Delphine Matthieussent
Plongée à Issawiya, quartier où les  heurts israélo-palestiniens de la semaine dernière ont été  particulièrement violents.
L’heure de la sortie des  classes à Issawiya : une nuée d’écoliers et d’adolescents envahit les  ruelles de cette bourgade palestinienne étalée à flanc de coteau, sur le  versant septentrional de la colline séparant Jérusalem du désert de  Judée. L’heure aussi à laquelle les jeunes se regroupent parfois dans la  rue principale pour lancer des pierres contre les policiers israéliens,  visibles sur un terre-plein qui surplombe la localité. Car Issawiya,  qui compte une dizaine de milliers d’habitants, fait partie de ces  localités palestiniennes à la périphérie de Jérusalem, pauvres, mal  desservies et peu intégrées au tissu urbain, annexées par Israël et  rattachées aux frontières municipales. C’est à Issawiya, ainsi que dans  le camp de réfugiés de Shouafat, un peu plus au nord, que les  affrontements entre jeunes palestiniens et policiers israéliens, qui ont  fait plusieurs dizaines de blessés la semaine dernière, ont été les  plus violents. Ils ont même fait craindre le début d’une troisième  intifada.
« J’y suis allé avec mes cinq frères. Un des jeunes a  perdu un œil, un autre a pris une balle dans le pied, mais pour défendre  la mosquée Al-Aqsa, je suis prêt à me battre tous les jours », lance  fièrement Hassan, 12 ans, accoudé au comptoir poussiéreux de l’épicerie  familiale. Sa mère, Azizeh, qui affirme souhaiter une troisième  intifada, opine. « Je suis inquiète pour mes enfants, mais il faut bien  que nous défendions nos sites religieux. » A l’origine de ces tensions,  des rumeurs, attisées par le Hamas et certains responsables du Fatah (le  parti du président palestinien, Mahmoud Abbas), qui prêtent aux  autorités israéliennes la volonté de saper les fondements de la mosquée  Al-Aqsa. L’édifice, troisième Lieu saint de l’islam, est construit sur  l’esplanade des Mosquées qui surplombe le mur des Lamentations, sacré  pour les juifs. C’est de là qu’était partie la deuxième intifada, en  2000.
Provocations. Le  gouvernement israélien a jeté de l’huile sur le feu la semaine dernière  en inaugurant en grande pompe, dans le quartier juif de la vieille  ville, une synagogue rénovée. Le mois dernier, il avait déjà annoncé son  intention d’inscrire au patrimoine national israélien le caveau des  Patriarches, à Hébron, et le tombeau de Rachel, près de Bethléem, en  Cisjordanie - deux lieux sacrés tant pour les juifs que les musulmans.  Soit autant de gestes perçus comme des provocations par les  Palestiniens. Mais ces tensions religieuses, endémiques à Jérusalem,  sont loin d’être les seules responsables des récentes violences dans la  Ville sainte et en Cisjordanie. La politique israélienne de judaïsation  de la partie orientale de la ville, qui s’est intensifiée depuis  l’arrivée au pouvoir de Benyamin Nétanyahou, a évidemment attisé la  rancœur et les frustrations des habitants palestiniens. Hani Esawi,  responsable de la station de bus d’Issawiya, soupire : « Il y a pire que  les constructions à Ramat Shlomo [l’annonce de nouvelles installations  dans ce quartier de colonisation de Jérusalem-Est a provoqué la crise  récente entre l’Etat hébreu et les Etats-Unis, ndlr]. Les Palestiniens  de Jérusalem-Est suffoquent, ils se sentent assiégés. Ils sont encerclés  par le mur. Israël démolit leurs maisons, les expulse, refuse de leur  donner des permis de construire, les exproprie de leurs terres,  confisque leur carte d’identité [de résident de Jérusalem] à la moindre  occasion. Ils n’en peuvent plus. »
Ali et Aida el-Hommus tiennent une petite épicerie au  rez-de-chaussée d’une des maisons de plusieurs étages construites à  quelques mètres les unes des autres, entre lesquelles serpentent les  ruelles étroites, jonchées de sacs poubelles non ramassés depuis  plusieurs jours. Ils vivent avec leurs cinq enfants dans une pièce  encombrée des cartons de fruits et de sacs de sucre, qui sert aussi  d’arrière-boutique à l’épicerie. « Je ne vends pas pour 100 shekels  [environ 20 euros] par jour. Nous vivons comme des chiens, dans un trou,  encerclés de partout par les constructions israéliennes », enrage Ali,  faisant référence aux quartiers de colonisation israéliens, à l’ouest et  au nord d’Issawiya, et à la colonie de Maale Adoumim, à l’est. « Ce  n’est qu’une question de temps avant que nous soyons tous expulsés de  Jérusalem », ajoute-t-il. Il ne pense cependant pas qu’une troisième  intifada soit la solution : « Je ne crois pas nos dirigeants et je  n’écoute pas leurs appels. Ils essayent tous de nous manipuler.  L’Autorité palestinienne veut une intifada parce que les négociations  sont bloquées, le Hamas parce qu’ils veulent discréditer Abbas. Mais  qu’est-ce qu’on peut faire contre Israël ? Ces affrontements ne mèneront  à rien. Tout ce que nous voulons, c’est vivre en paix, gagner notre vie  et pouvoir élever nos enfants. »
Pression. La perspective  d’un soulèvement palestinien comparable à celui de 2000 est dès lors peu  probable, estiment la plupart des analystes. D’abord parce que les  forces de sécurité israéliennes, tirant les leçons de l’embrasement de  2000, ont limité les risques de dérapages en réduisant au maximum les  affrontements directs avec les manifestants. Lors des récents heurts,  dont la durée et l’intensité ont été relativement limitées, ce sont des  policiers israéliens en civil qui sont massivement intervenus. Surtout,  l’Autorité palestinienne n’a pas intérêt à une explosion de violences  alors qu’Israël subit la pression de Washington sur la question de la  colonisation. Enfin, des formes nouvelles de protestation, non-violentes  et très médiatisées, se sont développées : manifestations hebdomadaires  dans les villages de Ni’lin et Bi’lin contre le mur de séparation  israélien, dans le quartier de Sheikh Jarrah (à Jérusalem-Est), contre  les expulsions de familles palestiniennes et boycott des denrées  produites dans les colonies de Cisjordanie. Le journaliste et homme  politique palestinien Hanna Siniora juge ces actions particulièrement  efficaces : « Je ne crois pas à une nouvelle intifada parce que des  actions non-violentes commencent à prouver leur efficacité en ralliant  le soutien des organisations israéliennes de défense des droits de  l’homme et de la communauté internationale. »
publié par Libération