Gideon Levy - Ha’aretz
         Posez-vous la question : "Voulez-vous vraiment vivre dans un 
pays où ce sont les dirigeants d’une entreprise coloniale qui attribuent
 les terres du pays, créent ses sites naturels, se prononcent sur ses 
lois, et contrôlent de plus en plus ses modes de vie ?"
        
La phase I est depuis longtemps déclarée comme un 
succès total : les colons ont pris le contrôle des territoires occupés, 
utilisant leur pouvoir et leurs projets de construction pour 
contrecarrer tout arrangement équitable. Mais quiconque a pu croire 
qu’ils allaient se contenter de contrôler la Cisjordanie devrait jeter 
un œil sur la phase II du plan, qui est à son point culminant et constitue déjà un véritable succès.
Maintenant, après la prise de pouvoir hostile de la 
Cisjordanie, on en vient à la prise de pouvoir de l’État. Maintenant que
 leur soif de terres a été quelque peu assouvie, ils tournent leur 
attention vers des régions beaucoup plus vastes que leurs domaines déjà 
considérables. A partir de maintenant, Yesha (Judée, Samarie, Gaza) est 
vraiment ici. A partir de maintenant, il ne leur suffit plus de diriger 
les conseils des collectivités locales dans les territoires ; maintenant
 ils visent les lieux de pouvoir à l’intérieur même d’Israël, afin de le
 façonner à leur image. Ils ont pris la région de Gush Etzion en 
Cisjordanie, maintenant ils veulent la région de Gush Dan en Israël.
Ils utilisent une méthode qui a fait ses preuves : 
hectare après hectare, avant-poste après avant-poste (gouvernemental), 
bureau après bureau (gouvernemental). Une minorité marginale, d’environ 
100 000 colons idéologiques au total, tente d’obtenir le contrôle d’un 
pays d’une population de sept millions. Il ne faudra pas que ceux qui 
ferment les yeux sur ce qu’il se passe actuellement soient surpris de se
 réveiller un jour dans un autre pays, tout comme nous nous sommes 
réveillés un jour avec une autre Cisjordanie.
Comme d’habitude, la clé de leur manœuvre c’est 
l’occupation, des positions de pouvoir plutôt que du territoire. Leur 
première cible fut les Forces de défense israéliennes : leurs soldats et
 officiers y sont déjà presque omniprésents. Maintenant, leur nouvelle 
cible est la société civile. Comptez sur eux pour qu’ils accumulent des 
victoires retentissantes dans ce domaine aussi, dans une large mesure en
 raison de l’impuissance et de la complaisance de la majorité 
silencieuse. Quelques exemples récents : on a un colon à la tête de 
l’Administration des Terres d’Israël, un colon comme directeur de 
l’Autorité de la Nature et des Parcs d’Israël et un premier colon qui 
est sur le chemin de la Cour suprême. Il s’agit là de postes de pouvoir 
sensibles et importants, mais ce ne sont que les signes annonciateurs 
d’un automne qui pourrait amener un hiver où une minorité religieuse 
dangereuse et puissante, messianique, nationaliste et manifestement 
antidémocratique viendra régner sur nos vies.
Ne vous racontez pas d’histoires : les colons s’emparent
 de ces positions de pouvoir dans le but exprès d’imposer leur 
idéologie. Naturellement, ils ont le droit de se l’appliquer à 
eux-mêmes, mais quiconque a une conscience ou se préoccupe du caractère 
de l’État a le devoir d’essayer de mettre un point d’arrêt à cette 
hostile prise de pouvoir. Nul besoin d’expliquer l’importance qu’un 
dirigeant colon soit en charge des terres de l’État ou de ses sites 
naturels et de ses parcs nationaux. Bentzi Lieberman et Shaul Goldstein 
n’ont pas été désignés sur la force de leurs seules compétences. Ils 
l’ont été en raison de leur idéologie. Mais l’admission d’un colon à la 
Cour suprême peut être le plus exaspérant de tout.
Noam Sohlberg entre en ce moment à la Cour suprême sur 
les ailes de ses croyances religieuses, des croyances qui ont déjà 
trouvé leur expression dans ses décisions scandaleuses en tant que juge 
au tribunal de district : l’acquittement de quelqu’un qui a tué un 
Arabe, la libération de colons insurgés et les restrictions à la liberté
 de la presse. Ses patrons, et en premier lieu le ministre de la 
Justice, Yaakov Neeman, veulent quelqu’un comme lui à siéger dans la 
tour de justice. C’est exactement pour cela que la majorité, qui 
désapprouve les modes d’action des colons, doit s’opposer à sa 
nomination. Un résident d’Alon Shvut (colonie israélienne au sud-ouest 
de Jérusalem, en Cisjordanie occupée, illégale comme toutes les colonies
 - ndt), dont près d’un tiers se trouve sur une terre privée 
palestinienne, obtenue carrément par la tromperie et, plus tard, par la 
force ou la fraude, un tel résident ne peut être juge dans un pays 
respectueux du droit. Pas à cause de la kippa sur sa tête, mais parce 
que c’est un criminel aux yeux du droit   international et de la justice
 universelle.
Le colon Solhlberg arrive à la Cour suprême avec des 
mains sales. Il ne changera pas l’essence de la Cour suprême - qui, dans
 tous les cas, n’a jamais fait obstacle à l’occupation : voir le film 
incisif et impressionnant de Ra’anan Alexandrowicz, « Shilton Ha Chok » (La terre dans ces régions),
 et comprendre la vision du monde de l’ancien président de la Cour 
suprême, Meir Shamgar, l’une des personnalités qui ont donné sa 
légitimité à l’occupation -, il ne changera pas l’essence de la Cour, 
mais sa nomination a une signification symbolique profonde.
Au cas où quelqu’un l’aurait oublié : les colonies sont 
une entreprise méprisable, basée sur la violence, l’ultranationalisme et
 le viol du droit. Tout colon porte la marque de Caïn sur son front. 
Maintenant, posez-vous la question : voulez-vous vraiment vivre dans un 
pays où ce sont les dirigeants de cette entreprise coloniale qui 
attribuent les terres du pays, créent ses sites naturels, se prononcent 
sur ses lois, et contrôlent de plus en plus ses modes de vie ? 
Gideon Levy : Né en 1955, à Tel-Aviv, journaliste israélien et membre de la direction du quotidien Ha’aretz,
 Gideon Levy dénonce inlassablement les violations commises contre
les 
Palestiniens 
et le recours systématique 
à une violence 
qui 
déshumanise 
les peuples dressés l’un contre l’autre.
      
         30 octobre 2011 - Ha’aretz - traduction : JPP