Saleh Al-Naami - Al Ahram Weekly
Pour certains l’absence de Moubarak a supprimé un obstacle à la
libération de Shalit ; pour d’autres, la libération de Shalit supprime
un obstacle à l’attaque de l’Iran par Israël.
Saleh Al-Naami, depuis Gaza.
Le retour des prisonniers a donné lieu à des scènes profondément émouvantes - Photo : Lazar Simeonov/Al Jazeera
Un habitant de la ville de Gaza m’a dit qu’il ne pouvait
en croire ses yeux. La famille Yamen, dont les membres appartiennent
tous au Fatah, vient juste de mettre un drapeau vert du Hamas sur le
toit de sa maison. La décision de changer le drapeau a été prise à
l’unanimité par tous les membres de la famille à l’instant où ils ont
appris que le jeune Mohamed Yamen, qui servait une peine de prison à vie
dans une prison israélienne pour avoir tué un soldat de l’occupation
lors d’une confrontation armée, serait parmi les prisonniers qui
devaient être libérés selon l’accord d’échange de prisonniers conclu
entre le Hamas et Israël.
C’est la mère de Mohamed qui a suggéré de faire flotter
le drapeau du Hamas ; elle a expliqué qu’en capturant le soldat Gilad
Shalit, le Hamas avait réussi à faire ce que le Fatah n’avait pas réussi
à faire pendant 16 années de négociations "inutiles". "Nous avons
l’impression d’être redevenu un peuple dont les membres se soucient à
nouveau les uns des autres. Sans cet accord, mon fils serait mort en
prison et son père et moi serions morts sans avoir pu le serrer dans nos
bras une dernière fois."
La famille Yamen n’a pas été la seule a mettre un
drapeau vert ; de nombreuses familles dont les membres appartiennent à
d’autres organisations similaires ont montré leur gratitude pour le
Hamas de la même manière. Il règne une atmosphère de fête dans les rues
de Gaza. Dans les rues et les contre-allées on rencontre beaucoup des
groupes de gens qui vont féliciter les familles dont les fils sont sur
la liste des prisonniers qui vont être libérés. Des groupes de jeunes
gens installent des décorations dans les rues.
Des enfants distribuent des bonbons aux passants. Des
voitures équipées de porte voix diffusent des chants populaires et
patriotiques. Les familles et les amis consacrent tout leur temps à
préparer le retour à la maison de ceux qu’ils aiment. Salah Ayyad a
refusé de prendre une seconde de repos samedi avant d’avoir réussi à
convaincre une équipe de peintres d’abandonner temporairement son
chantier pour venir remettre à neuf l’appartement de son frère dans le
village de Zuweida au coeur de la bande de Gaza. Son frère Hamed fait
partie des centaines de prisonniers qui doivent être libérés au milieu
de la semaine prochaine. Il avait été condamné à la prison à vie et a
déjà passé 14 ans dans la prison israélienne de Shatta. Il a aujourd’hui
36 ans. Sa famille espère qu’il va maintenant pouvoir se marier et
élever une famille.
Beaucoup de membres des familles des prisonniers qui
habitent à l’étranger ont décidé de revenir à Gaza pour participer aux
célébrations de bienvenue, une décision facilitée par la réouverture du
passage de Rafah. Des familles ont repoussé des événements pour attendre
le retour des prisonniers. Un des fils de la famille Muslih devait se
marier jeudi dernier mais le mariage a été repoussé d’une semaine pour
que Ahmed Muslih —qui doit être libéré— puisse y participer.
Il y a des Gazaouis pour qui l’échange de prisonniers a
une signification particulière. Parmi les prisonniers qui vont être
libérés, le plus important est peut-être Yehia Al-Sinwar, un homme de 51
condamné à quatre peines de prison à vie. La veille de la première
Intifada, Al-Sinwar a créé l’appareil de sécurité du Hamas qu’il a
appelé Majd (la gloire). En 1989, il a été condamné par un tribunal
militaire israélien pour le meurtre de trois soldats israéliens et un
agent des services secrets. Du côté israélien comme palestinien on
reconnaît qu’il était un leader très charismatique doué d’une autorité
naturelle. En prison il était le leader des prisonniers du Hamas et même
s’il passait de longues périodes à l’isolement, il continuait à avoir
de l’influence sur les prisonniers politiques.
Sa force de caractères est aussi attestée par le fait
qu’il a été cité par des responsables successifs des services secrets
israéliens comme étant un des Palestiniens qui leur avait fait la plus
forte impression tant par ses activités opérationnelles que par son
comportement pendant les interrogatoires et sa détention. Une des
raisons pour lesquelles le vice-premier ministre israélien Moshe Yaalon
n’était pas d’accord avec l’accord d’échange de prisonniers quant il a
été présenté au cabinet mardi, était que la liste incluait Al-Sinwar qui
était pour lui "le plus dangereux esprit" de la résistance.
Le gouvernement de Gaza dirigé par Ismail Haniyeh, a
annoncé la formation d’un comité pour préparer le retour des
prisonniers, veiller aux conditions de leur libération et les loger. Le
vice-premier ministre, Mohammed Awad, a dit dans une conférence de
presse que le comité se préoccupait particulièrement des prisonniers
dont les familles vivaient en Cisjordanie. "Nous ne voulons pas qu’un
prisonnier libéré trouve à Gaza des conditions de vie différentes de
celles qu’il aurait chez lui," a-t-il dit. Il a ajouté qu’il y aurait
deux étapes dans le processus d’accueil. D’abord on hébergera ceux qui
reviennent dans des hôtels ou des établissements de ce genre. Puis dans
la seconde étape, on leur donnera une résidence définitive. Gaza doit
recevoir 165 prisonniers qui sont originaires de Cisjordanie. On pense
que leurs familles pourront les rejoindre plus tard. Awad a ajouté que
son gouvernement avait préparé les sommes nécessaires pour que ceux qui
reviennent soient confortablement installés.
Mais qu’est-ce qui a rendu possible l’échange de
prisonniers étant donné le fossé apparemment infranchissable qui
séparait encore dernièrement les deux camps ? Les observateurs en Israël
pensent que le fait que les Israéliens aient échoué à libérer Shalit
par des moyens militaires a forcé le premier ministre Binyamin
Netanyahou à revenir sur son refus originel de relâcher des prisonniers
condamnés pour avoir tué des soldats et des colons israéliens. Cette
hypothèse est confirmée par Yoram Cohen, le chef du Shin Bet (sécurité
générale), qui a dit qu’Israël n’avait pas réussi à obtenir des
renseignements qui auraient permis de libérer Shalit, et d’ailleurs,
selon des officiels militaires fiables, aucune information n’aurait pu
garantir que Shalit soit libéré vivant.
Selon le ministre des services secrets, Dan Meridor, les
dirigeants israéliens craignaient que les changements rapides au sein
du monde arabe dus à la vague des révolutions démocratiques ne rendent
impossible la libération de Shalit. Il a ajouté qu’Israël avait compris
que l’Egypte était le pivot de l’accord et avait des incertitudes sur la
longévité du gouvernement actuel. Tel Aviv craint que, suite aux
élections législatives et présidentielles qui vont avoir lieu en Egypte,
un gouvernement ouvertement hostile à Israël ne soit formé,
gouvernement qui n’aurait aucun intérêt à négocier avec le Hamas la
libération de Shalit.
Amnun Abramovitch, le commentateur de la chaîne 2
israélienne, a une analyse très différente. La fin de l’ère Moubarak a
favorisé la libération de Shalit, selon lui. Citant des leaders de
l’armée et des services secrets à l’appui, il explique que le régime de
Moubarak, représenté par l’ancien chef des services secrets, Omar
Suleiman, n’était pas enclin à négocier un accord parce qu’il pensait
qu’un tel accord renforcerait le Hamas, ce que le régime de Moubarak
voulait à tous prix éviter. Par ailleurs, toujours selon lui, les
officiels israéliens savaient que Shalit et sa famille bénéficiaient de
la sympathie du public israélien et ils craignaient que si la captivité
du soldat perdurait indéfiniment, cela ne démotive les jeunes israéliens
de s’engager dans les unités de combat israéliennes.
D’un autre côté, un certain nombre d’analystes sont
convaincus que l’enthousiasme de Netanyahou et Ehud Barak pour l’échange
est dû principalement à leur désir d’attaquer l’Iran. Pour cela il est
nécessaire de régler les problèmes en suspens, le cas de Shalit n’étant
pas un des moindres car une attaque israélienne de l’Iran rendrait sa
libération plus improbable que jamais.
L’objection à l’accord sur l’échange des prisonniers la
plus fréquente en Israël était que cet accord augmenterait la popularité
du Hamas et causerait du tort au président palestinien Mahmoud Abbas.
Les commentateurs israéliens soulignent que, en dépit du timing,
l’approbation du cabinet israélien de l’accord d’échange n’était pas une
vengeance contre Abbas pour avoir sollicité auprès de l’ONU la
reconnaissance de l’état palestinien. Selon eux ce n’est pas dans
l’intérêt d’Israël de nuire à Abbas étant donné qu’il est opposé à la
résistance armée et même à la résistance populaire qui constitue une
menace pour Israël.
Plusieurs suggestions ont été faites en Israël pour
remédier au dommage que l’accord causerait au président palestinien. Une
d’entre elles était de relâcher un autre contingent de prisonniers
palestiniens de telle manière que cela donne du prestige à Abbas.
Cependant, bien que cette suggestion ait été soutenue par des
personnalités médiatiques et par des généraux, il ne semble pas qu’elle
ait été retenue par les officiels du gouvernement israélien.
L’échange arabe-israélien
L’accord pour échanger 1027 prisonniers palestiniens
contre le soldat israélien capturé Gilad Shalit n’était pas le premier
et ne sera pas le dernier.
Après la guerre de 1948, un échange de prisonniers a été
conclu entre l’Egypte, la Jordanie, la Syrie et le Liban d’un côté et
Israël de l’autre.
En 1954, les forces syriennes ont capturé cinq soldats
israéliens qui étaient en mission secrète sur le plateau du Golan. Le
corps de l’un d’entre eux a été rendu à Israël en 1955 et les quatre
autres ont été rendus l’année suivante en échange de 41 prisonniers
syriens.
En 1957, un accord important a été conclu entre l’Egypte
et Israël grâce auquel 5500 Egyptiens et 4 soldats israéliens ont été
libérés.
En 1968, un accord a été conclu entre l’Organisation de
Libération de la Palestine et Israël par l’intermédiaire de la Croix
Rouge après que des combattants du Front Populaire de Libération de la
Palestine aient détourné un avion israélien et l’aient forcé à atterrir
en Algérie. L’accord a permis de libérer 100 passagers en échange de 37
prisonniers palestiniens.
En 1983, Israël a libéré 4600 Arabes en échange de 6 soldats israéliens retenus au Liban.
En juin 1984, Israël a échangé 291 Syriens capturés au
combat et les restes de 72 Syriens contre 6 Israéliens et 5 corps.
Israël a aussi libéré 20 civils arabes arrêtés pour espionnage et délits
contre la sécurité.
En mai 1985, Israël a relâché 1150 prisonniers arabes en
échange de 3 soldats israéliens retenus par le Commandement Général du
Front Populaire de Libération de la Palestine au Liban. Les négociations
en vue de cet accord ont duré presque neuf mois.
En Juin juillet 1985, Israël a libéré 331 détenus
libanais shiites. Les leaders shiites ont dit que leur liberté avait été
obtenue en échange du retour des 39 passagers étrangers d’un avion de
la compagnie américaine TWA détourné verts Beyrouth. Israël a nié qu’il y
ait une connexion.
En juillet 1996, le Hizbollah et Israël ont conclu un
accord négocié par l’Allemagne aux termes duquel les corps de 123
guérilleros ont été rendus au Liban en échange des restes de deux
soldats israéliens.
Le Hizbollah a aussi libéré 17 combattants des milices
du sud Liban soutenues par Israël qui en échange ont libéré 46 captifs
libanais.
En janvier 2004, Israël a relâché 436 prisonniers
palestiniens et libanais aux termes d’un accord conclu avec le Hizbollah
en échange de Elhanan Tannenbaum, un homme d’affaire israélien et de
trois soldats israéliens morts qui avaient été capturés alors qu’ils
patrouillaient à la frontière en 2000.
En juillet 2008, en échange de cinq hommes, Israël a
récupéré les corps de deux soldats capturés par le Hizbollah dans un
raid aux frontières en 2006 qui a déclenché une guerre de 34 jours ave
le groupe.
En octobre 2011, Israël a conclu un accord avec le Hamas
aux termes duquel 1027 prisonniers palestiniens seraient échangés
contre le soldat israélien Shalit qui a été capturé en juin 2006.