dimanche 13 mars 2011 - 06h:55
Lamis Andoni
Barack Obama,  le président américain, n’a pas encore saisi l’essence des révolutions  en cours dans le monde arabe. En fait il semble sincèrement croire que  les gens qui manifestent pour la démocratie dans la région le font en  faveur de l’Occident, voire d’Israël.
  
Comme il l’a récemment déclaré devant des démocrates en  Floride, « toutes les forces que nous voyons à l’œuvre en Egypte sont  des forces qui devraient naturellement s’aligner sur nos positions et  celles d’Israël - si nous prenons maintenant les bonnes décisions et si nous comprenons le sens du vent de l’histoire. »
 
Je ne sais comment Obama en est venu à cette conclusion,  mais soit il est terriblement mal informé, soit il prend vraiment ses  désirs pour la réalité !
 
Ses déclarations font toutefois écho aux estimations de  bon nombre d’experts américains dont certains se sont félicités du fait  que les slogans anti-israéliens ou anti-américains n’ont pas dominé dans  les récents soulèvements. Il est exact que les manifestants ne se sont  pas focalisés sur Israël.
 
Mais dire que ces forces pourraient être les alliés  naturels d’Israël et de l’Occident c’est sauter à pieds joints dans une  analyse  inadaptée de la situation. Le président américain se livre à  une lecture erronée du message des manifestants arabes,
 
Une réécriture de l’histoire
 
De la Tunisie à l’Egypte et à Bahreïn, et en bien des  endroits intermédiaires, les manifestants ont appelé à la constitution  de gouvernements libres et responsables. Des décennies d’amères  expériences leur ont montré que des gouvernements non représentatifs  sont souvent prêts à accepter - ou au mieux incapables de résister à -  la soumission à l’Occident, et en particulier aux diktats économiques et  politiques de l’Amérique.
 
En 1979, le traité de paix entre Israël et l’Egypte, par  exemple, n’a pas été signé par un gouvernement arabe démocratique mais  conclu en dépit d’une forte opposition - qui persiste encore aujourd’hui  - au sein de la plus grande nation du monde arabe. De la même manière,   il est  inconcevable de penser que les Accords de Camp David auraient  été signés si 
cela  avait été l’affaire du peuple qui,  pas découragé par l’alliance des  gouvernements égyptiens successifs avec  Washington et leurs liens  étroits avec Israël, continua à s’opposer à toute tentative d’imposer  une normalisation des relations avec Israël.
 
Au fil des années, les Egyptiens ont montré de façon  répétée - par leurs manifestations, leurs médias et même leur cinéma -  leur opposition aux politiques américaines dans la région et aux  agressions israéliennes contre les Palestiniens.
 
Aujourd’hui cependant, certains analystes, des officiels  et d’anciens officiels américains cherchent à réécrire l’histoire  -  et, probablement, dans un effort pour s’en convaincre eux-mêmes - en  claironnant que l’hostilité à Israël n’était qu’un sous - produit des  efforts du régime Moubarak pour détourner l’attention de ses propres  vices. Un chroniqueur du Washington Post, Jackson Diehl, a même reproché à  l‘ancien gouvernement égyptien d’avoir délibérément maintenu une paix  froide avec Israël et parfois défié les Etats - Unis. « Imaginez une  Egypte qui s’oppose avec constance à l’Occident dans les rencontres  internationales tout en menant une campagne incessante contre Israël. Un  gouvernement qui sème dans ses medias un ignoble antisémitisme,  verrouille ses relations avec Israël dans une paix froide et prend  l’habitude de rejeter toute « ingérence » américaine dans ses affaires.  Un régime qui autorise le 
Hamas  à importer des tonnes de munitions et des roquettes iraniennes dans la  Bande de Gaza »,  voilà ce qu’écrivait Diehl à propos du régime Moubarak  dans un article du 14 février.
 
Diehl semble penser qu’une Egypte démocratique sera plus  amicale avec les Etats-Unis et Israël qu’une dictature qu’il juge  insuffisamment coopérative. Condoleeza Rice , la précédente secrétaire  d’état américaine, a soutenu la même idée : la peur qu’avait Moubarak de  la « rue arabe » l’a empêché d’assumer pleinement les positions  américaines sur le conflit israélo-palestinien.
 
Mais Rice et d’autres ne semblent pas réaliser que, en  dépit du fait que leurs déclarations le reconnaissent implicitement, les  supposés défauts de Moubarak n’étaient que le reflet d’un  constat  qu’il faisait : l’impossibilité d’aller plus avant dans son soutien aux  Américains sans provoquer la colère populaire.
 
Les régimes arabes ont toujours cherché à apaiser  l’opposition en soutenant du bout des lèvres la cause palestinienne,  parce qu’ils en comprennent l’importance dans la psychologie arabe. Et,  du fait que les révolutions ont révélé que cette tactique ne permet plus  d’endiguer l’opposition, il est faux de soutenir que la nouvelle humeur  arabe est d’une certaine façon compatible avec une attitude plus  amicale à l’égard d’un pays qui continue à occuper 
la terre palestinienne et en déposséder le peuple palestinien.
 
Définir la démocratie
 
Ce genre de mauvaise lecture de la situation ne découle  pas des faits mais d’une approche de l’Orient qui a longtemps dominé la  pensée américaine et de larges secteurs des medias de ce pays.
 
Dans la culture politique dominante aux Etats-Unis,  soutenir Washington est synonyme de démocratie, tandis que s’opposer à  la vision américaine et à Israël ne peut être que le fait d’une « pensée  captive » rétrograde, Selon cette perspective, une mentalité de victime  imaginaire nourrit « haine » et résistance à Israël.
 
Mais, en fait, c’est cette manière de penser qui est  totalement anti-démocratique. Si nous acceptons l’idée que les valeurs  démocratiques sont des valeurs universelles et s’éloignent d’une  interprétation ethnocentrique occidentale, nous en déduirons que le  rejet de l’occupation est totalement cohérent avec les idées de liberté  et de dignité humaine - deux composantes  reconnues comme intégrales de  la pensée démocratique. Le  rejet de la discrimination raciale est un pilier de la croyance en  la liberté :  il en va de même du refus d’accepter l’occupation  israélienne et américaine de pays arabes et la soumission de peuples  arabes.
 
Ainsi, tant qu’Obama ne parle pas de mettre fin à l’occupation américaine en Irak et israélienne en 
Palestine,  pourquoi s’imaginerait-il que les révolutionnaires arabes qui se sont  levés contre leurs oppresseurs seraient des alliés naturels pour les  Etats-Unis ?
 
Mais certains officiels et experts américains sont à la  recherche de toute interprétation qui leur permettrait de dissocier leur  soutien à l’occupation de leurs relations avec le monde arabe. En  déclarant que la question palestinienne n’est plus au cœur de la pensée  arabe ils s’imaginent que les Etats-Unis peuvent tout simplement imposer  une « solution » qui garantira l’hégémonie israélienne sur la région et  coupera court à toute acceptation du droit des Palestiniens à  l’autodétermination.
 
Ceux qui, à Washington et à Tel-Aviv, ont cherché à  minimiser le rôle de la cause palestinienne dans la politique arabe  seraient bien avisés de lire un article du fameux blogueur et activiste   égyptien Hossam el-Hamalawy paru dans le Guardian, dans lequel il  soutient que ce sont les manifestations de solidarité avec l’Intifada  palestinienne en 2000 et les protestations contre 
la guerre en Irak en 2003 qui ont servi de précurseurs à la révolution égyptienne.
 
Le fantasme selon lequel les mouvements contre les  injustices de la dictature et l’injustice de l’occupation vont se  contredire, d’une certaine manière, n’est que le reflet d’une grave  mésinterprétation des sentiments des masses arabes - aussi longtemps  qu’Obama, bien sûr, espère simplement utiliser ce raisonnement  tordu  pour justifier la perpétuation d’une politique  tout aussi  viciée dans  la région.
 
* Lamis Andoni  est analyste et commentatrice pour le Middle Eastern and Palestinian Affairs (Les vues exprimées dans cet article n’engagent que l‘auteur  et ne  reflètent pas nécessairement la politique éditoriale d’Al-Jazeera).
                        
                9 mars 2011 - 
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Traduction de l’anglais : Mikâ’il