Revue d’Etudes Palestiniennes
         (Rapport établi par le Centre d’information parallèle et le 
Centre d’information palestinien sur les droits de l’homme - Jérusalem -
 1988)
        
Neuf citoyens turcs ont été froidement assassinés par les commandos israéliens qui avaient pris d’assaut le Mavi Marmara
 en mai 2010, alors que celui-ci naviguait dans les eaux internationales
 et se dirigeait vers la bande de Gaza sous blocus israélien. Les 
funérailles des victimes ont été suivies par des foules innombrables et 
ont donné lieu à des scènes terriblement poignantes.
Les autorités israéliennes tiennent pour avéré que la 
juridiction de leur Etat s’étend bien au-delà de ses frontières. Depuis 
le milieu des années 70, des dizaines de personnes ont été arrêtées par 
les forces militaires israéliennes, soit au Liban, soit en mer. 
Certaines ont été traduites devant des tribunaux et condamnées ; parmi 
elles, des militants politiques venus de différents pays pour aider et 
défendre les Palestiniens qui vivent dans les camps de réfugiés du 
Liban.
Au cours des deux dernières années, on a vu augmenter le
 nombre des bateaux arraisonnés en Méditerranée et des personnes 
enlevées sous le prétexte qu’elles seraient liées au mouvement de 
résistance palestinien. A l’occasion de piratages, vingt personnes ont 
trouvé la mort. Elles étaient soupçonnées, mais non pas inculpées 
officiellement, de préparer une opération militaire. De nombreuses 
autres personnes furent arrêtées qui, de l’aveu même des militaires 
israéliens, n’avaient rien fait de plus que pêcher dans les eaux proches
 des côtes du Liban. La prise de bateaux étrangers par la marine 
israélienne hors des eaux territoriales israéliennes est devenue partie 
intégrante de la politique israélienne en Méditerranée.
Selon la presse arabe et internationale, la marine 
israélienne s’est emparée d’au moins vingt navires et bateaux de pêche 
hors des eaux territoriales israéliennes entre mars 1985 et mai 1987, 
et, dans onze des cas, nous savons que les gens qui se trouvaient à bord
 ont été faits prisonniers et incarcérés. Quelques-uns ont été jugés, 
certains déportés ; le sort des autres ne nous est pas connu.
Nous pensons qu’il s’agit ici d’un terrorisme d’État 
délibéré, une politique en vertu laquelle l’État d’Israël enlève 
systématiquement ceux qu’il considère comme des suspects, en violation 
de toutes les lois et conventions internationales, transformant ainsi la
 Méditerranée en une mer sans loi où chacun peut craindre pour sa 
sécurité.
Dans ce rapport, nous avons tenté d’organiser les 
informations recueillies jusqu’à présent, afin de les porter à la 
connaissance de l’opinion publique internationale et de lancer une 
campagne internationale contre le terrorisme d’État israélien en mer.
I. ONZE AFFAIRES CONNUES
Première affaire : le Khalîl I (29 mars 1985)
Le Khalîl I est arraisonné le 29 
mars 1985, alors que, parti de Chypre, il fait route vers le Liban. Six 
personnes qui se trouvaient à bord sont enlevées, placées en régime de 
détention administrative, sans aucun contact avec qui que ce soit. 
Quatre de ces personnes sont traduites devant la cour militaire de Lydda
 et condamnées, le 21 juillet 1986. Elles sont reconnues coupables 
d’appartenance à la Force 17 du Fath, et convaincues d’avoir reçu une 
formation militaire. L’une est en outre tenue coupable d’avoir tenté de 
s’introduire en Israël en 1981.
Au moment de leur procès, on était sans nouvelles des 
deux autres. Enfin, en octobre 1986, le cinquième personnage, Muhammad 
Mahmûd Darwîsh (Abû Nûr) est présenté à la télévision israélienne comme 
étant officier supérieur, membre de la garde personnelle de Yasser 
Arafat. Déclaré coupable d’appartenance à une organisation illégale et 
d’avoir reçu une formation militaire, il est condamné à deux ans et demi
 d’emprisonnement. Le sixième, Sa’îd al-Damaj est déporté sans jugement.
Deuxième affaire : l’Ataveros (21 avril 1985)
Concernant les faits, à savoir le torpillage de l’Ataveros et l’arrestation des huit survivants, le lecteur pourra se reporter au document spécial joint à ce rapport (voir Annexe II.)
Les huit personnes détenues sont traduites devant le tribunal militaire de Lydda et condamnées comme suit :
Les autorités israéliennes reconnurent être en possession de quatre corps.
Troisième affaire : Hamadallah (1° juillet 1985) 
Deux Palestiniens sont arrêtés :
  Khalîl Adîb Khalîl Anânî est condamné à dix-huit mois pour appartenance à une « organisation illégale ».
  Nâ’il
 Amîn Fatâyir, à dix-huit mois pour appartenance à une « organisation 
illégale ». Il rentre ensuite chez lui, à Naplouse, est arrêté de 
nouveau, fait l’objet d’un arrêt de déportation en janvier 1987. Il fait
 appel devant la Haute Cour de justice, son appel est rejeté et il est 
déporté au début de juillet 1987.
Quatrième affaire : le groupe Ajnadîn
Huit paracommandos qui se rendent de Chypre au Liban 
sont arrêtés en mer. Ils avaient pour mission de défendre des camps de 
réfugiés palestiniens contre les attaques des milices libanaises. Tous 
les huit sont traduits devant le tribunal militaire de Lydda en juillet 
1986 et condamnés pour appartenance à une organisation illégale en 
Israël et pour avoir reçu une formation militaire.
Cinquième affaire : le Genda (31 août 1985)
Cinq personnes sont arrêtées en mer, alors qu’elles se 
rendent de Chypre à Saïda. Elles sont condamnées par le tribunal 
militaire de Lydda, le 7 août 1986, sous l’inculpation d’appartenance à 
la Force 17 du Fath, et celle d’avoir reçu un entraînement au maniement 
des armes.
Sixième affaire : l’Opportunity (10 septembre 1985)
Faysal Abû Sharakh est enlevé sur l’Opportunity
 alors qu’il se rend du Liban à Chypre. Il est retenu en détention 
administrative au secret, du 10 septembre 1985 à juin 1987. Pendant plus
 d’un an et demi, son arrestation est considérée comme « top secret », 
et il est même interdit de faire mention de son nom. Son défenseur, 
M. Amnon Zichroni, fait appel de cette détention administrative à deux 
reprises devant la Haute Cour de Justice, appel par deux fois rejeté. Au
 cours de son interrogatoire, Abû Sharakh fut torturé, au point de 
devenir définitivement impuissant.
Une commission d’enquête est nommée afin d’examiner la 
réalité de ces tortures. En juin 1987, il comparaît devant le tribunal 
militaire de Lydda et doit répondre d’appartenance à une organisation 
illégale. Selon son dossier, Abû Sharakh est un officier supérieur de la
 Force 17 du Fath, l’un des chefs de la défense de Beyrouth en 1982 et 
la défense des camps de réfugiés en 1985.
Septième affaire : le Amal (1° septembre 1986)
Le Amal est arraisonné alors qu’il 
se rend de Chypre à Saïda, et une personne qui se trouve à bord est 
arrêtée. Son nom, le sort qui lui a été réservé sont a ce jour inconnus.
Huitième affaire : le Anton (15 septembre 1986)
La flotte israélienne arraisonne le Anton et un autre petit bateau qui aurait eu des liens avec lui. Deux personnes sont enlevées du petit bateau, et six du Anton ;
 parmi ces dernières, Sulaymân Hils (Abû Walîd), connu pour être un 
membre dirigeant du Fath. Les deux personnes arrêtées sur le petit 
bateau, Fathi Nimr Abû al-Khayr et Fathî Halîmî, sont déportées sans 
jugement.
En octobre 1986, Abû Walîd et les cinq autres 
prisonniers sont traduits devant le tribunal militaire de Lydda et 
condamnés comme suit :
Neuvième affaire : deux bateaux de pêche (17 novembre 1986)
Les deux bateaux capturés près de Saïda transportent des
 armes. Trois personnes sont arrêtées et condamnées, le 1er juin 1987, 
par le tribunal militaire de Lydda.
Dixième affaire : bateau de pêche (4 décembre 1986)
Le bateau est arraisonné au large de la côte du Sud-Liban et deux personnes sont enlevées.
Onzième affaire : le Maria R (6 février 1987)
Cinquante-huit personnes sont arrêtées au large de la 
côte libanaise. Huit membres de l’équipage sont relâchés, trois 
condamnés, les quarante-huit autres attendent leur jugement.
II. CIRCONSTANCES DES ARRAISONNEMENTS ET DES ARRESTATIONS
Selon les témoignages des passagers et des équipages qui
 furent emmenés en Israël, l’arraisonnement obéit toujours au même 
scénario. Un aviso israélien s’approche du bateau « suspect ». Ordre est
 donné au capitaine d’arrêter les machines, et les forces navales 
israéliennes annoncent leur intention de monter à bord. Parfois, l’aviso
 décline son identité, mais pas toujours. Les soldats israéliens 
fouillent le bateau et ordonnent à toutes les personnes à bord de se 
rassembler sur le pont. En certains cas, il semblerait qu’ils 
recherchent quelque chose ou quelqu’un en particulier, sur des 
renseignements précis. Mais dans la plupart des cas, la fouille est 
arbitraire et d’ordre général. Nous avons connaissance de onze cas de 
bateaux saisis, un cas de bateau coulé, les passagers et l’équipage 
obligés de quitter le bateau et emmenés de force en Israël.
Lieux des captures et des enlèvements
Les autorités israéliennes prétendent que toutes les 
arrestations ont eu lieu en haute mer, et jamais dans les eaux 
territoriales d’un autre pays. Mais les équipages ont réfuté cette 
allégation dans plusieurs cas. Certains disent avoir été arrêtés dans 
les eaux territoriales libanaises et, dans un cas, celles de Chypre (le Maria R).
 L’arraisonnement d’un bateau dans les eaux territoriales d’un pays 
étranger est une nette violation de la souveraineté de ce pays, et 
l’arrestation de personnes en mer est un acte de piraterie (voir Annexe 
1).
A l’exception de l’Ataveros, aucun 
de ces bateaux ne se dirigeait vers Israël. Les Israéliens ne peuvent 
donc pas prétendre que les arrestations étaient nécessaires pour 
prévenir des attaques militaires contre leur territoire.
Les pavillons
Dans la plupart des cas, les embarcations étaient de 
petites dimensions ou de simples bateaux de pêche et n’arboraient aucun 
pavillon. Dans trois cas, les bateaux battaient pavillon étranger : l’Ataveros (pavillon panaméen) ; le Casselardit (pavillon australien) ; le Maria R (pavillon du Honduras).
L’arraisonnement en haute mer d’un bateau battant pavillon d’un État est une violation de la souveraineté de l’État concerné.
Les arrestations
Les passagers et/ou l’équipage arrêtés par la marine 
israélienne furent transférés sur les avisos israéliens, battus, on leur
 passa les menottes et on leur banda les yeux. Dans le cas du Maria R,
 les personnes arrêtées furent contraintes d’enlever leurs vêtements, de
 se jeter à l’eau en sous-vêtements et de nager jusqu’à l’aviso 
israélien. Elles furent alors placées en détention administrative et 
transférées vers différents centres militaires pour interrogatoire, 
mises au secret, sans communication avec quiconque, pas même un avocat.
Les personnes disparues
Il est impossible de déterminer combien de personnes ont
 été arrêtées, ni si les chiffres israéliens quant aux personnes 
officiellement détenues recoupent le nombre des personnes arrêtées. Nous
 avons connaissance d’au moins deux cas où le sort des personnes 
arrêtées reste à ce jour inconnu : un homme fut pris en septembre 1986 
et, depuis lors, personne n’a plus entendu parler de lui ; sur les 
vingt-huit personnes arrêtées à bord de l’Ataveros, 
huit furent jugées et condamnées, les autorités israéliennes ont 
finalement reconnu être en possession de quatre corps, mais la 
disparition de seize personnes reste inexpliquée. L’un des passagers de 
l’Ataveros a été aperçu blessé mais vivant, lors de son transfert sur l’aviso israélien, mais on ne l’a plus revu depuis.
Vols d’argent
De nombreux détenus se plaignent que d’importantes 
sommes d’argent leur ont été confisquées ou volées au moment de leur 
arrestation. Dans la plupart des cas, cet argent provenait de collectes 
en faveur des familles de réfugiés au Liban. Muhammad Darwîsh était en 
possession de 50 000 dollars américains et Hâbis Daglas, de 12 000 
dollars. C’est une somme totale de 34 000 dollars, plus I 180 livres 
sterling et 200 deutsch marks qui fut confisquée aux dix-neuf passagers 
du Maria R. Les autorités israéliennes prétendent ne rien savoir de cet argent.
Meurtres
Dans le cas de l’Ataveros, les 
Israéliens attaquèrent le bateau sans provocation, tirèrent deux 
missiles et le coulèrent. Non seulement la marine israélienne refusa 
pendant trois heures de recueillir les passagers qui s’accrochaient aux 
épaves, dans les eaux glacées, mais, selon le témoignage des survivants,
 les soldats tirèrent sur l’unique canot de sauvetage et le firent 
exploser.
Sur les vingt-huit personnes qui se trouvaient à bord de l’Ataveros, Israël reconnaît n’en avoir que huit dans ses prisons, et avoir repêché quatre corps (voir Annexe II).
III. CONDITIONS DE DETENTION DES PALESTINIENS ARRETES HORS DU TERRITOIRE D’ISRAEL
Au cours des deux dernières années seulement, on peut 
évaluer à plus de cent le nombre de Palestiniens arrêtés en mer hors du 
territoire israélien, amenés de force en Israël, puis accusés de 
violation de la loi locale, et condamnés à de longues années de prison. 
Que se passe-t-il pour ces Palestiniens entre le moment où ils sont 
amenés en Israël et le moment où ils comparaissent devant un tribunal et
 où une accusation est officiellement formulée contre eux ? C’est un 
laps de temps qui peut aller d’un mois à un an et demi ou plus.
Mise au secret
Les Palestiniens enlevés en mer ne sont pas arrêtés pour
 des délits précis, mais sur décision administrative. Ils restent sous 
ce statut jusqu’à la fin de la période d’instruction, leur statut change
 lorsque des faits précis sont retenus contre eux et soumis au tribunal,
 peu de temps après. Sous le régime de détention administrative, les 
autorités israéliennes peuvent maintenir un prisonnier, sans 
inculpation, dans l’un des centres d’enquête militaires, comme par 
exemple Meggido, ’Atlît, Jalami ou Sarafand, au lieu de le transférer 
dans une prison civile où les prisonniers jouissent d’un minimum de 
droits. Dans ces centres militaires, les personnes sont au secret, 
isolées le plus souvent et souvent aussi victimes de brutalités.
Outre qu’ils sont privés de visites de leur famille ou 
d’avocats, ces prisonniers ont souvent subi de très longues périodes 
d’isolement (quatre-vingt-cinq jours dans le cas des huit prisonniers de
 l’Ataveros), des périodes de détention 
administrative (vingt et un mois pour Faysal Abû Sharakh) parfois 
suivies de déportation sans jugement, de transferts fréquents d’une 
prison militaire à une autre, ce qui limite leurs contacts avec d’autres
 prisonniers et avec des avocats et rend leur isolement d’autant plus 
sûr.
Une personne incarcérée sur décision administrative doit
 être présentée au juge dans les quatre jours consécutifs, puis de 
nouveau dans un délai de trois mois. Selon l’avocat Walîd Fâhûm, presque
 tous les Palestiniens capturés en mer passèrent aux aveux dans la 
première semaine de leur interrogatoire, mais furent cependant maintenus
 en détention préventive avant d’être officiellement inculpés.
Salîd al-Damaj subit une année de détention avant d’être
 déporté, sans inculpation et sans jugement. Deux pêcheurs palestiniens 
restèrent en prison pendant six mois ; ils furent finalement relâchés, 
sans inculpation, sans jugement. Pour certains passagers du Maria R, la période de détention fut égale à la peine d’emprisonnement prononcée contre eux plus tard.
Dans le cas de Muhammad Mahmûd Darwîsh (Abû Nûr), garde 
du corps du président de l’OLP Yasser Arafat, sa détention 
administrative servit probablement à des négociations secrètes. Darwîsh 
fut arrêté avec cinq autres personnes le 29 mars 1985, sur le Khalîl I,
 parti de Chypre et se dirigeant vers le Liban. Son arrestation fut 
gardée secrète pendant un an et demi. Les autorités militaires 
israéliennes choisirent alors de faire connaître sa détention, de façon 
très ostentatoire, par une interview à la télévision israélienne. Il 
semble que les autorités aient alors renoncé à l’espoir de l’échanger 
contre des prisonniers israéliens. On ne voit aucune autre explication à
 cette longue mise au secret, puisque Darwîsh fut en fin de compte 
l’objet de la même inculpation (appartenance au Fath et formation 
militaire) et de la même condamnation (deux ans et demi 
d’emprisonnement) que ses compagnons du Khalîl I.
La détention administrative permet aussi aux autorités 
israéliennes de refuser au détenu le choix de son avocat. En effet, 
seuls les avocats du « numerus clausus », liste agréée par les 
militaires israéliens, sont admis à représenter, et même à rendre visite
 à un détenu relevant d’une décision administrative discrétionnaire.
Ahmad Shihâdi ’Awda al-Najjâr est un autre détenu dont 
l’arrestation ne fut rendue publique que par une brève apparition à la 
télévision. Sa famille, qui réside en Cisjordanie, l’identifia d’après 
le film projeté à la télévision quelques semaines après son arrestation,
 le 21 avril 1985, et demanda à Me Lea Tsemel de le défendre. Le 6 août,
 M" Tsemel, qui n’avait pas réussi à savoir dans quelle prison al-Najjâr
 était détenu, s’adressa au procureur général militaire pour obtenir des
 détails sur son arrestation. Bien que des milliers de personnes aient 
pu voir al-Najjâr à la télévision, les autorités israéliennes 
déclarèrent tout ignorer de son existence. Ce n’est qu’après que la 
Haute Cour de justice eut rendue une décision de habeas corpus que les 
autorités reconnurent détenir al-Najjâr, sous décision administrative.
Me Tsemel ne figure pas sur la liste des avocats agréés 
par les autorités militaires israéliennes. Elle recommanda à la famille 
un avocat qui y figure, Me Matti Atzmon. Celui-ci lui rendit visite à 
al-Najjâr et rapporta à la famille un message enregistré, dans lequel le
 détenu saluait ses proches et remerciait pour l’envoi de 
sous-vêtements ; le reste du message avait été effacé par l’avocat ou 
par les autorités, on ne sait.
Dans le cas de Faysal Abû Sharakh, arrêté le 10 
septembre 1985, même son nom fut tenu secret jusqu’à son inculpation 
officielle, en juin 1987. Il a peut-être été tenu au secret dans un 
centre d’interrogatoire militaire pendant une grande partie de ce temps.
 Abû Sharakh s’est plaint à son avocat d’avoir été l’objet de sévices 
qui auraient entraîné peut être son impuissance définitive.
Témoignage de prisonniers sur leurs conditions de détention
Nous possédons quelques détails sur les conditions de 
détention des prisonniers soumis à des interrogatoires ; ils nous 
parviennent grâce aux récits de plusieurs prisonniers et de leurs 
avocats.
Ahmad ’Awda al-Najjâr a décrit sa détention dans un 
centre qui pourrait être Maggido (spécialisé, semble-t-il, dans 
l’interrogatoire des Sud-Libanais) ou bien Jalâmi ou Sarafan, tous 
centres militaires.
« On me mena à un centre 
d’interrogatoire militaire, dont je ne connais ni le nom ni lu 
localisation, et je fus placé là au secret pendant quatre-vingt-cinq 
jours. Au bout de cent jours, je fus transféré dans une prison militaire
 à ’Atlît, j’appris que, sur les huit personnes qui s’accrochaient au 
même morceau de bois que moi (après le naufrage de l’Ataveros,
 seulement étaient encore en vie. Celui qui était malade, mais encore 
vivant au montent où nous fûmes recueillis par le navire israélien, 
était mort par la suite, mais je ne sais pas comment. »
« Pendant mon incarcération au centre, 
j’eus à répondre à de nombreux enquêteurs. Je fus battu à plusieurs 
reprises, frappé sur les parties génitales, mis à nu et interrogé, une 
lampe puissante braquée sur le visage. A mon arrivée au centre, on me 
signifia un ’règlement spécial’ ; chaque fois que j’entendais des pas 
dans le couloir s’approcher de ma cellule (de 1,80 m sur 1,80), je 
devais placer un sac sur ma tête, et me tenir debout face au mur, les 
bras levés. Sinon, un soldat entrait dans la cellule et me frappait. 
Cela arriva plusieurs fois. »
Les prisonniers du Khalîl I, de l’Ataveros et du Maria R,
 aussi bien les condamnés que les détenus administratifs, furent 
regroupés à la prison de Ramli et, tout à fait par hasard, interviewés 
par Faysal Husaynî, directeur de la Société pour les études arabes de 
Jérusalem, lui-même détenu administratif à Ramli en juin et juillet. 
Selon Husaynî, tous les hommes portaient les marques de sévices 
corporels :
« En arrivant en Israël, les hommes 
étaient séparés les uns des autres et emmenés soit dans des camps 
militaires soit dans des centres d’interrogatoire et placés dans des 
cachots ou des cellules. Il n’y avait pas de toilettes, mais seulement 
un grand seau à ordures en plastique, couvert, qui n’était pas vidé 
pendant des mois entiers. A certains moments, on y versait des produits 
chimiques qui ne pouvaient pas grand-chose contre l’odeur. »
« Il y avait un ou deux détenus par 
cellule. Ils n’étaient nourris qu’une fois par jour, en quantité 
insuffisante, et continuellement frappés. Certains subirent ces 
conditions pendant cinquante jours. Certains passèrent tout ou partie de
 ce temps la tête enveloppée dans un sac. »
Husaynî dit aussi que les prisonniers lui ont décrit une forme de torture appelée le ghosting
 (littéralement : transformation en fantôme). « On leur couvrait la tête
 d’un sac, parfois de deux sacs à la fois, d’une saleté répugnante et 
puants. Ils avaient les mains attachées derrière le dos à une barre de 
fer verticale, d’une hauteur calculée pour qu’ils puissent s’accroupir 
mais non pas s’asseoir. Cette barre de fer s’incrustait dans leur dos. 
Cette torture était appliquée aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur,
 dans une cour, et aussi longtemps qu’il fallait pour les épuiser. »
« Pendant le temps du ’ghosting’ ils 
n’avaient pas le droit d’aller aux toilettes, de dormir, de lire ou de 
faire le moindre bruit. En cas d’infraction, ils étaient battus, frappés
 sur les parties génitales s’ils urinaient, ou même sans prétexte. 
Parfois, les soldats poussaient des gémissements, pour que les fantômes 
(les encapuchonnés) croyant que quelqu’un souffrait réagissent. Ceux qui
 réagissaient étaient battus. »
« Pendant les interrogatoires, les 
prisonniers avaient les bras attachés derrière le dossier de leur 
chaise. Ceux qui les interrogeaient les battaient de telle sorte que les
 chaises tombaient, ou bien jouaient eux-mêmes avec les chaises, les 
balançaient du pied jusqu’à ce qu’elles tombent. Il était extrêmement 
difficile pour les prisonniers de se redresser, eux et leur chaise, et 
ils étaient battus (parce qu’ils n’y parvenaient pas). »
Dans au moins trois cas (le Khalîl I, l’Ataveros et le Maria R,), les détenus se sont plaints à leurs avocats d’avoir subi des tortures. Hâbis Daglas et Riâd ’Abdû, arrêtés sur le Khalîl I,
 dirent à leur avocat Walîd Fâhûm (qui s’occupe de la plupart des 
affaires d’arrestation en mer), qu’ils durent dormir par terre pendant 
les six jours où ils furent gardés au secret. Riâd dit qu’on lui enfonça
 un bâton dans l’anus et qu’on lui projeta du gaz lacrymogène 
directement dans les yeux. Il dit qu’on le frappa sur la plante des 
pieds avec une barre de métal.
Walîd Fâhûm rapporte que lorsqu’il rendit visite aux prisonniers du Maria R,
 le 7 juillet 1987, trois des prisonniers présentaient des brûlures du 
troisième degré à la tête, aux yeux, aux bras. Les brûlures remontaient 
au 30 juin, jour où les gardiens projetèrent du gaz dans deux cellules 
contenant respectivement dix et quatorze prisonniers. Les prisonniers 
étaient habillés lorsque le gaz fut projeté dans les cellules et, 
pourtant, l’un d’eux avait encore des plaques de peau carbonisée dans le
 dos une semaine plus tard. Les brûlures étaient si graves que le 
médecin de la prison de Ramli, dont on sait qu’habituellement il ne 
dispense que de l’aspirine, se décida cette fois à la traiter aux 
antibiotiques.
Dans une conférence de presse donnée à Jérusalem en 
juillet 1987, Me Lea Tsemel résuma ainsi le statut des Palestiniens 
arrêtés en mer :
« Un Palestinien n’est jamais considéré 
comme un prisonnier de guerre. Ceux qui sont arrêtés en mer le sont sur 
décision administrative. Aucun avocat palestinien n’est agréé sur la 
liste des défenseurs. Il n’existe pas de liste de prisonniers. Ils sont 
rapidement traduits devant un tribunal (sur décision administrative). 
Ils ne peuvent voir personne pendant au moins trois mois. La Croix-Rouge
 n’est pas informée. Ils sont détenus en prison militaire et n’ont 
absolument aucun droit, en tout cas, aucun droit ne leur est notifié. »
IV. LES PROCES ET LEURS SUITES
Après les interrogatoires, une fois les aveux obtenus et
 signés, on dresse un acte d’accusation, et le prisonnier est présenté 
au tribunal. Toutes ces affaires ont été jugées par le tribunal 
militaire de Lydda. Dans quelques cas, il y eut appel de condamnations 
particulièrement lourdes auprès des cours d’appel militaires de Ludd. 
Tous les appels furent rejetés. Sur les cent deux personnes enlevées et 
transférées en Israël, quarante et une ont déjà été condamnées et huit 
déportées après avoir purgé des peines allant de six mois à deux ans, et
 quarante-huit sont en cours de jugement ou attendent leur procès (les 
personnes enlevées à bord du Maria R, et Faysal Abû 
Sharakh). Quatre ont déjà été déportées sans jugement, après un séjour 
en prison allant de trois mois à un an. Au sujet d’une personne, réputée
 arrêtée mais qui n’apparaît nulle part, nous n’avons aucun 
renseignement.
Le procès
Jusqu’ici, tous les procès sont menés sur la base des 
aveux des prisonniers. Ces aveux ont souvent été obtenus sous la torture
 ou après de longues périodes d’emprisonnement au secret. Au début, les 
avocats fondaient leur défense sur les moyens illégaux par lesquels le »
 prisonniers avaient été amenés devant le tribunal. L’argument étant 
régulièrement rejeté. Depuis ils plaident généralement coupable, après 
négociation sur les détails.
Se fondant sur le précédent établi par le procès 
d’Eichmann (confirmé par la Haute Cour de justice), le tribunal a décidé
 que peu importe la façon dont une personne est amenée devant lui, ce 
qui couvre donc les cas d’enlèvement ; dès qu’une personne se trouve 
devant le tribunal, elle doit être jugée comme n’importe qui. L’État a 
utilisé cette règle pour légitimer le kidnapping dans n’importe quelle 
partie du monde. L’enlèvement du militant antinucléaire Mordechai Vanunu
 montre bien que la règle ne s’applique pas aux seuls criminels de 
guerre nazis ou aux Palestiniens, que ce soit en haute mer ou au 
Sud-Liban occupé.
Accusations et peines
A l’exception des huit personnes de l’Ataveros
 et de Hâbis Daglas, du Khaltl I, Aucun des hommes enlevés par les 
Israéliens ne fut accusé de préparer un acte hostile contre l’Etat 
d’Israël. Ils sont accusés d’être membres, ou membres militants d’une 
organisation déclarée illégale en Israël, par l’Etat israélien. La 
plupart d’entre eux sont en outre accusés d’avoir reçu une formation 
militaire, généralement au Liban, où les Palestiniens ont l’obligation 
légale de recevoir cette formation, dans l’Armée de libération 
palestinienne.
La conséquence de cet argument est que quiconque se 
livre à l’étranger à une activité quelconque réputée illégale en Israël 
peut être enlevé, accusé, traduit en justice, condamné à des peines de 
prison, par les Israéliens. Par exemple, un juif américain progressiste 
qui aurait brandi un drapeau palestinien en signe de solidarité, au 
cours d’une manifestation à Los Angeles, pourrait, s’il n’avait pas été 
enlevé auparavant, se rendre en Israël, en visite, et se retrouver en 
prison, accusé, condamné en vertu de la loi pour la prévention des actes
 de terrorisme.
Sur cette base, vingt-neuf prisonniers furent convaincus
 d’appartenance à une organisation illégale (en général le Fath) et de 
formation militaire ; cinquante et un autres attendant d’être jugés pour
 les mêmes laits. Les personnes déjà jugées ont été condamnées à des 
peines de prison allant de six mois à huit ans (la condamnation moyenne 
est de trois ans). La durée de la peine prononcée dépend de l’importance
 supposée du rôle attribué à cette personnes au sein de 1’« organisation
 illégale », et du fait qu’elle ait été ou non en possession d’armes au 
moment de son enlèvement.
Ceux qui furent accusés de préparer ou d’avoir exécuté 
des actions militaires contre Israël furent condamnés comme suit : vingt
 ans pour avoir préparé une attaque contre l’état-major de l’armée 
israélienne (ceux de l’Ataveros) ; quatorze ans pour
 avoir tenté de s’introduire en Israël en 1981 (Hâbis Daglas), et de 
huit à douze ans pour ceux qui sont accusés d’avoir des liens avec 
l’action projetée par ceux de l’Ataveros. Comme nous l’avons dit, tous les appels auprès de la Haute Cour de justice ont été rejetés.
Détention et déportation
Après les procès, les personnes enlevées ont été 
transférées dans des prisons israéliennes (Ramli surtout) où elles ont 
subi les mêmes traitements et conditions que tous les prisonniers 
politiques palestiniens : entassement, gaz lacrymogènes, mauvaise 
nourriture, traitement médical insuffisant, etc. Ayant purgé leur peine,
 ils sont déportés au Liban, où souvent ils avaient d’ailleurs 
l’intention de se rendre...
Annexe I : aspects juridiques des arrestations opérées en mer par Israël hors de son territoire
Dans cette note, nous traiterons brièvement de deux 
problèmes juridiques soulevés par les arrestations opérées en mer par 
Israël, dont la liste figure ci-après : la légalité des arrestations 
elles-mêmes, et la compétence des tribunaux israéliens concernant les 
prisonniers amenés en Israël. Nous ne prétendons pas procéder à un 
examen exhaustif de ces problèmes, nous nous contenterons de les 
esquisser. Nous ne voulons pas non plus traiter des cas individuels, car
 pour chaque bateau, pour chaque prisonnier concerné, les circonstances 
sont très différentes. Mais nous voulons souligner d’abord quelques 
points généraux.
Dans tous les cas signalés, les prisonniers ont été 
enlevés en mer, hors des eaux territoriales israéliennes, et aucun 
d’entre eux n’était citoyen israélien. Par conséquent, ils ne relevaient
 de la juridiction israélienne ni du point de vue du territoire ni du 
point de vue du statut des personnes. Cependant, dans plusieurs cas, un 
doute subsiste : l’enlèvement a- t-il eu lieu dans les eaux 
territoriales d’un autre État ou en haute mer, dans les eaux 
internationales. Dans un certain nombre de cas, Israël soutient que les 
arrestations ont eu lieu dans les eaux internationales ; au contraire, 
les personnes arrêtées assurent qu’elles se trouvaient dans les eaux 
territoriales, ou qu’elles ont été emmenées de force dans des eaux 
internationales avant d’être arrêtées.
Les divergences de témoignages s’expliquent par le fait 
que, lorsqu’un bateau navigue en haute mer et n’arbore aucun pavillon, 
il n’a droit à aucune des garanties normalement assurées par la loi 
internationale, et tout bateau de guerre, de n’importe pays, est en 
droit de l’aborder. En outre, Israël a tout intérêt à affirmer qu’il n’a
 procédé à aucune arrestation dans les eaux territoriales d’un autre 
Etat, car cela constituerait une grave violation de la souveraineté de 
cet Etat.
Il est aussi important de noter que, parmi les bateaux interceptés, seul l’Ataveros
 aurait l’ait route vers Israël. Cela apparaît dans les actes 
d’accusation ; il n’y a presque aucune affaire où il soit fait état d’un
 attentat perpétré ou projeté contre Israël. Les chefs d’accusation sont
 en général l’appartenance à une organisation illégale en Israël, 
l’activité dans une telle organisation, et, dans certains cas, le fait 
d’avoir reçu un entraînement militaire. En outre, selon les autorités 
israéliennes, beaucoup de ceux qui furent arrêtés en mer ont été par la 
suite remis en liberté sur un non-lieu. La nature des accusations permet
 d’apprécier les allégations d’Israël quand à la nécessité de ces 
opérations pour la défense de sa sécurité.
Les interceptions et les arrestations
Aucun être humain ne doit être arrêté arbitrairement ; 
c’est un droit fondamental garanti par l’article 3 de la Déclaration 
universelle des droits de l’homme de 1948 et par l’article 9 de la 
Convention internationale sur les droits civiques et politiques de 1966.
 Le transfert d’une personne, par la force, d’un État à un autre, opéré 
par des agents de l’État qui commandite l’enlèvement, a été déclaré par 
le Comité des droits de l’homme des Nations unies « une arrestation et 
une détention arbitraires », au sens de l’article 9 de la Convention. Ce
 fut le cas dans les affaires Burgos contre Uruguay (R. 12/52) HRC 36 et
 Casariego contre Uruguay (R. 13/56) HRC 36, 185. A l’évidence, le même 
article s’applique aux enlèvements dans les eaux territoriales d’un 
autre État, puisque celles-ci font partie de son territoire souverain. 
Par extension, cela devrait s’appliquer à l’arrestation d’une personne 
en haute mer, donc hors de la juridiction de l’État qui ordonne 
l’arrestation.
Israël n’a pas ratifié la Convention internationale sur 
les droits civiques et politiques, mais les plus importants de ces 
droits fondamentaux décrits dans la Convention font probablement partie 
désormais de la loi coutumière. Voir sur ce point l’affaire Filartiga 
contre Pena-Irala, 630 F. 2d 876 (1980), à propos de laquelle la cour 
d’appel des États-Unis considéra que l’interdiction de la torture 
faisait partie de la loi coutumière. A la lumière des récentes 
condamnations par les Nations unies de disparitions et d’enlèvements, 
l’assurance de ne pas être arrêté arbitrairement pourrait être 
considérée comme faisant partie de ces droits fondamentaux.
Outre cette garantie des droits fondamentaux de 
l’individu, la loi internationale, coutumière ou garantie par une 
convention, limite de façon très stricte toute entrave à la navigation 
en haute mer ou dans les eaux territoriales d’un autre État.
Tout exercice de l’autorité gouvernementale d’un État 
sur le territoire souverain d’un autre État, sans le consentement de cet
 État, constitue une violation de la souveraineté de ce dernier, donc 
une violation de la loi internationale. Cas particulier où s’applique 
cette législation générale : un navire battant pavillon d’un État donné 
et naviguant dans les eaux internationales est justiciable de l’État 
dont il porte le pavillon, et considéré comme partie du territoire de 
cet État. Une arrestation opérée sans le consentement de l’État concerné
 constitue une violation de sa souveraineté, comme l’a confirmé le 
Conseil de sécurité des Nations unies dans sa résolution condamnant 
Israël pour l’enlèvement d’Eichmann en Argentine (résolution UNSC s/4349
 du 23 juin 1960).
Lorsque la violation de la sécurité d’un État 
s’accompagne de l’emploi de la force, ou de la menace de l’employer, 
cela peut constituer un manquement à l’article 2 (4) de la Charte des 
Nations unies : les États membres s’engagent à « s’abstenir... de 
menacer ou d’employer la force pour porter atteinte à l’intégrité 
territoriale ou à l’indépendance politique de tout Etat, ou de toute 
manière qui ne soit pas conforme à l’esprit des Nations unies ». 
L’article 51 autorise de tels actes, mais uniquement lorsqu’il s’agit 
pour un État de se défendre contre une attaque armée. Dans aucune des 
affaires qui nous occupent, il ne semble qu’une attaque armée ait 
justifié l’action entreprise. Une telle action est-elle admissible même 
en cas de danger imminent d’attaque armée ? La question reste ouverte. 
Mais si elle était licite en ce cas, il faudrait bien entendu que le 
danger soit immédiat et ne laisse aucun autre choix, et que la riposte 
soit proportionnée au danger.
Quant aux bateaux en haute mer, la loi internationale 
qui s’applique aux actes de piraterie est la Convention de Genève sur la
 haute mer de 1958, et la Convention des Nations unies sur la loi de la 
mer de 1982. Israël a signé la première convention mais non la seconde. 
L’article 22 de la Convention sur la haute mer stipule que, en l’absence
 d’un accord entre les États, un navire de guerre d’un État donné peut 
aborder une navire marchand d’un autre État seulement dans le cas où ce 
deuxième navire se livre à la piraterie ou au trafic d’esclaves, ou 
encore si, malgré les apparences, il est en fait de même nationalité que
 le navire de guerre.
La Commission internationale des lois, dans un 
commentaire fait au cours de l’élabora lion de cet article 22, envisagea
 un moment une exception permettant de détenir des bateaux dans le cadre
 d’une opération défensive ou de sécurité, mais rejeta l’idée, même en 
cas de danger imminent pour la sécurité de l’État, surtout parce que les
 termes « danger imminent » et « actes hostiles » sont extrêmement 
vagues et ouvrent la voie à des abus (International Law Commission 
Yearbook (1956), ii. 284
L,’article 23 de la Convention sur la haute mer prévoit 
également un « droit de suite » coutumier, en vertu duquel un bateau 
peut être saisi dans certaines circonstances après une poursuite 
commencée dans les eaux territoriales de l’État responsable de 
l’arraisonnement. Mais rien ne prouve que les bateaux dont le cas nous 
occupe ici aient navigué dans les eaux territoriales israéliennes avant 
d’être abordés. Cette clause ne s’applique donc pas en ces cas.
Il reste le droit d’action défensive, mais pour 
justifier un acte d’agression, il faut que la nécessité soit très 
prégnante, telle qu’elle est décrite dans les principes établis après la
 destruction du Caroline en 1837. « ... urgente, impossible à parer, ne 
laissant aucun choix des moyens ni aucun délai de réflexion ». Il est 
bien évident que cela n’autorise pas une action visant à déjouer la 
menace vague, dans un avenir incertain, d’actes que pourraient commettre
 ceux qui jouissent d’un droit de libre navigation en mer.
Mis à part les exceptions mentionnées ci-dessus, la 
liberté de navigation en haute mer est absolue, et l’arraisonnement de 
bateaux en toute autre circonstance est une violation de la loi 
internationale.
La juridiction des tribunaux israéliens
La loi pénale israélienne autorise les tribunaux 
israéliens à juger selon les termes de la loi israélienne une personne 
ayant commis à l’étranger un acte qui aurait été un délit s’il avait été
 commis en Israël, et qui portait atteinte, prise dans un sens très 
large, ou qui lésait tout citoyen israélien ou toute personne résidant 
en Israël.
Cependant, le fait qu’Israël juge délictueux un acte aux
 termes de sa loi propre, ne lui confère pas le droit d’appliquer sa loi
 sur le territoire d’un autre pays, par exemple en arrêtant une 
personne, sans le consentement de l’État concerné, ni, de toute façon, 
hors lu territoire israélien, en violation de la loi internationale. Si 
Israël procède à une telle arrestation, celle-ci est illégale.
Si les arrestations extra-territoriales effectuées par 
Israël dans les cas qui nous occupent sont illégales, les tribunaux 
israéliens sont-ils en droit d’exercer leur juridiction sur les 
prisonniers ?
Dans l’affaire procureur général du gouvernement israélien contre 
Eichmann, 36 IL Rep 5 (1962), Israël s’est inspiré du procès américain 
Ker contre l’État de l’Illinois, 119 US 136 (1886) et de précédents 
britanniques. Israël a décidé que la compétence de ses tribunaux n’est 
en rien affectée par le fait qu’un détenu ait été enlevé sur le 
territoire d’un autre État, illégalement, car ce dernier fait relève des
 relations entre États, tandis que sa compétence propre est nationale.
On peut cependant établir une distinction entre 
l’affaire Eichmann et les affaires qui nous occupent par deux points au 
moins. D’abord, bien que l’enlèvement ait eu lieu illégalement en 
Argentine, ce pays a en quelque sorte gommé le caractère illégal en 
acceptant les excuses l’Israël et en s’abstenant de porter l’affaire 
devant un tribunal international. Pour autant que nous sachions, aucun 
Etat n’a déclaré accepter les agissements d’Israël et l’enlèvement des 
personnes arrêtées. En second lieu, Eichmann était accusé de crimes 
contre l’Humanité, que l’on peut considérer comme relevant d’une 
juridiction universelle. Les prisonniers d’aujourd’hui ne sont accusés 
de rien d’autre que de menacer la sécurité d’Israël. Enfin, on peut 
arguer que, lorsque les arrestations constituent une grave violation des
 droits de l’homme de la part de l’État, le tribunal a pour devoir, face
 à l’intérêt public, de ne pas accepter une telle procédure.
La cour d’appel a admis ce principe dans l’affaire US 
contre Toscanino, 500 F. 2d. 267 (1974), distinguant cette affaire de 
celle de Ker contre l’Illinois, car dans le cas de Toscanino, l’accusé 
avait subi de graves sévices et des tortures psychiques de la part de 
ses ravisseurs américains. Des affaires ultérieures ont limité l’effet 
Toscanino à des cas où l’accusé a été traité de manière violente, 
inhumaine, brutale, mais d’après les témoignages de certaines personnes 
enlevées en mer, et tout particulièrement les prisonniers du Maria ? Il 
semble que cette jurisprudence doive s’appliquer au moins dans certains 
de ces cas.
Il peut donc être de l’intérêt public que le tribunal 
use de son pouvoir discrétionnaire et se déclare incompétent, arguant du
 fait que l’attitude des autorités constitue un outrage aux tribunaux 
dans l’exercice de leurs fonctions.
Annexe II : l’affaire  de « l’Ataveros »
Comment l’Ataveros fut coulé et les suites
Dans la nuit du 20 au 21 avril 1985, l’Ataveros
 fut torpillé par un aviso israélien. Dans un rapport publié en octobre 
1986 par Alternative Information Centre (Centre d’information 
parallèle), on peut lire :
« Selon des sources libanaises, l’Ataveros,
 naviguant sous pavillon panaméen, fut attaqué par un torpilleur 
israélien, le 10 avril 1985, à midi. Malgré le message radio lancé par 
le capitaine, déclarant qu’il s’agissait d’un bateau civil, un missile 
lancé par le torpilleur frappa l’Ataveros par le 
travers et le coula. Vingt personnes se trouvant à bord avaient été 
arrêtées, mais refuse d’en préciser le nombre, et s’opposa à toute 
visite de la Croix-Rouge internationale. »
« La famille de l’un des prisonniers, 
Ahmad Shihâdi ’Awda, l’identifia d’après un film projeté à la télévision
 israélienne, et demanda à Me Lea Tsemel de le défendre. Le 6 août 1985,
 Mc Tsemel n’ayant pas réussi à savoir dans quelle prison ’Awda était 
détenu, s’adressa au procureur général militaire afin d’obtenir des 
détails sur l’arrestation de son client. Les autorités israéliennes 
nièrent le détenir. Après l’obtention d’un habeas corpus auprès de la 
Haute Cour de justice, les autorité finirent par admettre qu’elles 
détenaient ’Awda, sur décision administrative. Dans le cas d’une 
détention administrative, le ministre de la défense peut refuser tout 
avocat ne figurant pas sur la liste des avocats agréés. »
« Me Tsemel n’abandonna pas l’affaire et
 recommanda à la famille un avocat qui figurait sur la liste des avocats
 agréés : Mc Matti Atzmon, de Jérusalem. M. Atzmon se rendit auprès de 
’Awda et rapporta à la famille un message enregistré. ’Awda saluait sa 
famille et remerciait pour l’envoi de sous-vêtements. Le reste du 
message avait été effacé, soit par l’avocat, soit par les autorités. En 
même temps, Me Walîd Fâhûm parvint à se procurer les noms de sept autres
 prisonniers, et se fit mandaté par leurs familles. Cependant, il 
n’obtint pas l’autorisation de rencontrer ses clients, car il ne 
figurait pas sur la liste agréée. Après un long échange de lettres entre
 Fâhûm et le procureur général militaire, les autorités israéliennes 
reconnurent que huit personnes enlevées sur l’Ataveros étaient emprisonnées en Israël, en détention administrative. »
Un mois après la publication de ce rapport, un acte 
d’accusation fut présenté contre Ahmad Shihâdin 4Awda (son nom exact est
 Ahmad ’Awda al-Najjâr) et les sept autres. M. Tsemel fut alors 
autorisée A rendre visite A son client, à la prison de Ramli, et écrivit
 un nouveau rapport sur ce qui s’était passé la nuit de l’attaque contre
 l’Ataveros, et dans la période qui suivit.
Selon le témoignage de Ahmad ’Awda, l’Ataveros avait
 quitté l’Algérie avec vingt-huit personnes à bord, pour la plupart 
palestiniennes. Le bateau devait débarquer sur la côte israélienne un 
commando qui projetait d’attaquer l’état-major de l’IDF à Tel-Aviv.
Un navire de guerre israélien fit alors son apparition 
en haute mer, hors des eaux territoriales israéliennes. Sans décliner 
son identité le navire ordonna à l’Ataveros de s’arrêter. Le capitaine de l’Ataveros
 fit faire demi-tour à son bateau et battit en retraite vers la côte 
égyptienne. Le navire de guerre israélien lança alors un missile en 
direction de la salle des machines de l’Ataveros. Le
 bateau, stoppé net, commença à couler. Le navire de guerre israélien 
mit en action ses mitrailleuses, visant le bateau et les personnes qui 
se trouvaient à bord. Le feu dura un quart d’heure. Puis un autre 
missile toucha le flanc de l’Ataveros. En cinq 
minutes, le bateau avait coulé. Certains des passagers réussirent à 
enfiler des gilets de sauvetage, mais plusieurs avaient été blessés 
pendant la fusillade. Ahmad Shihâzdi ’Awda dit à Me Tsemel ce qui lui 
était personnellement arrivé.
« Je ne sais pas nager, mais je parvins à
 enfiler un gilet de sauvetage. La mer était très mauvaise, et mes amis 
m’aidèrent. A partir du moment où le bateau coula, nous restâmes dans 
l’eau pendant deux ou trois heures. Je suis sûr de cette durée, car l’un
 de mes amis avait une montre. Avec huit autres personnes, j’étais 
accroché à un morceau de bois assez léger qui flottait sur l’eau. Deux 
naufragés qui étaient blessés et qui n’avaient pas de gilet de sauvetage
 sombrèrent immédiatement. L’un d’entre nous, Nâsir Shadîd, qui est très
 maigre, souffrit beaucoup de l’eau froide et agitée. Pendant deux 
heures, nous le maintînmes à flot. Tout autour de nous, nous entendions 
des amis appeler à l’aide. »
« Après une heure, nous vîmes l’un des 
canots de sauvetage de notre bateau, non loin de nous. C’était un canot 
auto-gonflable. Nous le vîmes dans l’obscurité, parce qu’il avait une 
lumière de secours. L’un de nos compagnons, Husâm Ahmad Hijjû, nagea 
vers ce canot, pour l’amener vers nous. Apparemment, le navire de guerre
 le vit et les soldats commencèrent à tirer sur le canot en caoutchouc 
et le firent exploser. Il coula. Hijjû ne fut pas tué parce qu’il 
n’était pas dans le bateau. On n’ose pas penser à ce qui serait arrivé 
si, comme c’est normal, il y avait eu des gens à bord du canot. »
« Après plus de deux heures, nous vîmes 
le navire de guerre israélien s’approcher et éclairer une vaste surface.
 Puis nous entendîmes tirer. Je ne peux pas dire avec certitude qu’ils 
tiraient sur les survivants, mais j’entendis tirer et j’entendis des 
cris dans cette zone éclairée. »
« Enfin, le navire israélien s’approcha 
et projeta ses phares sur nous et nous entendîmes l’ordre de monter à 
bord, un à un. Dès que nous fûmes à bord, on m’encapuchonna d’un sac, on
 me passa les menottes et on me frappa. »
      
         Revue d’études Palestiniennes - n°26 Hiver 1988