Joe Catron
Près de deux cents détenus administratifs palestiniens,
emprisonnés indéfiniment sans inculpation ni jugement en vertu des
ordonnances des tribunaux militaires israéliens, ont annoncé leur
intention de lancer dès ce jeudi, une grève de la faim de masse pour
leur liberté.
- Um Ibrahim (au centre) assure une présence constante au sit-in hebdomadaire devant le bureau de la Croix-Rouge dans la ville de Gaza - Photo : APA/Mohammed Asad
L’information est arrivée alors que des manifestations et évènements à
travers la Palestine et le monde commémoraient pour la 40e année, la
Journée des prisonniers palestiniens.
Des milliers de personnes ont visité une exposition sur la place
Saraya, l’ancien site de la prison israélienne à Gaza, puis se sont
réunis à l’extérieur du bureau du Comité international de la
Croix-Rouge.
Après les manifestations, Ibrahim Baroud, libéré des prisons israéliennes il y a un an, s’est entretenu avec The Electronic Intifada à son domicile dans le camp de réfugiés de Jabaliya dans le nord de la bande de Gaza.
Parmi les milliers et milliers d’anciens prisonniers palestiniens
dans la bande de Gaza, Baroud est remarquable non seulement en raison de
sa longue détention de 27 ans, qui en fait un des plus anciens détenus
palestiniens, mais aussi par les immenses efforts déployés par sa mère
durant son absence.
En 1995, neuf ans après la capture de son fils par les forces
israéliennes, Ghalia - également connue sous le nom d’Um Ibrahim -
organisait un sit-in dans la cour du Comité international de la bureau
de la Croix -Rouge avec Handoumeh Wishah, ou Um Jaber, qui avait à
l’époque quatre fils en prison.
Bien que peu nombreux au début, leur présence s’est maintenue semaine
après semaine, année après année, traversant les transitions politiques
et les offensives militaires, prenant de plus en plus d’importance dans
les activités de soutien aux prisonniers à Gaza. Les sit-in sont
devenus un lieu fort d’unité politique.
Les femmes protestent
Au fil des années, Um Ibrahim a mis les femmes au premier plan dans
une série de manifestations, sans craindre la confrontation, afin de
mettre en évidence la question des prisonniers. Elles ont ainsi bousculé
le ministre des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne, Nasser
Al Qidwa, en 2005 avec un discours enflammé, et elles ont bombardé le
convoi du Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon avec des
chaussures et des pierres alors que celui-ci entrait dans la bande de
Gaza en 2012.
Les sit-in se poursuivent aujourd’hui, et les parents et ceux qui
soutiennent les prisonniers, dont beaucoup de mères et d’épouses de
détenus, occupent la cour de la Croix-Rouge tous les lundis matin. Leur
nombre ne fait qu’augmenter, en même temps que leurs efforts pour
libérer les prisonniers - que ce soit par des négociations politiques,
des grèves de la faim ou des échanges de prisonniers - ou pour les
défendre contre les mauvais traitements imposés par l’administration
pénitentiaire israélienne .
Um Ibrahim reste une présence constante, assise dans la première rangée, et elle mène souvent la foule avec les slogans.
« Les prisonniers n’ont jamais été mentionnés dans les accords
d’Oslo » , a déclaré Ibrahim Baroud samedi, se référant à l’accord de
paix signé par Israël et l’Organisation de libération de la Palestine,
il y a de cela vingt ans. « Ce fut une déception pour nous et un échec
de la direction palestinienne. »
Âgé aujourd’hui de 51 ans, Ibrahim, membre du Jihad islamique
[résistance islamique], a été libéré le 8 avril 2013 après avoir purgé
27 ans de prison suite à une condamnation d’un tribunal militaire
israélien pour résistance armée à l’occupation.
« Selon les Conventions de Genève, quand un conflit se termine, la
première chose qui doit se intervenir, c’est la libération des
prisonniers des deux parties, » a-t-il dit.
« Dans les prisons , nous savions cela, et nous nous attendions donc à
être libérés. Comment un dirigeant peut-il laisser ses soldats dans les
prisons de l’ennemi ? »
Sit-in et grèves
L’exclusion des droits des prisonniers des accords d’Oslo a suscité
un renforcement des initiatives pour les soutenir, y compris avec le
lancement de sit-in en 1995, rappelle-t-il.
En outre, les forces israéliennes avaient interdit à sa mère de lui
rendre visite, avait rapporté l’agence Ma’an News en 2010.
L’interdiction, justifiée par des « questions de sécurité »sans autre
précision, n’avait pris fin qu’après la grève de la faim collective,
nommée Karamé (« Dignité ») en 2012.
Pour faire cesser la grève, Israël avait accepté d’autoriser à
nouveau les visites des prisonniers par leurs familles depuis la bande
de Gaza, après les avoir interdites pendant plus de six ans.
- Ibrahim Baroud célèbre sa libération des prisons israéliennes lors de son arrivée à Gaza,le 8 avril 2013 - Photo : APA/Ashraf Amra
« Moi et mes compagnons de captivité suivions les sit-in chaque
lundi », a déclaré Baroud. « Nous regardions nos familles à la
télévision. »
« Le sit-in a été un moyen de communication entre les prisonniers et
nos familles , surtout durant les six années où nous étions privés de
les voir. »
En raison de la longue séparation d’avec sa mère, il dit : « J’étais encore plus pressés que les autres de la voir. »
Le père de M. Baroud est mort trois ans avant sa libération, alors que les visites depuis Gaza étaient interdites.
« Bien sûr, je suis triste »
Depuis l’accord Karamé en 2012, des visites irrégulières par les
familles de Gaza ont pu reprendre, bien que certaines interdictions de
sécurité individuelles subsistent et qu’Israël continue à interdire aux
enfants de plus de seize ans de visiter leurs parents détenus.
Comme Baroud l’expliquait ce samedi, des initiatives pour marquer la
Journée des prisonniers, commencées quelques semaines plus tôt, se sont
poursuivies dans la bande de Gaza.
À quelques pâtés de maisons de là, le Front Populaire pour la
Libération de la Palestine (FPLP) , un parti politique
marxiste-léniniste, a organisé une bruyante fête de mariage pour Omar
Massoud, un ancien prisonnier libéré le 30 octobre après 21 ans de
détention.
Massoud, un combattant de l’aile armée du FPLP, a été libéré avec le
deuxième groupe de prisonniers vétérans qu’Israël avait promis de
relâcher au début de ses récentes négociations avec l’Organisation de
libération de la Palestine.
Le 29 mars, alors le quatrième groupe devait être libéré, Israël a
annoncé qu’il ne les relâcherait pas sans un accord palestinien pour
prolonger les pourparlers d’au moins six mois.
« Ils ont retardé sa libération pour la cinquième fois, » a dit Najat
al-Agha, la mère du prisonnier - aussi connue sous le nom d’Um Diyaa -
samedi à son domicile dans le camp de réfugiés de Khan Younis dans le
sud de la bande de Gaza.
Tout d’abord, dit-elle, son fils aîné Diyaa al-Agha a été retiré de
la liste lors de l’échange en 2011 de 1027 Palestiniens captifs en
échange d’un soldat israélien détenu par les Brigades Ezzedeen al-Qassam
- l’aile armée du mouvement Hamas - alors qu’initialement il devait en
faire partie.
« Alors qu’il était censé être libéré dans chacun des quatre lots » dans le cadre des récentes libérations, dit-elle.
Um Diyaa assure une présence constante à la Croix-Rouge, aux côtés d’Um Ibrahim.
Son fils Diyaa, un combattant du Fatah condamné à vie par un tribunal
militaire pour avoir tué un officier israélien dans une colonie dans la
bande de Gaza en 1992, se tient avec son frère Muhammed dans la même
section de la prison de Nafha.
« Bien sûr, je suis triste », a déclaré Um Diyaa. « Mais j’ai encore
l’espoir de sa libération. Je m’assois toujours à côté du téléphone,
attendant un appel m’annonçant une bonne nouvelle ».
Israël renie l’accord
Le refus d’’Israël de libérer Diyaa al-Agha et 25 autres prisonniers
marque la seconde fois qu’il renie un engagement de libérer ces mêmes
prisonniers. Le protocole d’accord signé en 1999 à Charm el-Cheikh avec
l’ Organisation de libération de la Palestine, stipulait qu’Israël
devait libérer les prisonniers palestiniens arrêtés et condamnés avant
le 13 Septembre 1993, et arrêtés avant le 4 mai 1994.
Le 28 juillet 2013, le cabinet israélien s’était engagé à libérer
tous les prisonniers restants de la période pré-Oslo en quatre étapes,
sous la condition que l’Organisation de Libération de la Palestine
s’abstienne d’avoir recours à l’ONU ou à d’autres organismes
internationaux, comme la Cour pénale internationale, pour la durée de
neuf mois correspondant aux négociations en cours, selon le site
israélien +972.
La violation par le gouvernement israélien de l’accord signé l’an
dernier pour libérer les prisonniers a même soulevé les critiques des
responsables des États-Unis. Le journal israélien The Jerusalem Post
a signalé que les négociateurs américains « qualifiait expressément la
décision de violation de l’accord signé » dans les échanges avec leurs
homologues israéliens (« US : La non- libération des prisonniers
palestiniens est une violation des conditions de la négociation », 29
mars 2014).
« Il s’agit d’une obligation israélienne », a déclaré Ibrahim. « Les
prisonniers dont nous parlons, ceux d’entre nous qui ont été capturés
avant Oslo, auraient dû être libérés il y a déjà vingt ans. »
Mais, ajoute-il, de nombreux prisonniers ont perdu la foi dans le
processus de négociation, se référant aux assurances israéliennes [non
suivies d’effet] lors de l’accord de Charm el-Cheikh en 1999, et ils ont
peu d’espoir dans leur libération.
« Nous avions connaissance de la malhonnêteté israélienne, et savions
qu’ils ne libéreraient pas tous les prisonniers prévus », a ajouté
M. Baroud.
Comme Omar Massoud, Baroud s’est récemment marié, le 15 mars. Et
comme sa mère, il assiste souvent aux manifestations pour soutenir les
prisonniers.
Selon l’organisation Addameer de soutien aux prisonniers, Israël
détient au 1e mars 5224 prisonniers politiques palestiniens. Parmi eux
se trouvent 183 détenus administratifs, 210 enfants, 11 parlementaires
palestiniens et 21 femmes.
« Je ne peux pas dire que ces initiatives sont suffisantes », a
déclaré Baroud en parlant des événements organisés à l’occasion de la
Journée des Prisonniers et pendant le reste de l’année. « Elles doivent
être plus larges et plus forts que cela. Elles n’égalent pas le
sacrifice des prisonniers, qui ont payé un prix élevé pour leur cause
... Mais même si le niveau de ces activités n’est pas aussi élevé ce que
les prisonniers attendent, cela a toujours un impact positif pour
eux. »
« Les détenus sont dans l’attente »
Les efforts pour libérer les prisonniers doivent englober toute une gamme de stratégies, ajoute-t-il.
« Les initiatives politiques et militaires pour libérer les
prisonniers doivent coïncider. Quel que soit celui qui gagne la
bataille, ce sera bon pour les prisonniers. Mais le travail doit être
fait par tous. »
Plusieurs parties partagent ce devoir, dit-il encore.
« Beaucoup de prisonniers comptent sur la résistance pour les
libérer. La résistance a une responsabilité majeure envers les
prisonniers. Nous avons vu un exemple de cela dans l’échange Shalit [en
2011]. »
« Les détenus attendent que les dirigeants palestiniens fassent leur
devoir, que ce soit en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza, l’Autorité
palestinienne ou les organisations politiques. »
Le samedi, rapporte Al-Monitor, le Conseil central de l’OLP se
réunira à Ramallah pour décider de sa réponse au refus d’Israël de
libérer le 29 mars Diyaa el-Agha et 25 autres.
Mais lors de la Journée des prisonniers le Hamas a renouvelé son
engagement à la lutte armée pour la libération des prisonniers, tout
comme le FPLP et le Jihad islamique palestinien.
« Nous confirmons que la lutte continuera jusqu’à la libération de
toute la terre de Palestine, jusqu’à la libération de tous les
prisonniers et aussi longtemps qu’Israël mènera cette politique contre
nos prisonniers en les utilisant comme un moyen de pression et de
chantage politique », a déclaré à The Electronic Intifada le porte-parole du Jihad islamique palestinien, Daoud Shehab.
« Cela nous oblige en tant que Palestiniens à utiliser toutes les
méthodes et toutes les options pour libérer nos prisonniers », a-t-il
ajouté.
À l’intérieur des prisons, des plans d’actions de protestation sont
prévus, comme la grève de la faim des détenus administratifs à partir de
ce jeudi.
Ces différentes approches reflètent le large soutien dont bénéficie
le mouvement des prisonniers, par-delà les divisions géographiques et
politiques de la société palestinienne, explique Baroud.
« La question des détenus est celle qui pourrait faire exploser la situation ici. »
Ce soutien continuera également à se refléter dans les banderoles,
les drapeaux et insignes - jaunes, verts, noirs, rouges, représentant
les différents courants politiques palestiniens - qui remplissent la
cour de la Croix-Rouge tous les lundis matin.
* Joe Catron : New-Yorkais membre de ISM, Catron est un militant et journaliste qui vit à Gaza. Il a co-édité The Prisoners’ Diaries : Palestinian Voices from the Israeli Gulag, une anthologie de récits de prisonniers libérés en 2011. Son blog : http://joecatron.wordpress.com - son compte twitter : @jncatron.
22 avril 2014 - The Electyronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/conte...
Traduction : Info-palestine.eu - Naguib
http://electronicintifada.net/conte...
Traduction : Info-palestine.eu - Naguib