Face à la crise au Proche-Orient, les gouvernements africains ne savent où donner de la tête. Si l’Union africaine
 s’est empressée de condamner « l’agression d’Israël contre le peuple 
palestinien », à titre individuel, les Etats membres ont choisi de 
suivre chacun sa voie…
En Afrique, la diplomatie est 
généralement une affaire – bien assumée – de ventre. D’abord, les 
nécessités du ventre – autrement dit, le besoin d’aide pour nourrir le 
développement; ensuite, la danse du ventre, pour séduire les généreux 
donateurs.
Dans la sphère francophone, le cas qui 
fait le plus sourire les diplomates est celui du Sénégal, pays disposant
 d’une diplomatie généralement active et… lucrative.
On se souvient que dans les années 1980 
et 1990, Taiwan avait lancé une grande offensive diplomatique en 
Afrique, se faisant reconnaître par une dizaine d’Etats.
Diplomatie du chéquier
Cette reconnaissance avait bien entendu 
un prix. C’est ainsi que Taiwan n’hésitait pas à sortir le chéquier pour
 soutenir les pays du continent qui lui avaient fait l’honneur de le 
reconnaître comme seul représentant légitime du peuple de Chine: le 
Burkina Faso, la Gambie et… le Sénégal, entre autres.
Le revers de la médaille de cette 
diplomatie du chéquier, c’est bien évidemment que la Chine rompait 
systématiquement ses relations avec tout pays reconnaissant Taiwan.
Les enjeux tiennent sur une calculette: il n’est que de comparer le montant de l’aide reçue de Pékin à celui de Tai Pei, pour faire un choix.
Les enjeux tiennent sur une calculette: il n’est que de comparer le montant de l’aide reçue de Pékin à celui de Tai Pei, pour faire un choix.
Dakar avait ainsi pu, entre 2001 et 
2005, « siphonner » plus de 200 milliards de Francs CFA d’aide de 
Taiwan. Arrivé au pouvoir en 2000, Abdoulaye Wade avait poursuivi 
quelque temps cette relation initiée en 1996 par son prédécesseur, Abdou
 Diouf.
Puis, sentant le vent tourner et la 
Chine se lever, il a compris que son pays avait parié sur le mauvais 
cheval et a subséquemment entrepris de rectifier le tir…
De sa plus belle plume, le président 
sénégalais écrivait ainsi à son homologue taïwanais, Shen Shu Bian, 
citant la célèbre phrase du général de Gaulle : «Les Etats n’ont pas 
d’amis, ils n’ont que des intérêts…»
Realpolitik
Ce qui a valu en son temps pour Taïwan, 
vaut aujourd’hui pour Israël: en mal de reconnaissance internationale et
 avec le puissant appui financier et diplomatique des Etats-Unis, Tel 
Aviv a su surmonter son péché originel et se faire accepter dans la 
plupart des cercles diplomatiques internationaux
La plupart des pays africains, 
progressistes ou non, qui tournaient le dos à Israël dans les années 
1980, ont cédé à la realpolitik.
A ce jour, seule une douzaine de pays 
africains irreductibles n’entretiennent pas de relations diplomatiques 
avec Israël, mais faute de reconnaitre l’Etat juif de jure, ils le reconnaissent de facto.
Un diplomate africain me confiait 
récemment : « Les Etats arabes nous ont aidés à nous débarrasser de 
l’apartheid. C’était la moindre des choses de les aider à se débarrasser
 du sionisme. Mais le sionisme a la peau dure, c’est une réalité têtue 
et puissante comme un vent brûlant d’Orient. »
En privé, la plupart des chefs d’Etat 
africains ont du mal à contenir leur colère, face aux « guerres 
saisonnières » d’Israël contre les Palestiniens ou à la « mauvaise foi » de ses premiers ministres successifs, « plus préoccupés d’écrire l’histoire du peuple juif que d’écrire l’histoire commune de l’humanité. »
Rares, voire inexistants, sont les 
dirigeants qui osent prendre publiquement position contre Israël, de 
peur de voir tomber sur eux une pluie de protestations qui laissent bien
 souvent des dégâts sous la forme de déstabilisation, de coups d’état ou
 de menaces de CPI.
Plutôt que de s’en mêler, ils préfèrent laisser à l’Union africaine le soin d’aller au charbon.
« Chacun pour soi, Dieu pour tous »
C’est ainsi que l’UA a récemment publié 
un communiqué de principe, dénonçant « l’agression israélienne contre 
les Palestiniens » et réitérant « le soutien total de l’Union africaine 
au peuple palestinien, comme réaffirmé dans la décision 
Doc.EX.CL/848(XXV) adoptée par le Sommet lors de la 25e session 
ordinaire du Conseil exécutif de l’Union africaine tenue en juin 2014 à 
Malabo (Guinée équatoriale), dans la recherche de la restitution de leur
 droit légitime d’établir un État indépendant, coexistant pacifiquement 
avec l’État d’Israёl. »
« Si l’opération militaire israélienne à
 Gaza avait concerné un dirigeant africain et non le premier ministre 
israélien, il y a longtemps que les gendarmes de la Cour pénale 
internationale auraient frappé à sa porte », se plaint ainsi un 
fonctionnaire du ministère sénégalais des affaires étrangères.
Cette attitude de prudence des Etats 
africains s’est du reste confirmée en partie cette semaine, lors du vote
 de la résolution du Conseil des droits de l’homme de l’ONU au sujet d’une possible enquête sur l’offensive israélienne à Gaza.
Sur les 47 pays membres du conseil, 29 
ont voté pour l’ouverture d’une enquête, 17 se sont abstenus et un seul a
 voté contre: les Etats-Unis.
Les pays qui ont voté pour l’ouverture d’une enquête sont, dans l’ordre alphabétique: l’Algérie, l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Chine, la République
 démocratique du Congo, le Costa Rica, la Côte d’Ivoire, Cuba, 
l’Éthiopie, l’Inde, l’Indonésie, le Kazakhstan, le Kenya, le Koweït, les
 Maldives, le Mexique, le Maroc, la Namibie, le Pakistan, le Pérou, les 
Philippines, la Russie, l’Arabie saoudite, la Sierra Leone, les Émirats 
arabes unis, le Venezuela et le Vietnam.
Les pays qui se sont abstenus sont l’Autriche,
 le Bénin, le Botswana, le Burkina Faso, la République tchèque, 
l’Estonie, la France, le Gabon, l’Allemagne, l’Irlande, l’Italie, le 
Japon, le Monténégro, la Corée du Sud, la Roumanie, la République de 
Macédoine et le Royaume-Uni.
En d’autres termes, sur la dizaine de 
pays africains représentés au conseil des droits de l’Homme, quatre se 
sont abstenus – ou, pour tout dire, ont voté contre.
En revanche, l’ensemble des pays d’Amérique latine représentés au conseil, soit neuf au total, ont voté pour.
Cette attitude serait passée, dans les 
années 1980, pour de la trahison. Mais en 2014, c’est une attitude de 
raison, motivée par l’oseille et le pouvoir.
C’est que les temps ont changé. Pour les
 uns, pragmatiques, l’Afrique a mûri; pour les autres – et j’en suis -, 
elle a perdu son âme…