Ramzy Baroud
Ces dernières semaines, il y a eu des échanges de plus en 
plus durs entre le président de l’Autorité palestinienne et de l’OLP 
Mahmoud Abbas et le leader expulsé du Fatah, Mohammed Dahlan, qui 
prépare un retour et la prise de contrôle du mouvement palestinien. 
Ramry Baroud examine l’arrière-plan de la dispute.
Abbas, à g., et Dahlan, à d., plus menteurs et voleurs l’un que l’autre 
Quand feu le leader palestinien Yasser Arafat était confiné par les 
soldats israéliens dans son QG de la ville palestinienne de Ramallah, 
Mohammed Dahlan régnait en maître. Sans doute le membre le plus puissant
 et efficace du « gang des cinq » du Fatah, il dirigeait les affaires de
 l’organisation, se coordonnait avec Israël sur les questions 
sécuritaires, négociait et passait des accords sur les affaires 
régionales et internationales.
C’était la période entre mars et avril 2002, une autre époque. En ce 
temps-là, Dahlan - ancien ministre de l’autorité palestinienne (AP), 
ancien conseiller à la sécurité nationale, ancien chef du service de 
sécurité préventive (PSS) à Gaza, connu notoirement pour ses liens avec 
la CIA et avec d’autres services de renseignements arabes et pour ses 
techniques innovantes de torture - était (presque) le Palestinien le 
plus puissant. Tous ses rivaux avaient opportunément, ou par 
coïncidence, été marginalisés. Arafat avait été emprisonné dans son 
bureau de la Mouqataa, et le premier concurrent de Dahlan, Jibril 
Rajoub, leader du PSS en Cisjordanie, avait été discrédité d’une manière
 très humiliante. Au cours de la répression la plus violente de la 
deuxième Intifada par Israël entre 2000 et 2005, Rajoub avait livré le 
siège du PSS avec tous ses prisonniers politiques palestiniens - surtout
 de Hamas et d’autres groupes d’opposition - à l’armée israélienne et 
était parti. Depuis cela, l’étoile de Rajoub était tombée dans un sombre
 chapitre de l’histoire palestinienne. Mais pour Dahlan, c’était un 
nouveau départ.
Sombre histoire
Pour affirmer leur nouveau pouvoir, les milices du Fatah loyales à 
Dahlan et à son « gang des cinq » firent comprendre clairement à tous 
les leaders ambitieux du Fatah que le mouvement avait une nouvelle 
direction. Le gang des cinq avait « mis à l’ombre la faction de 
Cisjordanie de Jibril Rajoub », rapporta UPI, « et les hommes de Dahlan 
ont même raflé des équipes de voyous de Rajoub ». Le gang des cinq 
consistait en Dahlan, le ministre des O.N.G. Hassan Asfur, le chef 
négociateur Saeb Erakat, Mohammed Rashid et Nabil Sha’ath. Asfur et 
Rashid avaient récemment refait surface avec des accusations de 
corruption et d’implication dans des meurtres. Il s’agitaient tous pour 
un retour aux négociations directes avec Israël, appelaient à la fin de 
l’Intifada, particulièrement sous sa forme armée, et voulaient 
restructurer les services de sécurité de l’AP en une seule organisation 
dirigée par Dahlan, soutenue par la CIA et par les agences de 
renseignements de l’Égypte, de la Jordanie et de l’Arabie Saoudite.
Ce n’est pas une histoire dont la direction du Fatah, y compris 
Dahlan, aime se souvenir. Une telle histoire est trop dangereuse car 
elle souligne la réalité qui entourait, et continue de façonner la 
classe dirigeante de l’AP à Ramallah, dont la portée a affecté tous les 
aspects de la vie palestinienne. L’AP a mis à l’écart l’Organisation de 
libération de la Palestine (OLP) et le Conseil national palestinien 
(CNP) autrefois prééminents. Malgré ses défauts et ses manques, le CNP 
avait servi de parlement pour les Palestiniens de partout. Beaucoup de 
Palestiniens ont été désolés de réaliser qu’un seul parti, le Fatah - ou
 plus correctement un petit groupe dans un mouvement qui fut 
révolutionnaire, dominait complètement les décisions politiques 
palestiniennes, l’assistance économique et plus.
La deuxième Intifada, qui commença en septembre 2000, contrairement à
 la première Intifada de 1987, fit beaucoup de mal. Il semblait lui 
manquer une unité d’objectif, elle était plus militarisée, et elle 
permit à Israël de réarranger la scène politique post-Intifada et 
post-Arafat de manière à privilégier ses alliés fiables dans le camp 
palestinien. Dahlan et l’actuel président de l’AP, Mahmoud Abbas, élu en
 2005 pour cinq ans, furent épargnés des purges israéliennes. Hamas 
perdit plusieurs niveaux de sa direction, comme le Djihad islamique et 
le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) qui, comme 
d’autres groupes de gauche, souffrit de répression et d’assassinats 
massifs. Même les militants de Fatah payèrent un prix terrible en sang 
et en emprisonnements à cause du rôle dirigeant qu’ils avaient joué dans
 l’Intifada. Mais pour Abbas et Dahlan, ce fut plus confortable. En 
fait, au moins pour quelque temps, l’issue de l’Intifada a été 
bénéficiaire pour certains leaders palestiniens qui avaient été relégués
 à des rôles mineurs. Les manigances israéliennes et la pression 
américaine ont aidé à les mettre en lumière.
Dahlanistan
Douze ans plus tard, Abbas et Dahlan sont à nouveau au centre de 
l’attention. Abbas, 79 ans, est un président vieillissant d’une autorité
 qui a accès au fonds mais ni souveraineté ni pouvoir politique (hormis 
celui permis par Israël) ; Dahlan, 52 ans, est en exil en Égypte après 
que ses supporters aient été chassés de Gaza par Hamas en 2007, puis de 
Cisjordanie par son propre parti en juin 2011. Ceci a eu lieu après 
qu’il fut accusé de corruption et de responsabilité dans 
l’empoisonnement d’Arafat pour le compte d’Israël. Mais Dahlan, aidé par
 de puissants amis en Égypte et dans le Golfe, et par ses vieux contacts
 en Israël et aux USA, complote un retour.
Abbas sait que son pouvoir s’approche d’une transition délicate, pas 
seulement à cause de son âge. Si le 29 avril, date limite de la 
médiation fixée par le secrétaire d’État US John Kerry, passe sans 
résultat substantiel, comme ce sera vraisemblablement le cas, il ne sera
 pas facile pour Abbas de garder sous contrôle les différentes cliques 
du Fatah en compétition. Et comme avec perspicacité Dahlan trouve et 
manipule les points faibles pour réaffirmer sa pertinence à un milieu 
politique qui l’a plusieurs fois rejeté, Abbas se lance en prévision 
d’une épreuve de force. Dahlan répond en nature, en partie par les ondes
 qui lui sont généreusement accordées par les médias égyptiens. Le Fatah
 est à nouveau en crise, et à cause de sa domination politique, toutes 
les institutions politiques palestiniennes vont en souffrir.
Comment est-il possible que Dahlan, accusé de crimes épouvantables 
pendant son règne à Gaza, reste pertinent ? Il a été accusé de torture, 
d’espionnage pour Israël et d’assassinats pour son compte. De plus, 
d’après une enquête de Vanity Fair d’avril 2008, il a tenté un coup 
d’Etat à Gaza contre le gouvernement élu de Hamas qui a conduit à une 
guerre civile, à la prise de pouvoir de Hamas à Gaza, et à approfondir 
la désunion qui nuit toujours aux Palestiniens. Avant son expulsion par 
Hamas, Dahlan avait commandé une force sécuritaire de 20 000 hommes dans
 Gaza appauvri, et dirigé une unité spéciale financée et entraînée par 
la CIA. La bande de Gaza était qualifiée par certains, moquerie 
éloquente, de Dahlanistan.
Même après avoir été banni à la fois par le Fatah et Hamas, le nom de
 Dahlan a continué à être associé à des conflits sanglants dans d’autres
 parties du Moyen-Orient. En avril 2011, le conseil national de 
transition de Libye l’a accusé de liens avec une cache d’armes 
israéliennes qui auraient été reçues par l’ancien leader libyen Mouammar
 Kadhafi. Le nom de Rashid était aussi mentionné par les Libyens. Le 
Fatah a promis une enquête - particulièrement parce que Rachid était 
membre du comité central du Fatah, mais l’incident n’a été qu’un autre 
chapitre dans une pile montante d’enquêtes sur les crimes attribués à 
Dahlan.
Hamas, le « dénominateur commun »
C’est devenu plus moche quand un leader de Hamas, Mahmoud al-Mabhouh,
 fut assassiné à Dubaï en janvier 2011. Tandis que Hamas maintient que 
le Mossad était derrière l’assassinat (comme l’a prouvé la vidéo), deux 
des suspects arrêtés à Dubaï pour leur implication supposée et pour 
avoir fourni un soutien logistique à l’équipe du Mossad- Ahmad Hassanain
 et Anwar Shheibar – travaillaient pour une entreprise de construction 
de Dubaï appartenant à Dahlan. Curieusement, leurs CV les lient aussi à 
une cellule d’exécutions de Gaza commandé par Dahlan, vouée à supprimer 
les désaccords parmi les groupes palestiniens.
La prise de bec actuelle entre Abbas et un Dahlan qui a relevé la 
tête confirme les nombreuses suspicions des détracteurs du Fatah 
concernant le rôle de la direction du mouvement dans la conspiration 
avec Israël pour détruire la résistance. Bizarrement, cependant, Abbas 
et Dahlan continuent de se présenter comme les sauveurs des 
Palestiniens, tout en s’accusant mutuellement de collaborer avec Israël 
et être un larbin des Américains. Ça n’amuse pas la plupart des 
Palestiniens, et même le dirigeant de Hamas Mousa Abu Marzouk a appelé 
Abbas et Dahlan à « se retenir d’échanger des accusations qui ne servent
 que les intérêts israéliens ». Il ajouta « Hamas prend ses distances 
avec les querelles entre Abbas et Dahlan, malgré même que [Hamas] soit 
un dénominateur commun entre les deux parties ».
Le commentaire d’Abu Marzouk sur le « dénominateur commun » se 
référait à la liste des accusations d’Abbas contre Dahlan, dont le rôle 
supposé de ce dernier dans les assassinats du leader de l’Hamas Salah 
Shehadeh, de sa famille et de plusieurs voisins dans une frappe aérienne
 israélienne en 2002. Abbas laissa aussi entendre que Dahlan avait aussi
 joué un rôle dans l’empoisonnement d’Arafat en 2004. Le président de 
l’AP se référait à « trois espions » qui travaillaient pour Israël et 
avaient conduit des assassinats de Palestiniens de haut niveau. Outre 
Dahlan, et se référait à Hassan Asfur, un autre membre du « gang des 
cinq ». Hamas a immédiatement demandé une enquête.
Une question évidente est : si Dahlan était impliqué dans ces crimes 
au su des leaders du Fatah et des dirigeants de l’AP, pourquoi ont-ils 
continué de confier à Dahlan des responsabilités névralgiques ? Le 
timing des commentaires d’Abbas n’est pas arbitraire. Abbas est de plus 
en plus inquiet d’une tentative, impliquant les puissances régionales, 
pour réimplanter Dahlan sur la scène politique palestinienne. Pour 
Ramallah, le séjour confortable de Dahlan en Égypte, les rencontres 
fréquentes avec des hauts dirigeants de l’armée égyptienne et l’accès à 
de vastes sommes d’argent sont des sources d’inquiétude.
Accès aux médias
La plate-forme médiatique de la réponse de Dahlan le 16 mars fut 
intéressante. Il lança son attaque sur la chaîne privée de télévision 
Dream2 en Égypte. Lors d’une interview qui dura des heures, Dahlan se 
fit attribuer un espace incontesté pour présenter son programme 
politique. « Le peuple palestinien ne peut plus supporter une 
catastrophe comme Mahmoud Abbas » a dit Dahlan. « Depuis le jour où il a
 pris le pouvoir, les tragédies ont frappé le peuple palestinien. Je 
suis peut-être un de ceux qui portent le blâme pour avoir amené cette 
catastrophe sur le peuple palestinien ».
La responsabilité de Dahlan pour avoir « amené » Abbas au pouvoir 
n’est pas claire, mais il est clair que l’épreuve de force entre les 
deux hommes qui ont été alliés contre Arafat a atteint un nouveau 
niveau. Dahlan tenta d’avoir une allure de chef d’État, mais il échoua. 
« Je ne veux pas m’installer dans ce discours ridicule dans lequel 
Mahmoud Abbas s’est couvert de honte » a dit l’ancien chef de la 
sécurité. « Il s’en fiche si d’autres gens l’insultent ou s’il se fait 
honte. Il a l’habitude que les gens le traitent avec mépris… Quand (le 
Fatah était) en Tunisie, ils l’appelaient le président de l’Agence 
Juive ».
Quand Hamas a investi la maison de Dahlan à Gaza en 2007, ils ont 
découvert une énorme cachette d’armes non immatriculées et des milliers 
de balles. Des piles de photographies de lui avec des hauts militaires 
et agents du renseignement israélien ont aussi été trouvées. Les photos 
suggéraient des relations amicales entrent Dahlan et les leaders 
israéliens responsables d’une violence substantielle contre les 
Palestiniens.
Mais les aventures de Dahlan, semble-t-il, ne se restreignent pas à 
des déclarations sauvages sur le président de l’OLP. Ses supporters dans
 le désert du Sinaï sont suspects de causer des ravages et d’être partie
 intégrante de la violence dans la région. Et sa femme a été accusée de 
distribuer de grosses sommes d’argent à des Palestiniens sélectionnés 
dans les camps de réfugiés au Liban. L’histoire de Dahlan va monter, et 
elle est liée intimement au coup d’état égyptien et au rôle de l’Égypte 
dans la région. Les membres et supporters du Fatah qui ne sont loyaux ni
 à Abbas ni à Dahlan croient que leur mouvement doit revenir à son 
identité révolutionnaire, la raison même de son existence.
* A lire aussi : Choc à Gaza
* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr
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Traduction : CCIPPP - JPB