Sylvain Mouillard
          Les images sont connues. Des manifestants palestiniens, souvent  très jeunes, visages couverts, jetant des pierres sur des soldats  israéliens. Ces scènes se sont produites ce mardi à Jérusalem-est, dans  un climat de tension grandissant.         
          Des Palestiniens manifestent en  jetant des pierres sur des policiers israéliens à Jérusalem-est, le 16  mars 2010 (AFP David Furst)
Vendredi, le ministre de la Défense israélien Ehud Barak  annonçait en effet un bouclage total de la Cisjordanie. Depuis, la  situation s’est nettement tendue.
Les Palestiniens manifestent notamment pour « la défense  de Jérusalem », au cœur des frictions avec Israël. Ils protestent en  particulier contre l’inauguration de la synagogue historique de la  Hourva, reconstruite dans le quartier juif de la Vieille ville et perçue  comme une nouvelle provocation israélienne.
Julien Salingue, enseignant et doctorant au département  de sciences politiques de l’université Paris 8 de Saint-Denis, analyse  les facteurs de la mobilisation.
Un climat général pesant
« La colère se cristallise autour des  déclarations de Netanyahu sur les 1600 nouveaux logements à  Jérusalem-Est, mais on ressent quelque chose de beaucoup plus profond au  sein de la population palestinienne », explique Julien Salingue.
Pour le chercheur, « la colère montait  depuis quelques semaines à Jérusalem et dans d’autres villes de  Cisjordanie, avec des manifestations régulières. Deux villages  symboliques du nord de la Cisjordanie, Bilin et Nilin, sont déclarés  "zone fermée" par les Israéliens tous les vendredis, ce qui déclenche  des manifestations ».
Qui manifeste ?
Des incidents (jets de pierres, tirs de grenades  assourdissantes et lacrymogènes, de balles caoutchoutées) ont été  rapportés dans plusieurs lieux de Cisjordanie, notamment dans le camp de  réfugiés de Choufat et dans le quartier arabe d’Issawiyeh.
« C’est toute la jeunesse des camps de  réfugiés qui sort. Ils ont entre 10 et 15 ans, et veulent en découdre  avec les soldats israéliens », analyse Julien Salingue, qui réfute  toute « récupération politique ». « Le mouvement qui est  en train de naître ces dernières semaines n’est contrôlé par personne.  Il n’y a plus de parti ou de factions dans le paysage politique  palestinien qui puisse de toute façon prétendre le faire. »
Julien Salingue voit plusieurs analogies avec la  situation en 1987 et 2000, lors des deux premières Intifadas : « On a la même répression, la même impasse sur le plan  diplomatique. La deuxième analogie, c’est d’un point de vue  générationnel. Comme par le passé, le soulèvement est le fait de gens  très jeunes. Les personnes qui manifestent aujourd’hui n’ont connu que  l’occupation. Leur colère traduit une absence totale de perspectives. »
« En revanche, en 1987, il y avait une  organisation très structurée, autour de comités locaux dans les  villages, dont on est très loin aujourd’hui. Le mouvement national  palestinien est en état de décomposition », nuance-t-il. Peut-on craindre une troisième Intifada ?
Moussa Abou Marzouq, le chef-adjoint du bureau politique  du Hamas, a déclaré depuis Damas que « l’Intifada (soulèvement, ndlr)  doit bénéficier de la participation de toute la société palestinienne ».  Des milliers de Gazaouis ont aussi participé à « une journée de la  colère » pour dénoncer l’inauguration de la synagogue de la Hourva.
Pourtant, comme l’explique Julien Salingue, « une organisation politique ne peut pas décréter l’Intifada.  Celle de 1987, considérée comme la référence, est née d’en bas, dans  les camps de réfugiés. En septembre 2000, c’était la même chose. On a  assisté à une explosion populaire dans les territoires palestiniens ».  Si « le Hamas a tout intérêt à apparaître comme  l’organisation qui prépare le soulèvement, il ne peut en aucun cas être  vu comme étant à l’origine de ce mouvement », analyse-t-il.
Pour l’instant, note le chercheur, « il  est trop tôt pour dire qu’on est passé à un stade supérieur. Mais les  événements d’aujourd’hui peuvent être le déclencheur d’un mouvement plus  profond, notamment s’il y a un mort palestinien dans la rue au cours  des prochains jours ». Un responsable de la police israélienne a  quant à lui déclaré que ces heurts ne s’apparentaient pas à une « troisième intifada », disant espérer « un retour à la normale dimanche ».
Comment expliquer cette  radicalisation ?
Le chercheur décèle trois facteurs. « La  colonisation continue, ce qui signifie des expropriations et des  limitations de déplacements. Il n’y a pas non plus de véritable embellie  économique dans les territoires palestiniens pour la très grande  majorité de la population. Enfin, la rue palestinienne accorde très peu  de confiance à un processus négocié. Il y a un décalage flagrant entre  la rhétorique diplomatique et ce qui se passe sur le terrain. »
Quelle est la position  israélienne ?
REUTERS/Ammar Awad
Selon la police israélienne, qui avait mobilisé 3000  hommes dans la Ville sainte ce mardi, 60 Palestiniens ont été arrêtés et  14 policiers blessés, dont quatre ont été hospitalisés. Du côté des  services d’urgence du Croissant rouge palestinien, on avance le chiffre  de 16 manifestants blessés et hospitalisés. Des dizaines d’autres  auraient été soignés sur place.
Malgré ce déploiement de force impressionnant, la  situation reste délicate : « Au checkpoint de Kalendia,  par exemple, les soldats israéliens sont plutôt habitués à faire face  aux manifestants. A Jérusalem, la situation est beaucoup plus compliquée  à gérer. Du côté israélien, on essaye de canaliser les choses, pour  éviter d’être débordé et qu’il y ait des morts. »
Julien Salingue s’interroge néanmoins sur les récentes  décisions de l’Etat hébreu : « S’il voulait mettre le  feu, le cabinet Netanyahu ne s’y prendrait pas autrement. Il enchaîne  les provocations : construction de 1600 nouveaux logements, inauguration  d’une synagogue dans la Vieille ville de Jérusalem... »
Quant à une éventuelle action de la communauté  internationale, le chercheur observe qu’« il ne semble  pas y avoir de remise en question de la politique israélienne ».  L’envoyé spécial américain George Mitchell a lui reporté d’ici la fin  mars sa visite prévue mardi au Proche-Orient.
                16 mars 2010 - Cet article peut être consulté ici : http://juliensalingue.over-blog.com...
http://info-palestine.net/article.php3?id_article=8364
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