Tribunal Russell sur la Palestine
Lundi 1er mars se tenait à Barcelone la  première session du Tribunal Russell sur la Palestine consacré aux  manquements de l’Union européenne par rapport à l’application des règles  du droit international protégeant la population palestinienne. La  matinée a été consacrée à l’installation du tribunal d’opinion et au  rappel des violations des règles du droit international par Israël.
En ouvrant la séance de  l’après-midi, une lettre adressée par le président de la Commission  européenne M. Barroso a été lue : l’Union entend conforter les efforts  de paix dans la région avec pour objectif la création d’Etat  indépendant, viable, démocratique vivant côte à côte avec Israël.  L’Europe et le Conseil réitèrent leur soutien et la coopération pour la  création de l’Etat de Palestine reconnu en temps opportun. M. Barroso se  dit opposé aux démolitions de maisons, aux expulsions illégales qui  sont des obstacles sérieux à la paix et à la solution à deux Etats. Le   Conseil appelle le gouvernement Israélien à arrêter les extensions des  colonies, immédiatement à Jérusalem-est et dans le Cisjordanie, ainsi  qu’à l’arrêt des « augmentations naturelles » des colonies et pour le  démantèlement des colonies d’après 2001. L’Union réitère son appel pour  que l’aide humanitaire, les biens commerciaux et l’aide aux personnes  puissent se réaliser à Gaza.
L’annexion de Jérusalem-Est
L’annexion de Jérusalem-Est fut le thème de  l’intervention de la palestinienne Ghada Karmi. L’experte décrivit les  formes prises par la colonisation israélienne dans Jérusalem-Est :  colonisation politique en faisant de la ville, annexée en 1967, la  « capitale d’Israël », colonisation physique avec la démolition de  maisons arabes remplacées par des colonies juives, changement  démographique par des politiques de judaïsation en limitant le droit de  résidence des habitants arabes, en limitant leurs droits, en ne leur  donnant pas de permis de construire, en les expulsant. Ainsi, une  population 100 pc arabe en 1967 est passée à 30 pc ! Même l’archéologie a  servi cette politique par des fouilles extensives dans la vieille ville  et à Silwan afin de prouver la présence historique juive de ces sites.  Ces fouilles menacent les fondations des sites islamiques anciens et  menacent de détruire les traces historiques des périodes islamiques et  pré-islamiques.
Des colonies et l’extension du Mur ont privé les  Palestiniens de parties considérables de leur territoire. Et la  restriction sévère de la mobilité des Palestiniens les coupe de ce qui  fut un centre majeur de la vie palestinienne.
Or, tout en rappelant le droit et en condamnant maintes  fois ces agissements illégaux, l’Union européenne n’a jamais exercé de  véritables pressions ni sanctions contre l’Etat d’Israël et n’a jamais  demandé réparation des destructions des installations qu’elle avait  financé. Au contraire, elle a renforcé ses liens politiques, économiques  et scientifiques avec cet Etat, se rendant ainsi complice des  violations des lois internationales.
Mme Ghada Karmi pris l’exemple de l’étroite  collaboration dans le domaine scientifique et éducatif avec Israël qui  jouit d’accès privilégié aux recherches et aux fonds européens. Ce pays  est très admiré par les Européens pour son expertise en recherche et  développement ; Il est donc inclus dans l’accord cadre sur la recherche  européenne (European Research Area) et cela pour 5 ans avec 50 milliards  d’euros dépensés pour ce programme. Huit universités israéliennes  collaborent avec des pays européens. Or, des projets ont lieu dans des  territoires occupés malgré l’opposition de certains parlementaires  européens notamment des Verts. Pour la majorité, la recherche était  considérée comme plus importante que les droits humains ! Il fut précisé  qu’une proportion importante du budget recherche et développement,  environ la moitié est consacrée aux armements. Donc, les fonds européens  y interviennent.
Que faire ? « Le temps est venu pour que les peuples  prennent les choses en main et réclament des comptes à leurs  gouvernements. Que les citoyens d’un pays portent plainte contre leurs  gouvernements n’est pas impossible, ce sont les impôts payés par les  citoyens qui sont canalisés ainsi vers Israël. », souligna Ghada Karmi.
Meir Margalit (Israël) s’exprima comme témoin et en tant  que membre du conseil municipal de Jérusalem et du comité israélien  contre les démolitions des maisons. Il fait partie d’un réseau pacifiste  israélien dont une grande partie du budget vient de l’Union  européenne ! « Nous aimerions renoncer à cet argent si l’UE en  contrepartie adoptait une politique plus radicale, plus claire vis-à-vis  d’Israël, nous avons la sensation que cet argent sert à laver les  consciences européennes ! » Le témoin apporta quelques nuances : l’UE n’est pas une entité univoque.  Ainsi la délégation européenne en Palestine voit les choses de manière  différente de celle qui se trouve à Tel Aviv. D’ailleurs appelée « les  sionistes » par la délégation européenne de Jérusalem ! Celle de Tel  Aviv se plaignant en outre des pressions venues de Bruxelles qui la  freinent dans une politique plus claire. Il exposa ensuite la teneur du  document « secret » des consuls européens de Jérusalem, tenu au secret  par l’Europe mais donné à l’association pour qu’on le diffuse…
Meir Margalit expliqua ensuite qu’on assiste à un  processus de dégénérescence quotidien, le visage de Jérusalem-Est change  progressivement et bientôt on ne pourra plus parler d’une Jérusalem  palestinienne. En attendant, 33 % de la population reçoit 10 % du budget  et cela c’est de la discrimination raciale. Or, les Palestiniens payent  les mêmes impôts que les Israéliens à Jérusalem.  Comment faire changer les Israéliens ? Par de sanctions ou des  incitations ? Si l’Israélien moyen qui veut faire partie de l’Europe  comprend que l’oppression a un prix, c’est-à-dire être rejeté par  l’Europe, alors il réfléchira. Si l’UE l’incite à en finir avec  l’occupation, peut-être changera-t-il. Car Israël ne changera pas de  politique à travers des sanctions car le gouvernement sera encore plus  dur qu’aujourd’hui. Le combat n’est pas juridique mais politique.  L’orateur évoque cependant une sanction qui peut avoir de l’influence  sur la politique européenne : il s’agirait de traiter les Israéliens  comme ils traitent les Européens dans les aéroports !
« Le fantôme de l’holocauste flotte dans l’air et il  empêche l’UE d’être plus claire. L’accusation d’antisémitisme est tout  le temps utilisée. J’ai l’impression que le gouvernement israélien  commencerait à comprendre la situation s’il ne bénéficiait plus de  l’appui international. J’ai l’impression que l’occupation est en train  de s’épuiser toute seule.  Le discours pacifiste est assez répandu  aujourd’hui même dans des groupes de droite. C’est le moment où les amis  d’Israël devraient s’asseoir avec Netanyahu et discuter avec lui  jusqu’à une solution de paix. C’est un moment similaire que celui qu’a  vécu l’Afrique du Sud. Voilà pourquoi ce tribunal est important pour  qu’il puisse faire pression sur l’UE. », déclara Meir Margalit.
Quant au Palestinien Charles Shamas, il parla de la  responsabilité de l’UE. « Ce sont les plus faibles qui s’adressent à la  loi, la question est donc d’appliquer correctement la loi, d’abord. Les  sanctions sont une action politique. » Exemple : l’affaire Brita et le  jugement allemand sur l’importation de ces produits fabriqués dans des  colonies sur un territoire occupé : Israël ne peut être traité comme un  souverain légitime des territoires occupés et donc les règles  commerciales européennes ne peuvent s’y appliquer. » En signant un  traité, les Etats s’engagent à appliquer ces règles dans leur propre  droit national. Mais Israël signe des accords et les met en œuvre  illégalement au sein de l’Union européenne, ce qui provoque une  responsabilité légale des institutions.
Cette première session s’est terminée par la question  des colonies et le pillage des ressources naturelles. Charles  Shamas explique que dans la cadre de la politique de voisinage  européenne, il avait été proposé que tous les accords et tous les  projets financés devaient être formulés et mis en œuvre avec les  obligations auxquelles est contrainte la Communauté européenne ; mais  cela n’a jamais été mis en œuvre. La Commission et le Conseil ont mis de  gros obstacle car ils ne veulent pas que cela débouche sur des lois  concrètes. S’il y avait une véritable mobilisation politique, cela  pourrait changer. Israël doit donc apporter des amendements à ses  législations internes pour se conformer aux règles européennes. Ou alors  c’est la législation européenne qui doit s’appliquer directement dans  le cadre de ces accords.
Exemple : la banque européenne d’investissement a une  législation européenne très claire et donc, pour recevoir cet argent il  faut se conformer au droit européen. Autre exemple : à Jérusalem, des  biens immobiliers dans les colonies sont à vendre sur le marché  européen, des banques israéliennes opérant en Europe sous législation  européenne font des hypothèques sur ces propriétés dans les colonies.  Or, légalement parlant, à côté de Jérusalem, les terres sur laquelle ces  colonies ont été construites ont été expropriées par le ministère des  Finances israéliens par le biais du commandant des armées. Or, la Grande  Bretagne et d’autres Etats membres ne reconnaissent pas ces actes  administratifs.
Les pressions sont plus efficaces en ce qui concerne les  entreprises privées : la pression de l’opinion publique nuit à l’image  de marque des entreprises commerciales.
Un autre témoignage fut celui de l’Irlandais James  Phillips : « Israël pratique l’apartheid et le nettoyage ethnique, ce  n’est une démocratie que si on est Juif », affirme-t-il. En 1967, l’Etat  a occupé le Golan, Gaza, la Cisjordanie, un moment idéal où il pouvait  échanger la terre contre paix. L’Etat ne l’a pas fait et a immédiatement  établi des colonies en Cisjordanie et à Gaza en tant qu’occupant  militaire et a confisqué la terre de nombreux Palestiniens. Déjà en  1948, 750.000 Palestiniens ont été chassés de leur terre. Ensuite les  colonies ont été renforcées, installées à des endroits appropriés pour  s’assurer que si le jour arrivait où existerait l’Etat palestinien il  serait inviable par la discontinuité territoriale créée par les colonies  et cela au nom de la sécurité d’Israël. Cet Etat est une puissance  nucléaire et l’argument selon lequel le Mur et les colonies sont  nécessaires à sa sécurité n’est même plus évoqué par les Israéliens, il  s’agit purement et simplement de confiscation des terres. La population  civile est chassée des territoires de manière délibérée. De plus, Israël  fait de l’argent avec l’occupation : pour chaque profit généré 60%  rentre dans les caisses de l’Etat.
« Le Mur est le crime parfait car il crée la violence  qu’il est censé empêcher.  La violence des colons contre les  Palestiniens n’est quasi jamais sanctionnée. » L’effet immédiat des  colonies est le retard dans le processus d’autodétermination, le  territoire est fractionné, la population déshumanisée physiquement et  psychologiquement. On chasse les Palestiniens de leur terre car leur vie  devient impossible, c‘est une politique de nettoyage ethnique.
L’eau, ressources naturelle, est utilisée cinq fois plus  par les colons que par les Palestiniens, les nappes phréatiques en  territoire palestinien sont sous contrôle total des Israéliens qui ne  donnent pas l’autorisation de creuser des puits…
Au large de Gaza, les familles palestiniennes ne peuvent  pêcher, elles n’osent même pas aller sur la plage car les Israéliens  tirent depuis les bateaux. Ajoutons à cela le régime des check points  qui ôtent leur dignité aux palestiniens et empêche la réunion des  familles et contribue à détruire l’économie palestinienne avec cruauté.  C’est un génocide lent, accuse James Phillips. Or, il y a suffisamment  de lois qui pourraient protéger les Palestiniens. Le seul problème est  qu’elles ne sont pas appliquées. Les personnes en charge de faire  respecter ces lois manquent à leurs obligations. Elles devraient  comparaître devant une cour internationale de Justice. Il faudrait aussi  suspendre l’accord économique avec Israël, L’UE devrait dénoncer Israël  pour ses crimes et les dommages infligés aux traités, aux accords et à  la législation européenne.
L’orateur expliqua aussi comment on a effacé la présence  palestiniennes sur les terres confisquées : à l’emplacement des  villages palestiniens rasés, on a planté des milliers de pins européens  afin de dissimuler le passé et aucune référence n’est faite de la  présence historique des Palestiniens. D’autres terres ont été simplement  éliminées des registres et donc les Palestiniens ne peuvent pas les  revendiquer ni obtenir des compensations. Les indemnisations sont  devenues impossibles car il s’agit de milliards d’euros de même que l’on  rend impossible le droit au retour des réfugiés.
Autre réquisitoire fort : celui de Michael Sfard, avocat  israélien, travaillant dans le droit humanitaire. Il a voulu apporter  des faits et des chiffres sur les colonies. Il y a 120 colonies en  Cisjordanie. Plus de la moitié des colons juifs se sont installés en  Cisjordanie après les accords d’Oslo ! 20 % de colons possèdent 80 % de  la terre. La construction n’est qu’une manière de faire croître les  colonies mais il y a aussi la violence que les colons exercent contre  les Palestiniens pour reculer sans cesse les limites de leurs terres. Il  y a aussi le processus de planification administrative continue : plus  de 4 nouveaux plans de nouveaux quartiers pour des colonies approuvées  après l’annonce du gel des colonies ! Cela annonce le boum de la  construction ! Les colonies sont une créature qui ne peut que grandir…  son essence est d’absorber de plus en plus de terres. En Israël, il y a  une norme juridique particulière pour les colonies et les colons se  trouvent dans une bulle légale : Israël n’a pas annexé la Cisjordanie  mais elle applique ses propres lois dans les colonies et pour les  colons. Il n’y a pas une loi pour un Juif et une autre pour un non Juif.  Les commandants militaires appliquent à travers des ordres militaires  la loi israéliennes aux colons et dans les voisinages des colonies :  c’est cela la bulle légale qui entoure le colon, même dans sa voiture.  Il s’agit d’une définition légale et en conclusion certaines politiques  appliquées par Israël à travers cette zone géopolitique qu’est  Cisjordanie et Gaza constituent un crime d’apartheid.
Troisième aspect abordé par Michael Sfard :  l’exploitation des ressources naturelles. Le sol de Cisjordanie est  transporté en Israël : 12 millions de tonnes de graviers sont extraites  par des compagnies israéliennes, européennes, américaines. Environ 9  millions de tonnes sont utilisées par le secteur de construction  israélien et le reste va certainement dans les colonies… et une partie  vendue aux Palestiniens ! C’est une violation du droit collectif des  Palestiniens : ils n’ont pas de souveraineté sur leurs propres  ressources naturelles, un des droits les plus importants pour les  populations.
Question d’un membre du jury : est-il temps pour  l’Europe de mettre fin aux relations avec un Etat voyou ?
Réponse de Michael Sfard : Israël n’a pas encore atteint  le stade d’Etat voyou, il s’agit d’un Etat qui n’a jamais été traité  sérieusement par rapport à ses fautes. L’Europe ne devrait plus octroyer  de tarifs douaniers préférentiels aux produits des colonies. Il faut  commencer par la base : le désinvestissement des colonies qui vivent  grâce au commerce avec l’Europe. Il faut faire comprendre à Israël qu’il  y a un prix pour ce qu’il fait.
La deuxième journée de la session, mardi 2 mars, devrait  examiner les questions suivantes : les accords d’association EU-Israël,  le blocus de Gaza et l’opération « plomb durci », le mur construit dans  les territoires palestiniens occupés.
Informations complémentaires : www.russelltribunalonpalestine.org La session est retransmise en direct sur http://www.bcnsolidaria.tv/tv/