Michèle Sibony
Il n’y a rien de plus juste, moral et  pacifique, de plus éloigné du racisme, que la campagne BDS  internationale.
En dix ans, la communauté  internationale n’a cessé de protéger l’impunité d’Israël. Mais, en dix  ans, Israël a aussi perdu l’image qu’il s’était construite de petit pays  assiégé et victime. Et cela mal gré la désinformation et la stratégie  israélienne de maîtrise des opinions hors de ses frontières, notamment  en Europe, qui fait de toute critique une expression du vieux racisme  antisémite européen. Une stratégie qui n’a pas résisté devant la  violence sans limite exercée contre les populations civiles de Gaza.
L’appel lancé par la société civile palestinienne en  juillet 2005 pour une campagne de boycott,de désinvestissement, et de  sanctions (BDS), afin de contraindre Israël à respecter les décisions  des Nations unies, est aujourd’hui devenu audible. Cet appel, qui permet  de dire stop à Israël en exerçant la pression économique nécessaire  pour le faire reculer, vise aussi nos propres États pour les contraindre  à appliquer les normes du droit international. Une pression pour faire  respecter le droit, rien que le droit, mais tout le droit, contre  l’illégalité israélienne. C’est cela, le BDS, et cela seulement. Une  obligation morale pour les citoyens du monde, en leur âme et conscience,  d’appliquer le droit à la place de nos gouvernements. Cet outil n’a que  la fonction pour laquelle il est forgé : arrêter Israël, obtenir les  sanctions que le droit international exige, protéger par là même ce  droit menacé de disparition pure et simple à force de ne pas être  appliqué.
Comment se décline cette action ? Par le boycott des  institutions et de l’économie israéliennes qui soutiennent colonisation  et occupation, par le désinvestissement des entreprises impliquées dans  cette colonisation et dans l’occupation, et par l’exigence de sanctions  pour imposer l’application du droit international, seul capable de  ramener une paix véritable dans la région et bien au-delà.
Cette campagne est aussi portée en Israël par des  associations et des citoyens inscrits dans le « boycott de  l’intérieur », telle la Coalition des femmes pour une paix juste (près  de 40 associations). Son site « À qui profite l’occupation » permet  d’identifier les entreprises israéliennes et étrangères impliquées. Tel  aussi le Centre d’ Information Alternative, qui publie une brochure  détaillant les implications directes de toutes les institutions  universitaires israéliennes dans l’occupation la colonisation et  l’armée.
En France, au lendemain de l’agression de Gaza, quand on  apprend que Georges Frêche va installer, dans le port de Sète, Agrexco,  l’exportateur de l’agriculture israélienne, dont 70 % des produits  viennent des colonies, une coalition nationale de près de cent  syndicats, partis, associations de droits de l’homme, de solidarité, des  quartiers populaires, se constitue pour lui opposer un refus  catégorique : Sète ne sera pas le portail français de la distribution de  ces produits illégaux dans l’Union européenne. Le refus dépasse  aujourd’hui les frontières françaises, et la coalition devient  européenne, rejointe par des comités suisses, anglais, belges, et la  Coordination européenne des Comités Palestine. L’Europe tout entière  refuse Agrexco.
D’autres actions visent des entreprises françaises comme  Alstom et Veolia, qui construisent le tramway de Jérusalem, outil de  l’annexion illégale de la ville, ou le groupe Carrefour, qui distribue  sans sourciller, malgré sa charte d’engagement sur les droits de  l’Homme, des produits issus de la colonisation illégale. Et les  résultats ne se font pas attendre, Israël s’inquiète. Enfin ! Un haut  responsable israélien aurait même déclaré que cette campagne est plus  dangereuse que le nucléaire iranien. Une cellule de crise est ouverte.  Et les répliques attendues arrivent, avec les habituels serviteurs  communautaires de la politique israélienne actuelle : des attaques  pour« incitation à la haine raciale » !
Toutes les volontés d’assimiler le BDS à une quelconque  forme de délinquance et d’antisémitisme déguisée font mine d’oublier que  le BDS est un outil pacifique qui se fonde sur le droit pour obtenir le  droit. Alors que la délinquance et la violation du droit sont en face,  du côté de ceux qui avancent sur le terrain avec la violence que l’on  sait pour achever la guerre de 1948, ainsi que l’indiquait Sharon en  2001 au congrès américain. Mais la diffamation fait partie de l’attirail  de propagande. Pourtant, il n’y a rien de plus juste, moral et  pacifique, de plus éloigné du racisme, que la campagne BDS  internationale. Sauf à considérer que la Norvège, en désinvestissant ses  fonds de pensions de la société Elbit « pour des raisons morales » ; la  Suède, en refusant de participer à un exercice aérien qui inclut  l’aviation de guerre israélienne ; le gouvernement espagnol, excluant  « l’université d’Ariel » (dans les TOP) de la participation au concours  international qu’il organise sur la « mai-son solaire » ; ou les six  millions et demi de travailleurs anglais assumant le BDS dans leur  congrès commettent des actes antisémites ou d’incitation à la haine  raciale !
Ceux qui critiquent la résistance armée et s’opposent en  même temps à l’appel de la société civile palestinienne à utiliser un  outil non violent et qui se fonde sur l’exigence de respect du droit, le  BDS, peuvent-ils être crédibles ? À moins qu’au fond ils ne  reconnaissent aucune forme de résistance possible aux Palestiniens, et  ne lui laissent que la reddition, seule non entachée du risque  d’atteindre Israël . En fait, ceux-là ne cherchent jamais qu’à protéger  l’État d’Israël dans sa forme et sa nature actuelles.
Comment comprendre, aussi, les cris scandalisés de  certains contre le BDS, alors même qu’ils soutiennent ou laissent faire  sans gêne visible un boycott actif depuis des années contre les victimes  de cette guerre coloniale ?
Certains Israéliens réclament dans la presse le boycott  de la Grande-Bretagne parce qu’elle utilise le boycott contre des  criminels de guerre avérés. The Israel project, une organisation américaine sioniste qui travaille,  selon ses propres termes, à renforcer l’image d’Israël dans les médias  aux États- Unis, en Europe et en Israël (www.theisraelproject.org), réclame l’augmentation  des sanctions économiques contre l’Iran : « les sanctions qui existent n’ont pas encore été assez loin (...) pour  persuader l’Iran de renoncer à sa quête d’armes nucléaires... Vous  trouverez, ci-dessous, les exemples de deux pays – la Libye et l’Afrique  du Sud – qui prouvent que les sanctions peuvent servir d’agents de  changement pacifiques. » Il y a donc à l’évidence des cas où le boycott  n’est pas une incitation à la haine raciale... Cherchez l’erreur.
L’UE s’apprête à nouveau à sanctionner l’occupé, elle a  annoncé qu’elle va mesurer ses aides à l’aune de ses  concessions-renoncements pour la paix. Devant l’indignation que suscite  une telle position, il est permis de se demander ce que signifierait  aujourd’hui un renoncement au seul outil efficace mis en place depuis  dix ans. Le boycott est une pratique courante et admise de la communauté  internationale , mais il est le fruit d’un rapport de force. Il  appartiendra aux sociétés civiles de l’inverser.
Il n’est pas d’exemple de société qui renonce à ses  privilèges si elle n’y est pas obligée ou si elle n’en sent pas le prix.  Jusqu’ici, grâce aux complicités européennes et américaines conjuguées,  la société israélienne n’a pas eu à payer le prix de l’occupation et de  la colonisation, ni même celui des crimes de guerre sur Gaza. Cette  société ignore l’occupation cachée derrière le Mur, et, tournée vers  l’Occident, elle continue à vivre comme si de rien était dans « la bulle  de sa blanche capitale, Tel-Aviv. Pourtant, il faut se rappeler que  c’est en menaçant Israël de sanctions économiques que la conférence de  Madrid, en 1991, avait mis fin à la première Intifada et enclenché un  processus de paix. Si les crimes de guerre ne sont pas sanctionnés, cela  signifie qu’Israël ira plus loin et plus fort la prochaine fois. Cette  politique de pousse-au- crime peut-elle être considérée comme une preuve  d’amitié envers  Israël ? Il est permis d’en douter.
publié par Politis dans son  n° spécial  Mars Avril 2010 : Palestine : grande cause anticoloniale. En  vente depuis jeudi 18 février. Il vient en supplément des hors-série,  et n’est donc pas servi aux abonnés, qui peuvent l’acheter en kiosque  (4,90 euros), le commander au journal ou l’acheter en ligne au format  PDF (4 euros).
"Depuis l’origine de notre journal, en 1988, l’histoire  du conflit israélo-palestinien nous accompagne. "Dans ce numéro, enrichi de nombreux articles et entretiens inédits,  nous invitons les lecteurs à lire ou relire un certain nombre d’articles  publiés dans Politis depuis vingt ans, écrits dans le feu de  l’actualité.(...)"
relayé par l’UJFP