Entretien avec Elias Sanbar, ambassadeur de la Palestine à l’Unesco
La
Palestine deviendra-t-elle membre de l’Unesco avant même d’être admise à
l’ONU ? La question se pose depuis le 5 octobre, jour où le conseil
exécutif de l’agence des Nations unies consacrée à la promotion de
l’éducation, de la science et de la culture a recommandé l’adhésion
pleine et entière de la Palestine, qui n’a pour l’instant qu’un statut
d’observateur. Cette percée survient alors que la demande d’accession au
statut d’Etat membre de l’ONU, déposée fin septembre par le président
palestinien, Mahmoud Abbas, est toujours en phase d’examen par le
Conseil de sécurité de l’ONU.
Pour être définitivement adoptée, la recommandation du
conseil exécutif devra être approuvée par la conférence générale de
l’Unesco, qui se réunit du 25 octobre au 10 novembre, à Paris. Alors que
M. Abbas devait rencontrer son homologue français, Nicolas Sarkozy,
vendredi 14 octobre, l’ambassadeur de la Palestine auprès de cet
organisme, l’écrivain Elias Sanbar, explicite les enjeux de cette
nouvelle bataille.
Pourquoi une telle démarche, avant même que le Conseil de sécurité de l’ONU n’ait rendu sa décision ?
Ceux qui pensent que cette initiative est une
improvisation de dernière minute, articulée à notre candidature à l’ONU,
se trompent. Au mois de février déjà, nous avions fait part de notre
volonté d’inscrire l’église de la Nativité, à Bethléem, sur la liste du
patrimoine mondiale de l’Unesco. Nous avions également lancé notre
demande d’adhésion à quatre conventions de l’Unesco, dont celle sur le
patrimoine. Ces demandes imposaient de passer par l’étape de
l’admission. La totalité des pays membres étaient au courant.
La demande d’adhésion originelle,
déposée en 1989 par Yasser Arafat, est restée lettre morte pendant
vingt-deux ans. Pourquoi la réactiver aujourd’hui ?
Pendant vingt-deux ans, notre demande a été reportée
d’une conférence générale à une autre mais il fallait épuiser les
possibilités du processus d’Oslo. Maintenant que ce dernier s’avère
stérile, il est du droit de la Palestine d’aller vers une admission et
ainsi occuper la place culturelle qui lui revient. Cela ne signifie
nullement le rejet du processus diplomatique. La porte des négociations
reste ouverte. Mais il y a urgence à protéger notre système éducatif
ainsi que nos sites naturels et antiques des ravages de l’occupation. Il
est temps que l’identité culturelle de notre peuple soit reconnue et
exercée. J’avoue que je suis abasourdi par la violence de certaines
réactions en réponse à cette requête légitime. En quoi le fait que la
Palestine joue pleinement son rôle éducatif et culturel constitue-t-il
une menace pour la paix ?
La diplomatie française estime que
l’Unesco n’est pas le forum le plus approprié pour solliciter la
reconnaissance de l’Etat de Palestine...
Il y a confusion. Les organismes comme l’ONU ou l’Unesco
n’ont pas le pouvoir de reconnaître les Etats. Ils les admettent ou non
en leur sein. En réalité, les Etats s’autoproclament et consolident
ensuite cette autoproclamation en étant reconnus par d’autres Etats. La
proclamation de l’Etat de Palestine a été faite le 15 novembre 1988 à
Alger. Depuis cette date, 155 pays nous ont reconnus, à des degrés
divers : 126 à un niveau d’ambassade et 29 à un niveau de mission. La
Palestine est déjà un Etat. Certes occupé, mais un Etat. Ce qui est ici
en jeu n’est pas sa reconnaissance mais son admission au sein de
l’Unesco.
Comment expliquez-vous cette confusion ?
Il y a cette idée, aussi vieille que la colonisation,
selon laquelle notre réalité nationale ne dépendrait pas de la volonté
de notre peuple mais de l’aval d’acteurs extérieurs. Cela dure depuis
des décennies. Il s’agit de nous mettre sous tutelle, de nous refuser
implicitement le statut de peuple souverain, en d’autres termes de nous
"octroyer" une existence...
Votre demande d’adhésion doit recueillir
deux tiers des votes des 193 membres de la conférence générale pour
être acceptée. Quelles sont vos chances ?
La bataille sera rude. Tous les pays qui nous ont
reconnus ne voteront pas forcément en notre faveur. Mais nous portons
une cause juste. A New York comme à Paris, nous avons senti combien nous
sommes portés par un courant nouveau, planétaire, pour lequel la place
de la Palestine dans le concert des nations relève désormais de
l’évidence. Et quand une cause devient évidente, rien ne peut en venir à
bout. Quand Israël est né en 1948, toute sa force venait du fait qu’il y
avait un consensus planétaire en faveur de la création de cet Etat.
Rien n’aurait pu s’y opposer.
Lors du vote devant le conseil exécutif, la plupart des pays européens qui y sont représentés se sont pourtant abstenus...
Cela exprimait, selon moi, la volonté de ne pas aller au
vote en ordre dispersé. Il n’y avait pas de consensus sur le fond.
L’Espagne vient d’ailleurs d’annoncer qu’elle voterait en notre faveur à
la conférence générale. D’autres pays européens nous l’ont affirmé
aussi. Mais il m’importe surtout de dire que ce que nous faisons, nous
le faisons pour notre peuple, non contre telle ou telle autre nation.
Propos recueillis par Benjamin Barthe
Article paru dans l’édition du Monde du 15.10.11