01.07.11
Le Moyen-Orient change. Israël, frappé de stupeur, se fige dans une  attitude de repli. Il est clair que le "printemps arabe" qui affecte  tous ses voisins représente une nouvelle donne pour l'Etat juif.  Son opinion publique s'en inquiète, mais, du côté du gouvernement,  l'immobilisme prévaut. En effet, à l'ordre des régimes autocratiques  succèdent des mouvements qui, selon cette opinion, pourraient déboucher  sur un chaos, voire sur la formation de gouvernements contrôlés par des  mouvements islamistes radicaux. Ces craintes sont sans doute excessives,  mais il est probable que la mise en place  de gouvernements démocratiques conduira les pays arabes à promouvoir  des politiques plus fermes et plus exigeantes à l'égard d'Israël.
On sent déjà une inflexion de la part des Egyptiens qui, par la  voix du nouveau ministre des affaires étrangères, entendent développer à  l'égard d'Israël une politique étrangère qui ne remet pas en cause la  "paix froide" des accords de Camp David, mais sera plus soucieuse de refléter les sentiments  d'une population restée fondamentalement hostile à Israël. S'agissant  des Palestiniens, les mouvements constatés ont été pour l'instant  limités, mais, à l'image des autres peuples arabes, ils ne peuvent  qu'affirmer plus vigoureusement leurs aspirations démocratiques.
Dans  ce contexte, le premier enjeu est, pour les Palestiniens, d'affirmer  leur unité. La population a manifesté nettement son aspiration à mettre  fin aux divisions et aux affrontements entre les différents mouvements.  L'évolution du Hamas,  inquiet de la situation en Syrie, et l'engagement efficace des  nouvelles autorités égyptiennes ont conduit à l'accord du Caire conclu  le 27 avril avec le Fatah. Le processus de mise en oeuvre est en cours avec le choix d'un premier ministre qui serait Mohamed Mostafa,  président du Fonds palestinien pour l'investissement. Il reste encore à  former un gouvernement chargé d'organiser les futures élections.
Le  deuxième enjeu est celui de la création d'un Etat palestinien viable,  ayant tous les attributs de la souveraineté. Comme le Fonds monétaire  international (FMI) et la Banque mondiale l'ont reconnu, toutes les  conditions techniques sont maintenant réunies grâce notamment au succès  de la politique menée par le premier ministre, Salam Fayyad.  Or le temps presse : sur le terrain, un tel Etat est en train de  "s'évaporer". Si l'on additionne les terres se trouvant entre le mur de  séparation et la frontière de 1967, les emprises des colonies et des  routes réservées aux colons et la vallée du Jourdain que l'armée  israélienne veut conserver sous contrôle pour des raisons de sécurité,  cet Etat disposera d'un territoire réduit, avec une surface de l'ordre  de 2 500 km², soit la moitié d'un département français moyen.
Faute de perspectives sérieuses de négociations et malgré les réticences de son premier ministre, Mahmoud Abbas  s'est engagé sur la voie de la reconnaissance d'un Etat palestinien. Le  Comité exécutif de l'OLP vient de trancher en décidant de saisir la  prochaine Assemblée générale des Nations unies d'une demande de  reconnaissance de l'Etat palestinien et de son adhésion comme membre de  l'organisation. Cent treize Etats l'ont déjà reconnu et il est probable  que l'Assemblée générale se prononcera à une large majorité, même si, en  définitive, le Conseil de sécurité ne pourra entériner cette adhésion  en raison du veto américain.
Pour Israël, quels sont les enjeux ?  Il s'agit d'abord de préserver sa sécurité. Après la vague  d'attentats-suicides du début des années 2000, Israël vit maintenant en  sécurité, ponctuée de quelques rares cas de violence. Les tirs  sporadiques à partir de Gaza ont cessé. Cependant, la possibilité de  nouvelles formes d'action existe, par exemple des manifestations  spontanées et massives, comme celles qu'ont connues les pays arabes  voisins. 
Une première alerte a eu lieu au moment de la célébration de la Nakba  ("catastrophe", expulsion des Palestiniens en 1948) marquée par des  mouvements d'une ampleur nouvelle. Tsahal, d'abord prise au dépourvu, a  réagi et se prépare à ce type de manifestations, dont l'enchaînement  pourrait conduire à une troisième Intifada. De même on ne peut exclure  un "printemps arabe" lancé à l'initiative des Arabes israéliens  eux-mêmes.
L'enjeu est aussi diplomatique. Il s'agit tout d'abord  d'éviter dans la conjoncture trop incertaine de s'engager dans de  véritables négociations, comme en témoigne le discours de M. Nétanyahou  au Congrès. Celui-ci a affiché des bases de discussion inacceptables  pour l'Autorité palestinienne. Il s'agit d'une énumération de refus :  refus des frontières de 1967, du droit au retour, de l'arrêt des  constructions de colonies, du partage de Jérusalem comme capitale, etc.  Certes, M. Nétanyahou se déclare favorable à la création d'un Etat  palestinien, mais les conditions de création de cet Etat sont telles  qu'elles le réduiraient à une sorte de bantoustan.
Réagissant vivement à l'accord avec le Hamas,  il a d'ailleurs exclu de négocier avec le gouvernement qui pourrait en  résulter. Ce discours signifie aussi un refus de s'engager sur les bases  proposées par le président Barack Obama,  pourtant très favorables à Israël. Il existe cependant un risque de  tsunami diplomatique. Même avec un veto américain au Conseil de  sécurité, un vote de l'Assemblée générale, à une forte majorité  comprenant notamment des pays européens, ferait apparaître l'ampleur de  l'isolement diplomatique d'Israël.
Enfin, l'enjeu est politique. A  l'évidence, le discours prononcé devant le Congrès a été pour M.  Nétanyahou bénéfique en termes de politique intérieure. L'opposition a  du mal à se positionner. Les sondages marquent une nette augmentation de  la popularité du premier ministre. 
L'enjeu ne serait-il pas en définitive de laisser le fait accompli se poursuivre ? A cet égard, en se référant à la "terre de nos ancêtres" et en faisant observer qu'"en Judée-Samarie (la Cisjordanie), le peuple juif n'est pas un occupant",  ce discours apparaît comme exprimant la volonté de maintenir un  contrôle sur l'essentiel de la Cisjordanie. Ces propos restent dans la  continuité de la politique du fait accompli menée avec succès depuis de  nombreuses années par Israël, et qui a contribué à installer dans les  territoires occupés plus de 400 000 colons depuis les accords d'Oslo.
Dans  un Moyen-Orient en effervescence, la raison voudrait qu'Israël exploite  la "fenêtre d'opportunité" et montre sa volonté de s'intégrer dans un  Moyen-Orient qui aspire à la démocratie. L'option choisie jusqu'à  maintenant fait craindre que les perspectives de création d'un Etat  palestinien ne soient compromises. Il est pourtant sûr que seule la  création d'un tel Etat assurerait à terme la sécurité d'Israël. Ce  constat rend impérative une initiative de la communauté internationale  avant qu'il ne soit trop tard. 
Denis Bauchard, conseiller à l'Institut français des relations internationales (IFRI)Lien