Les citoyens palestiniens  d’Israël devaient être fiers de ce que leur ténacité collective ait  triomphé de toutes les tentatives israéliennes pour éradiquer leur  légitime mémoire collective. Maintenant on leur ordonne de renoncer une  fois pour toutes à commémorer al-Nakba, la Catastrophe de 1948 qui a  donné lieu à l’agression et à la dépopulation brutales de presque toute  la Palestine afin de réaliser le "miracle" israélien.
On estime aujourd’hui que les Palestiniens qui ont la  nationalité israélienne représentent un cinquième de la population  d’Israël ; cela fait des dizaines d’années qu’ils sont très mal traités.  Comme ils sont musulmans ou chrétiens, ils ont toujours été considérés  comme une anomalie dans un pays qui se proposait d’incarner la parfaite  utopie d’un état juif gouverné par les lois de la démocratie. C’est  l’embarrassante question qu’Israël n’a jamais réussi à résoudre à cause  des citoyens non-juifs d’Israël dont la présence contredisait cette  vision.
La question de savoir ce qu’il fallait faire des  citoyens palestiniens d’Israël a longtemps hanté les politiciens  israéliens. Les lois discriminatoires, la saisie illégale de terre et  même l’emploi de la violence n’ont pas réussi à empêcher les  Palestiniens de demander l’égalité et d’exposer au grand jour les  défaillances morales de l’histoire problématique et de la démocratie  sélective d’Israël. De plus tous les efforts pour fragmenter l’identité  nationale palestinienne -grâce à des système de règlementation  différents pour les Palestiniens d’Israël, pour ceux de Jérusalem Est,  ceux de Cisjordanie, ceux de Gaza et les millions de Palestiniens de la  diaspora- n’ont pas suffi à dénaturer le sentiment profond de solidarité  et d’appartenance qui lie entre elles les communautés palestiniennes.  Quand des militants palestiniens se rassemblent à Jérusalem, Alger ou  Londres, peu leur importe les frontières, les spécificités de leurs  cartes d’identité ou n’importe quelle autre forme de classification  utilisée par Israël. Quand les Palestiniens se retrouvent, les lois  d’Israël qui visent à les diviser se révèlent futiles.
La loi votée le 28 mars était présentée par le ministre des affaires étrangères Avigdor Lieberman du parti Yisrael Beiteinu,  qui se targue d’être à l’origine d’environ deux douzaines de lois  discriminatoires. La campagne de 2009 de Lieberman était largement basée  sur le slogan : "Pas de loyauté, pas de citoyenneté". La dernière loi  est une nouvelle expression de cette idée.
Mais c’était loin d’être la seule loi qui ciblait les  citoyens palestiniens d’Israël. Une autre est passée quelques jours plus  tôt. La "loi de la Nakba" a été voté en dernière lecture le 22 mars et  Alex Miller (Yisrael Beiteinu) en était à l’origine. Cette loi peut être  considérée comme une déclaration de guerre à la mémoire collective  palestinienne puisqu’elle interdit de commémorer la Catastrophe de 1948.
"Nous sommes prêts à aller en prison" a été la réponse  du membre du parlement israélien Jamal Zahalka, du parti Balad, qui a  indiqué qu’une "révolte civile" contre les dernières lois risquait  d’éclater. "La loi de la Nakba n’arrêtera pas les Arabes - au contraire  la protestation s’intensifiera."
Haneen Zoabi, qui est aussi membre du parti Balad a dit à  The Electronic Intifada : "Cette loi prétend contrôler nos souvenirs,  notre mémoire collective. C’est une loi vraiment idiote qui s’en prend à  nos sentiments. Il semble que l’histoire des victimes représente une  menace pour l’état sioniste."
Une loi idiote peut-être mais une loi enracinée dans la  peur historique de la mémoire palestinienne. De fait la guerre contre la  mémoire a sa propre logique convaincante bien qu’impitoyable. Depuis le  "mur de fer" de Vladimir Jabotinsky en 1923 -qui avait pour but  principal de séparer la "population native" des "colons sionistes" de Palestine-  jusqu’au souhait de Uri Lubrani de "réduire la population palestinienne  à une communauté de coupeur de bois et de garçons de café", les efforts  pour déporter ou réduire par la force la population palestinienne sont  la pierre angulaire du projet sioniste. Ce projet dont le dogme  essentiel est l’allégation que la Palestine est une "terre sans peuple"  est souvent remis en question par le fait que les Palestiniens sont trop  entêtés pour accepter que soit mis fin à la relation historique et  intellectuelle très personnelle qu’ils ont avec leur terre. Leur  ténacité a ridiculisé la prédiction erronée qu’a faite le premier  ministre israélien Ben Gourion en 1948 : "Les vieux mourront et les  jeunes oublieront."
La constance palestinienne ne peut pas changer le cours  naturel des choses. Oui les vieux vont continuer à mourir. Mais les  jeunes sont loin d’oublier. Alors comment faut-il faire pour forcer les  Palestiniens à oublier ? Israël a toujours favorisé une approche de la  "démocratie" assez large pour concilier une exclusivité ethnique et  religieuse d’une part avec tous les paramètres d’une démocratie  authentique de l’autre. Ceux qui, à l’extérieur d’Israël, osent remettre  en question sa sagesse sont traités d’antisémites. Les Palestiniens  d’Israël qui se sont battus contre cette interprétation inique et  déshumanisante de la démocratie ont souvent été appelés la "cinquième  colonne" et ont été accusés d’être des "ennemis" de l’état. Ce sont eux  qui risquent maintenant de perdre leur citoyenneté ou d’être mis à  l’amende pour avoir commis le péché soit-disant impardonnable de se  souvenir des tragédies que leur peuple a endurées.
Bien que cela fasse des années que le parlement  israélien passe des lois racistes et discriminatoires, la nature  indubitablement sectaire des lois plus récentes et la fréquence à  laquelle elles sont passées reflètent l’inquiétude croissante des  promoteurs du projet sioniste. L’obstacle principal à ce projet demeure  un peuple qui refuse d’être vaincu et d’être relégué au rang de  "coupeurs de bois et de garçons de café". Israël semble être en train de  résoudre son dilemme entre être une état juif ou un état démocratique  en choisissant clairement la première option. Il n’y a rien de  démocratique dans les dernières lois qui ont été votées au parlement.  Israël est maintenant officiellement un état d’Apartheid et toute la  Hasbra (explications en hébreu) du monde ne pourra pas résoudre la crise  morale qui a atteint le coeur de la vie politique actuelle d’Israël.
Selon le journal israélien Yedioth Ahronoth du 2 mars,  le diplomate confirmé Ilan Baruch a démissionné de son poste en disant  qu’il ne pouvait plus défendre la politique israélienne. On dirait que  M. Baruch a pris sa décision au bon moment car tenter de justifier la  guerre d’Israël contre la mémoire palestinienne paraît vraiment une  tâche insurmontable aujourd’hui.
Ramzy Baroud  (www.ramzybaroud.net) est un journaliste reconnu au niveau international  et le directeur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, "My  Father Was a Freedom Fighter : Gaza ’s Untold Story" (Pluto Press, L  ondon ) est disponible sur Amazon.com. Publié  en français par le Grand Soir
traduction : D. Muselet