zone, les commerces alentour semblent habitués. Très peu  ont fermé. Devant les épiceries, quincailleries et autre maraîchers, les  ambulances de la PMRS (Palestinian Medical Relief Society) sont prêtes à  aller chercher les blessés. Ali (pseudo) entre en trombe dans l’une des  épiceries. Son lance-pierre s’est cassé. Un tournevis et quelques  cordes plus tard, il fonctionne à nouveau. Lui n’envoie pas de pierres,  mais des billes. « Elles vont plus loin » assure-t-il. Il repart aussi  rapidement qu’il est venu, mais ne retourne pas sur le devant de la  scène. Passant dans une allée derrière certains immeubles, il rejoint  une dizaine de téméraires. Entre les immeubles, ils s’avancent, par  derrière, au plus près des jeeps et des soldats. Sans être vu, ils se  préparent à envoyer pierres et billes. Constatant que des jeunes - moins  de 15 ans pour la plupart - les ont rejoints, l’un d’eux s’énerve, les  bouscule et leur recommande de retourner chez eux.
Quelques minutes plus tard, un père de famille arrive en  voiture au milieu des bombes lacrymogènes tombées non loin d’une école  de l’Unrwa. Il fait monter de force son fils, âgé de moins de 20 ans,  vêtu d’un haut de survêtement jaune, qui se pavanait sur la séparation  en béton de la chaussée. Deux jeunes se retournent, keffieh blanc et  rouge pour l’un et blanc et noir pour l’autre, et lâchent, avec un clin  d’œil : « On ne se camoufle pas seulement à cause des caméras ou des  soldats. Nos parents sont devant la télé, ils ne doivent pas savoir  qu’on est là. »
Environ 200 jeunes sont présents sur les lieux. La voie  menant au check-point est fermée. Les véhicules roulent, dans les deux  sens, sur une seule et même voie, mais très peu s’engagent pour  rejoindre le check-point. Les bombes lacrymogènes tombent de tous côtés  et les balles en caoutchouc sont souvent tirées en direction des  véhicules, loin de la foule. « Un ami a pris une balle dans l’œil »,  assure un étudiant de l’Université de Bir Zeit à la sortie de Ramallah.  Une quarantaine de Palestiniens auraient été blessés entre Jérusalem et  Qalandia. Ce futur comptable, qui ne souhaite pas révéler son nom, est  venu de Beit Ummar, un village situé entre Bethléem et Hébron, pour  participer. « Nous ne sommes pas allés en cours. Il était important pour  nous d’être présent pour cette journée (de colère, lancée par le Hamas  depuis Gaza, ndlr) », poursuit-il accompagné de deux de ses camarades.  Toute la semaine dernière, une rumeur s’est propagée parmi les  Palestiniens, selon laquelle le « 16 mars », des juifs extrémistes  envisageaient de déposer la première pierre de la reconstruction du mont  du Temple, premier lieu saint du judaïsme. Au loin, certains attrapent  les lacrymogènes fumantes sur le sol pour les renvoyer en direction des  soldats.
Et après ?
De retour à Ramallah, le calme est surprenant. La vie  suit son cours. Les commerces sont ouverts. Il est possible de croiser  des femmes, les bras chargés de paquets. D’autres font leur marché,  tranquillement. Tout le monde est évidemment au courant de ce qu’il se  passe à Qalandia et à Jérusalem-Est, mais aucune tension dans l’air.  Dans sa petite boutique, Majed se veut rassurant : « Cela ne va pas  continuer. Ce n’est que pour aujourd’hui. Demain, tout rentrera dans  l’ordre. » Awwad Hamdane, le directeur de l’hôtel al-Qasr à Naplouse, au  nord de la Cisjordanie occupée, ne souhaite pas une troisième  intifada : « Nous perdons tout le temps. Après la première intifada, le  système des permis a été instauré. Après la seconde, ils [les  Israéliens] ont construit le mur. Si une troisième commence, on va tout  perdre. On ne veut pas de combats armés. »
Mais mardi, le Hamas a appelé à une nouvelle intifada.  Dimanche, Hatem Abdel Khader, un officiel du Fateh appelait, quant à  lui, « à défendre la mosquée al-Aqsa ». Dans son petit supermarché situé  non loin de Manara, dans le centre de Ramallah, le directeur de  l’établissement, Samir (pseudo), « ne sait pas ce qu’il va se passer  ensuite ». « Notre vie est comme ça. Faite de hauts et de bas. Il y a  déjà eu deux intifadas, alors s’il doit y en avoir une troisième pour ce  faire entendre, il y en aura une troisième ! » commente-t-il. Pour  Mahdi Abdel Hadi, analyste politique, « une intifada est impossible car  elle nécessite un fort leadership, un consensus et un financement. Or il  n’y a rien de tout ça. Ces confrontations sont ad hoc, en réaction aux  atrocités vécues. Il n’y a pas de mouvement de masse car les  Palestiniens sont divisés. Entre la Cisjordanie et Gaza, entre le Fateh  et le Hamas, entre les négociations et la résistance ».
Intro : C. Léostic, Afps