Eva Bartlet - IPS
          « Free Killing Zone », ou  « zone où l’on tue librement », est  la formule employée par l’armée des Etas-Unis lors de la guerre contre  le Vietnam qui luttait pour son indépendance, pour identifier une zone  où l’on pouvait tout tuer, tout raser à volonté... [N.d.T]         
 C’est un autre matin étouffant à Gaza. Malgré la chaleur, un groupe de femmes, d’hommes et d’enfants tenaces se rassemble à Beit Hanoun près du collège agricole bombardé pour une marche hebdomadaire vers la « zone tampon »,  qui longe sur 300 mètres de profondeur la frontière entre Gaza et  Israël que les autorités israéliennes d’occupation ont déclaré interdite  aux Palestiniens.
Marche vers le nord de la bande de Gaza, vers la "buffer zone" où Israël tue à volonté - Photo : E. Bartlett
Il y a une dizaine d’années, les fermiers palestiniens  pouvaient encore avoir accès à leurs terres jusqu’à 50 mètres de la  frontière. L’espace déclaré par les Israéliens « zone interdite »  s’élargit au fil des ans à 150 mètres, puis à 300 mètres, isolant les  agriculteurs palestiniens de leurs vergers, leurs cultures et leurs  pâturages.
Une décennie plus tard, ces vergers ayant été détruits  par les bulldozers israéliens, les agriculteurs se battent pour l’accès  aux terres dans certaines zones jusqu’à deux kilomètres le long de la  zone tampon initialement de 300 mètres, violemment interdite par les soldats israéliens.
Plus de 30% des terres agricoles de Gaza ne sont pas exploitées en raison de la zone tampon.  Ce sont les terres les plus fertiles de Gaza, où les oliviers, les  arbres fruitiers, d’agrumes et de noix étaient adis florissant, avec des  cultures de blé, d’orge, de seigle et autres céréales, satisfaisant  l’essentiel des besoins alimentaires de Gaza.
Le nord de Gaza a été particulièrement touché au cours  des années. Et dans les trois dernières années, ce sont les gens du nord  de Gaza, qui ont mené les manifestations non-violentes contre la zone tampon.
La chanson de la résistance populaire palestinienne, Unadikum  (Je vous appelle), retentit dans le téléphone cellulaire de Saber  Zaneen et à travers le mégaphone à partir duquel Zaneen quelques  minutes, âgée de 45 ans, scandera le message contre la zone tampon. Zaneen et Nassir sont deux des fondateurs de l’Initiative Locale, le groupe communautaire qui conduit ces manifestations.
« Nous sommes la résistance d’un peuple. Nous marchons pour les agriculteurs et les familles qui vivent dans la zone tampon », explique Nassir.
« Beaucoup de familles ont vu leurs maisons détruites,  leurs arbres et les cultures détruits au bulldozer, et elles sont dans  l’impossibilité d’exploiter leurs terres. Cela inclut également de  nombreuses familles vivant plus loin que les 300 mètres de la  frontière », dit-il.
« C’est la troisième année que nous manifestons sur une  base hebdomadaire dans différents secteurs du nord [de la bande de  Gaza] », affirme Nassir.
Le groupe d’environ deux douzaines de personnes avance  vers Erez, suivant la route sur à peu près un demi-kilomètre vers  l’ouest, empruntée par les quelques privilégiés autorisés à traverser la  frontière israélienne fortement contrôlée. Face à nous se trouve l’une  des nombreux tours de béton armé qui parsèment la frontière, du  nord-ouest au sud-est de Gaza. C’est à partir de cette tour que  commencent habituellement les tirs des soldats israéliens.
« Lorsque nous avons commencé, nous nous somme aventurés  jusqu’à 300 mètres de la frontière. Mais lentement, nous avons commencé  à nous rapprocher, sur la terre palestinienne », souligne Nassir.  « Dans certains secteurs, nous avons marché jusqu’à la frontière. »
Le 15 mai, lorsque les manifestations non-violentes et  populaires marquant Jour de la Nakba (souvenir de l’expulsion de 1948  qui a contraint plus de 750 000 Palestiniens à quitter leur terre pour  faire place à l’Etat juif d’Israël) ont eu lieu au Liban, en Syrie sur  le plateau du Golan et à Gaza, ce même petit groupe de manifestants  venus de Beit Hanoun  a été rejoint par au moins 1 000 manifestants supplémentaires. Plus de  100 manifestants ont été blessés, et un adolescent a été tué par des  tirs israéliens et des bombardements à partir de tours militaires et des  chars qui visaient les manifestants sans armes dans la bande de Gaza.
Le 7 juin, sur ce même petit tertre un petit groupe de  terre avec ses deux drapeaux, nous avons une pause pour des discours et  des chants, et Mohammed Kafarna, âgé de 19 ans, a été blessé par des  balles israéliennes tirées sur le cou, la cuisse et l’abdomen.
« Ils ont ouvert le feu sans sommation », dit Nassir. « Mohammed a été tout de suite blessé. »
En plus des agriculteurs et des manifestants, certains  parmi les plus désespérément pauvres dans Gaza ont été victimes de tirs  et des bombardements israéliens, ce que les autorités israéliennes  prétendent être des mesures de sécurité.
Les nombreuses maisons en ruines près de la frontière  fournissent à la fois des décombres et des métaux, précieux pour la  bande de Gaza assiégée, qui reste pratiquement sans aucun des matériaux  nécessaires à la construction depuis ces 5 dernières années. C’est dans  ces parcelles que les collecteurs de Gaza tamisent les décombres,  exposés aux engins non explosés ou aux attaques de soldats israéliens.
Rien que depuis 2010, au moins 11 civils palestiniens  ont été tués dans la partie nord de la frontière de Gaza, dont : un  agriculteur de 91 ans, frappé par les bombardements israéliens à 600  mètres de la frontière, un agriculteur de 64 ans abattu de plusieurs  balles dans le coeur alors qu’il était sur ses terres à 550 mètres de la  frontière, et un collecteur de ferraille âgé de 18 ans, à 600 mètres de  la frontière.
Plus de 30 civils ont été blessés, la majorité étant des  ramasseurs de ferraille, par des balles tirées dans les pieds ou dans  les jambes par des soldats israéliens le long de la frontière. Un  certain nombre d’entre eux n’avaient que 14 et 15 ans.
Dans la plupart des manifestations, des militants internationaux défilent aux côtés des Palestiniens non armés, documentant les attaques  israéliennes. « Nous manifestons chaque semaine, que nous ayons ou non  des internationaux ou des journalistes avec nous, » dit Nassir.
« Nous assurons la liaison avec les manifestations populaires en Cisjordanie occupée, comme à Ni’lin et Bil’in », ajoute-t-il.
Le village de Bil’in a, après six ans de manifestations  non-violentes, a obtenu la petite victoire de voir le mur de séparation  israélien déplacé légèrement en arrière, retournant environ 150 acres de  terre au village, qui attend toujours le retour d’autres 330 acres.
Les appels par mégaphone et Saber Zaneen nous pousse à revenir en arrière, loin de la zone tampon.  Les soldats israéliens et des jeeps militaires sont apparus et les  dirigeants de la manifestation veulent éviter de nouvelles victimes de  tirs israéliens.
« Nous sommes conscients  qu’il y a un grand danger dans  ce secteur », affirme Abou Issa. « Et ils tirent régulièrement sur  nous. Nous ne voulons pas de victimes, mais nous allons poursuivre notre  marche sur la terre palestinienne, pour les familles et les  agriculteurs qui ne peuvent pas accéder à leurs terres. »
* Eva Bartlett est une avocate canadienne spécialisée dans les droits de l’homme. Elle vit actuellement dans la bande de Gaza.
8 juillet 2011 - Vous pouvez consulter cet article à : 
http://ingaza.wordpress.com/2011/07...Traduction : al-Mukhtar