Ali Abunimah
Comment l’initiative de l’Autorité palestinienne marginalise les Palestiniens en essayant de faire reconnaître un Etat palestinien.
21 septembre 2011 - Un garçon exhibe un drapeau palestinien, alors qu’il regarde du haut de son balcon les manifestants dans les rues de Ramallah - Photo : Darren Whiteside, Reuters
La demande de reconnaissance d’un Etat palestinien présentée par l’Autorité palestinienne devant les Nations unies est, du moins en théorie, censée contourner le processus de paix raté. Mais à deux égards décisifs, cette tactique mal conçue aggrave de fait la situation en élargissant les failles du processus qu’elle cherche à remplacer.
Tout d’abord, l’initiative exclut le peuple palestinien de la prise de décision, et deuxièmement, elle déconnecte entièrement de la réalité, le discours sur l’État.
La plupart des débats sur l’initiative aux Nations unies opposent férocement d’une part les États-Unis et Israël et d’autre part, les officiels palestiniens et les gouvernements alliés. Mais ce tableau simpliste ignore le fait que parmi les Palestiniens eux-mêmes l’initiative rencontre peu de soutien. L’opposition, et elle est considérable, tient à trois éléments : la vague tentative pourrait entraîner des conséquences non désirées ; chercher à obtenir l’État par-dessus tout compromet l’égalité et les droits des réfugiés ; et l’Autorité palestinienne n’a pas de mandat démocratique pour agir au nom des Palestiniens ou pour risquer leurs droits et leur avenir.
Le manque de soutien de la part du public est illustré par les nombreuses organisations de la société civile palestinienne, les nombreux dirigeants de la base, universitaires et militants qui ont fortement critiqué la stratégie.
Le Comité national du Boycott (BNC) — groupe directeur de la campagne de boycott mondial dirigé par les Palestiniens pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions contre Israël a été appuyé par près de 200 organisations palestiniennes ; il a averti au mois d’août que l’initiative aux Nations unies finirait par marginaliser l’OLP en tant que représentant officiel de tous les Palestiniens et à son tour priverait les Palestiniens à l’intérieur d’Israël et les Palestiniens de la diaspora de leur droit de vote.
Un avis juridique largement diffusé par Guy Goodwin-Gill, de l’université d’Oxford, a insisté sur ce point arguant que l’OLP pourrait être évincé des Nations unies par un État de Palestine édenté et illusoire qui au mieux ne représenterait que symboliquement, et uniquement, les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza.
D’autres, tels que le Mouvement de la jeunesse palestinienne - coalition internationale de jeunes Palestiniens — ont déclaré qu’ils étaient absolument contre l’initiative aux Nations unies parce qu’elle compromettrait « les droits et les aspirations de plus des deux tiers du peuple palestinien réfugié à l’étranger et en exil, qui souhaitent rentrer chez eux.
Beaucoup, comme le Mouvement de la jeunesse palestinienne, craignent que la déclaration unilatérale d’un État sur les frontières de 1967 ne comporterait aucune garantie quant aux droits des Palestiniens et céderait en fait 78 % de la Palestine historique capturée en 1948 à Israël, tout en empêchant les réfugiés de rentrer dans ce qui serait reconnu de facto comme un État ethniquement "juif".
En dernière analyse, toute stratégie fructueuse devrait porter non pas sur l’État, mais sur les droits.
Bien sûr, rien ne prouve mieux la distance entre l’initiative aux Nations unies et la volonté effective des Palestiniens que le secret qui entoure le processus.
Aujourd’hui, à quelques jours de la présentation de la demande aux Nations unies, le public palestinien ignore exactement ce que l’Autorité palestinienne propose. Aucun projet de texte n’a été porté à la connaissance du peuple palestinien. Au lieu de quoi, le texte est négocié avec les donateurs de l’Autorité palestinienne comme si c’étaient eux, et non pas le peuple, qui constituaient les véritables électeurs.
Chose plus fondamentale pourtant, tout le débat sur l’État ignore la situation sur le terrain.
Pour commencer, l’AP ne répond pas aux critères traditionnels de la qualité d’État énumérés dans la convention de Montevideo de 1933 sur les droits et les devoirs des Etats ; elle ne contrôle ni le territoire, ni les frontières extérieures (à l’exception des minuscules enclaves dont elle assure le contrôle sous la supervision des forces d’occupation israéliennes). En vertu des accords d’Oslo de 1993, l’AP n’a pas le droit de nouer librement des relations avec d’autres Etats.
Quant à disposer d’une population permanente, Israël interdit à la majorité des Palestiniens le droit de mettre le pied dans la région que l’AP prétend réclamer pour son Etat simplement parce qu’ils ne sont pas juifs (en vertu de la loi israélienne discriminatoire sur le retour, les juifs du monde entier peuvent s’installer pratiquement n’importe où en Israël ou dans les territoires occupés, contrairement aux réfugiés palestiniens nés en Palestine et leurs enfants).
L’AP ne peut pas émettre de passeports ou de documents d’identité ; les autorités israéliennes contrôlent les registres de la population.
Quel que soit le vote aux Nations unies, Israël continuera à construire des colonies en Cisjordanie et maintiendra son siège à Gaza. Comme on l’aura compris, tout débat sur une souveraineté réelle est illusoire.
Cette stratégie n’est pas non plus susceptible de produire, ne fût-ce qu’une adhésion ou une reconnaissance formelle par les membres des Nations unies. Il faudrait pour cela l’approbation du Conseil de sécurité, conseil dans lequel le gouvernement Obama exercera son droit de veto.
L’alternative est une sorte de résolution symbolique à l’Assemblée générale des Nations unies qui relèverait le statut de la mission d’observation palestinienne actuelle auprès de l’ONU — décision qui n’aurait que peu d’effet pratique. Un tel résultat vaut à peine toute l’énergie et l’agitation qu’il mobilise, d’autant plus qu’il y a d’autres mesures que les Nations unies pourraient prendre et qui auraient beaucoup plus d’impact.
Par exemple, les Palestiniens seraient mieux inspirés de demander une application stricte des résolutions existantes du Conseil de sécurité longtemps ignorées, telle que la résolution 465 qui a été adoptée en 1980 et qui demande à Israël de « démanteler les colonies existantes » dans les territoires occupés et qui précise que toutes les mesures prises par Israël pour "changer le caractère physique, la composition, la structure institutionnelle ou le statut des territoires palestiniens et autres territoires arabes occupés depuis 1967, Jérusalem y compris, n’ont pas de base légale" et constituent des violations flagrantes du droit international.
Enfin, toute stratégie fructueuse devrait se concentrer non pas sur l’État, mais sur les droits.
Dans la déclaration qu’il a faite au sujet de l’initiative aux Nations unies, le BNC a déclaré qu’indépendamment de ce qui se passe en septembre, la lutte internationale de solidarité doit continuer jusqu’à ce qu’Israël respecte les droits des Palestiniens et obéisse au droit international à trois égards particuliers : terminer l’occupation des terres arabes qui a commencé en 1967 et démanteler le mur de Cisjordanie qui a été déclaré illégal en 2004 par la Cour internationale de justice ; éliminer toute forme de discrimination juridique et sociale à l’encontre des citoyens Palestiniens d’Israël et respecter pleinement les droits des réfugiés palestiniens y compris leur droit au retour. Les Palestiniens et les Israéliens ne sont pas sur un pied d’égalité s’agissant de négocier la fin de leurs différends ; ils sont respectivement, colonisés et colonisateurs tout comme les blancs et les noirs en Afrique du Sud. Cette vérité doit être reconnue et les efforts déployés pour obtenir une telle reconnaissance rencontreraient beaucoup plus d’écho auprès du public palestinien que les discours creux sur l’État.
En fait, une telle stratégie préoccupe Israël suffisamment pour qu’il ait recruté les USA dans sa lutte contre ce que les dirigeants israéliens appellent la « délégitimation ».
Ce que les « délégitimateurs" recherchent prétendument n’est pas la justice et les droits humains et politiques intégraux pour les Palestiniens, mais l’effondrement d’Israël par des attaques politiques et juridiques - à l’instar de ce qui s’est passé en Allemagne de l’Est ou dans l’Afrique du Sud de l’apartheid.
Selon Israël et les groupes qui le soutiennent aux USA, pratiquement tout le militantisme de solidarité palestinien, spécialement le BDS, constitue de la « délégitimation ". Certains Israéliens, notamment l’ancien premier ministre, Ehud Olmert, ont lancé une mise en garde concernant la lutte contre un mouvement qui demande des droits civils et politiques, lutte qui aurait pour effet d’accentuer le caractère d’apartheid d’Israël, et d’aggraver sa situation. Mais les élites israéliennes n’ont pas trouvé de réponse plausible à la réalité qui se dessinera dans quelques années et dans laquelle, à cause de la croissance démographique palestinienne et de la construction de colonies israéliennes, une minorité juive aura la haute main sur une majorité palestinienne sans droit de vote et assujettie dans un pays qui ne peut pas être partitionné.
Les plans pour un État palestinien tronqué et limité que les gouvernements étasuniens et israéliens successifs ont préparé pour les entretiens sont loin de répondre aux demandes minimum des Palestiniens et n’ont aucune chance d’être mis en oeuvre (comme le montre éloquemment l’échec spectaculaire de l’effort de paix de l’administration Obama dans les deux premières années de son mandat). Même le président Obama, dans son discours devant le groupe de pression pro-israélien AIPAC en mai dernier, a caractérisé le statu quo de « insoutenable ». Mais il n’a pas offert de nouvelles solutions.
Voici donc les lignes de la bataille qui se livrera pour l’avenir de la Palestine quel que soit le nombre de personnes que les USA envoient à Ramallah et à Jérusalem pour essayer de ressusciter et de raviver des négociations dans lesquelles personne ne croit. Entre-temps, l’initiative aux Nations unies ne devrait par être considérée comme le moyen de donner naissance à l’État palestinien ; il s’agit plutôt d’enterrer officiellement la solution des deux Etats et du processus de paix qui était censée obtenir ce résultat.
*Ali Abunimah est l’auteur de One Country, A Bold Proposal to End the Israeli-Palestinian Impasse. Il a contribué à The Goldstone Report : The Legacy of the Landmark Investigation of the Gaza Conflict.
Il est le cofondateur de la publication en ligne The Electronic Intifada et consultant politique auprès de Al-Shabaka, The Palestinian Policy Network.
Il est le cofondateur de la publication en ligne The Electronic Intifada et consultant politique auprès de Al-Shabaka, The Palestinian Policy Network.
19 septembre 2011 - ForeignAffaires - Cet article peut être consulté ici :
http://www.foreignaffairs.com/artic...
Traduction : Anne-Marie Goossens
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Traduction : Anne-Marie Goossens