Marion Guénard, collaboration spéciale
La Presse
(Rafah)  Il y a une semaine, l'Égypte a ouvert de façon permanente sa frontière  avec la bande de Gaza. La décision constitue une rupture par rapport à  la position de l'ex-régime d'Hosni Moubarak, qui participait tacitement  au blocus imposé par Israël sur l'enclave palestinienne. Mais ce n'est  pour l'instant qu'une brèche dans l'embargo, souligne notre  collaboratrice sur place.
«C'est  peut-être elle! Là, la femme en beige qui marche avec une canne! Je ne  sais pas... Ça fait tellement longtemps!» Les mains cramponnées au lourd  portail du point de passage de Rafah, Ghassan Ali est fébrile, submergé tout à la fois par l'angoisse de l'attente et la joie des retrouvailles.
 Ce Jordanien, d'origine palestinienne, est venu chercher sa tante qu'il  n'a pas vue depuis six ans. Depuis plus de deux heures, il fait les cent  pas sous un soleil de plomb. Soudain, le doute n'est plus permis.
 «C'est elle! Amla, je suis là!» Ghassan Ali passe la barrière et court  vers sa tante. Ils s'embrassent, ils rient, ils pleurent, encore tout  étonnés d'être enfin réunis.
 «Toute la fatigue s'est envolée quand je l'ai vu!», raconte Amla, 63  ans, le sourire ravi mais les traits tirés par les années de séparation.
 Étudiants voulant se former à l'étranger, malades ayant besoin de  traitements spécifiques ou simples Palestiniens, qui, comme Amla,  souhaitaient revoir leurs proches... Ils sont environ 2000, Gazaouis ou  Cisjordaniens, à avoir franchi le terminal de Rafah, depuis que l'Égypte a ouvert de façon permanente sa frontière avec la bande de Gaza, ce qui représente la seule issue, pour sortir  du territoire palestinien, qui n'est pas contrôlée par Israël. Une  annonce en grande pompe effectuée la semaine dernière, devant un  parterre de journalistes.
 400 personnes par jour
 Mais si l'événement a une forte valeur symbolique, il n'est qu'une brèche dans le blocus imposé par Israël depuis 2007.
 La sortie de l'enclave palestinienne vers l'Égypte reste interdite aux  hommes âgés de 18 à 40 ans sans un visa égyptien, document qu'ils ne  peuvent se procurer qu'à Ramallah, en Cisjordanie.
 Restriction également sur le nombre: seulement 400 personnes par jour sont autorisées à entrer en Égypte.
 Un motif plus administratif que politique. «Avec les moyens dont ils  disposent, les employés de l'immigration égyptienne ne sont pas capables  de faire transiter plus de monde», explique Ahmed Abou Daraa,  journaliste égyptien de Rafah.
 Cependant, Abou Ghazi, Bédouin de Gaza, trouve que la différence est de  taille: «Du temps de Moubarak, quand 80 personnes traversaient en une  seule journée, c'était déjà un miracle!»
 Reste également la question des marchandises: l'entrée de biens de  consommations et de matériaux de construction est toujours proscrite via  Rafah.
 »Pas pour moi»
 Si, d'un côté, les Palestiniens sortent au compte-gouttes, de l'autre,  ils sont plusieurs dizaines à devoir montrer patte blanche pour pouvoir  entrer.
 Beaucoup sont des émigrés, qui ont adopté la nationalité de leur pays de  résidence et n'ont plus de document attestant de leur origine  palestinienne.
 D'autres sont des réfugiés. Mohamed Chaaban, 63 ans, est né à Gaza. En  1967, après la guerre des Six Jours, il a rejoint la cohorte des  centaines de milliers de Palestiniens qui ont fui le pays.
 Depuis, il vit en Égypte, au sud du Caire. Ce chauffeur de bus a appris  l'ouverture du passage en lisant les journaux et a aussitôt entrepris de  faire le voyage jusqu'à sa terre natale, où vit une partie de sa  famille, qu'il n'a pas vue depuis 25 ans.
 «Cela fait trois jours que je fais le pied de grue», se lamente le vieil  homme, en triturant désespérément ses documents de réfugié palestinien.  «J'ai besoin d'un «tansiq», un laissez-passer pour quitter le  territoire et pour entrer à Gaza. Mais quand je la demande, on me répond  qu'il n'y en a pas pour moi.»
 Les larmes aux yeux, Mohamed décide finalement de repartir au Caire.  «Que puis-je faire? On m'interdit de rentrer dans mon pays!»