Yousef M. Aljamal - The Electronic Intifada 
Mouhammad est un réfugié de la seconde génération qui a un passé tragique de déplacements forcés et d’aliénation.
Réfugiés palestiniens en Syrie en 1948 - Beaucoup de Palestiniens ont été confrontés à de multiples déplacements depuis le premier exil forcé de leurs familles chassées de Palestine - Photo : Nations Unies 
Il est né et a grandi en Irak dans une famille palestinienne chassée de son village d’Aqir en Palestine historique.
Le 4 mai 1948, Aqir a été envahi par une milice sioniste qui a tué et
 kidnappé ses habitants et détruit leurs maisons. La plus grande partie 
des villageois se sont enfuis et ceux qui sont restés ont été chassés 
quelques semaines après.
En décembre de la même année, la nouvelle armée israélienne, 
craignant le retour des Palestiniens bannis, avait déjà installé des 
Juifs qui venaient d’immigrer en Israël dans les maisons du village, 
comme le relate l’historien Benny Morris dans son ouvrage : L’origine du
 problème des réfugiés palestiniens doit être repensée*.
Aujourd’hui, les Israéliens connaissent Aqir sous le nom de Kiryat Ekron.
En écoutant Mouhammad, qui nous a demandé de ne pas révéler son 
identité pour des raisons de sécurité, les mots du romancier 
palestinien, Ibrahim Nasrallah, me sont venus à l’esprit : "Il nous 
faudrait des coeurs beaucoup plus gros pour pouvoir contenir tant de 
malheur."
L’histoire de la Palestine, de 1948 à nos jours, est toute entière contenue dans l’histoire de Mouhammad.
“Mourir dans le désert”
Quand les Etats-Unis ont envahi l’Irak en 2003 Mouhammad s’est enfui 
en Jordanie. Là il a été enfermé quatre mois dans le camp de réfugiés de
 al-Rweished dans le désert à la frontière entre l’Irak et la Jordanie.
Cet homme élancé qui semble avoir la quarantaine a perdu son fils 
aîné atteint de leucémie dans ce camp. Mouhammad a finalement réussi à 
entrer en Jordanie parce qu’il était marié avec une palestinienne 
jordanienne.
"L’histoire a fait beaucoup de bruit dans les médias. Ils se sont mis
 à parler de l’enfant d’un Jordanien en train de mourir dans le désert",
 se souvient-il.
Sous la loi jordanienne, l’époux non jordanien d’une femme 
jordanienne n’acquiert pas la citoyenneté ni le droit de résidence qui 
va avec, mais les Palestiniens du camp qui étaient mariés à des 
Jordaniennes bénéficiaient d’une exception royale et pouvaient entrer 
dans le pays tandis que les autres Palestiniens restaient des années 
dans le désert.
La plupart des réfugiés furent finalement envoyés au Brésil. La 
situation en Jordanie n’était pas bonne et Mouhammad ne parvenait à 
trouver du travail pour nourrir sa famille. Ils ont été obligés de 
rentrer en Irak. Mais à cause des luttes entre factions qui ont suivi 
l’invasion étasunienne, il était impossible de trouver du travail et de 
vivre en Irak. En 2006, Mouhammad et sa famille émigrèrent en Syrie.
Hélas, la crise syrienne qui s’est déclenchée en mars 2011 a obligé la famille à déménager une fois de plus.
En novembre 2013, Mouhammad qui était en train de chercher de la 
nourriture a été arrêté à un checkpoint et appréhendé par l’armée 
syrienne.
Torturé en prison
Mouhammad a été torturé pendant 40 jours et il a perdu 30 kg.
Quand je l’ai rencontré, Mouhammad m’a décrit les terribles 
conditions de sa détention dans une prison misérable et surpeuplée : “On
 était obligé de se serrer pour laisser de la place aux blessés.”
Au bout de 40 jours, Mouhammad a dû choisir entre être envoyé dans 
une prison en Irak, son pays de naissance, ou être déporté dans un pays 
qui voudrait bien de lui.
Sa femme a dû vendre ses bijoux pour lui acheter un billet d’avion et
 payer des pots de vin aux officiers de sécurité. L’Egypte a refusé de 
le laisser aller à Gaza parce qu’il n’avait pas de carte d’identité 
palestinienne (ces cartes sont délivrées par Israël par l’intermédiaire 
de l’Autorité Palestinienne), bien qu’il ait été en possession d’un 
passeport palestinien délivré par l’Autorité Palestinienne.
Un appel de Gaza
Hisham, un étudiant palestinien de Kuala Lumpur a reçu un appel de sa
 famille de Gaza lui disant qu’un Palestinien en provenance de Syrie 
dont la mère habitait à côté de sa famille à Gaza, devait arriver en 
Malaisie le jour suivant.
Hisham a couru à l’aéroport le jour suivant avec une pancarte où 
était marqué le nom de Mouhammad. Un homme qui descendait de l’avion lui
 a fait signe. C’était Mouhammad.
Il s’est joint à un groupe de Palestiniens et c’est là, en Malaisie, 
que je l’ai rencontré. Une fois installé Mouhammad a appelé sa famille 
en Syrie, Palestine et Irak. Puis il a appelé les ambassades de tous les
 pays pour essayer d’obtenir un visa. Mais elles ont toutes refusé.
Il est resté en Malaisie au delà de son permis de séjour et a dû 
payer une lourde amende. On lui a donné une semaine pour quitter le pays
 et on lui a interdit d’y revenir avant deux ans. Son frère lui ayant 
obtenu un visa de tourisme pour l’Irak, il a décidé d’y repartir.
Amertume
Mouhammad parle de la situation des Palestiniens avec amertume : 
“Quand la crise a éclaté en Syrie, cela a été très dur pour les 
Palestiniens. Une partie des Syriens nous accusait de soutenir le régime
 syrien et l’autre de le trahir.”
En février dernier Mouhammad a réussi avec de l’aide à réunir assez d’argent pour acheter un billet pour l’Irak.
Mouhammad sait ce que c’est d’être palestinien : sa famille est en 
Syrie, il n’a ni futur, ni alternative, il est ballotté d’un endroit à 
un autre ; son père a été chassé de son village natal de Palestine par 
des gangs sionistes et il est né en exil.
Il sait ce que c’est que d’avoir perdu sa patrie et d’être un éternel
 réfugié toujours en quête d’un passeport. Il sait ce que c’est que de 
se sentir coupable d’être palestinien, lui dont le fils est mort dans le
 désert et la famille échouée en Syrie. Il sait ce que c’est que la 
torture.
Il sait ce que c’est que de n’avoir nulle part où aller. Mais le pire
 de tout c’est que toute la famille soit séparée : ses frères et lui 
sont en Irak, ses enfants et sa femme en Syrie et sa mère et son cœur en
 Palestine.
* Yousef M. Aljamal est un traducteur basé à Gaza où
 il tient un blog. Il est l’un des deux traducteurs de The Prisoners’ 
Diaries : Palestinian Voices from the Israeli Gulag.
Note :
* The Birth of the Palestinian Refugee Problem Revisited.
28 février 2014 - The Electronic Intifada - Pour consulter l’original : http://electronicintifada.net/conte...
Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet
Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet