Lundi 28 mars 2011
La présidente de la Confédération suisse Micheline Calmy-Rey n’a      pas fait honneur à son pays en accueillant, le 28 mars 2011, à      la mission suisse auprès de l’ONU à Genève, le président de      l’État d’Israël Shimon Peres. Un homme si peu estimable contre      lequel l’ONG suisse “Droit pour tous”, a      porté plainte pénale pour “crimes de guerre et      crimes contre l’humanité” (*).     Calmy-Rey se moque des Palestiniens       victimes d’une immense injustice. La réception du       représentant d’un État qui pratique sur une large échelle       l’épuration ethnique, le vol de la terre arabe, les       massacres d’innocents, et qui emprisonne et persécute la       population exsangue de Gaza, est une offense pour tous ces       gens soumis aux atrocités de l’occupation militaire       israélienne.
Prétendre vouloir parler de cette       mascarade appelée “processus de paix”,       avec le représentant d’un État criminel qui s’est toujours       servi des pourparlers “de paix” comme       couverture pour continuer la guerre et mettre les       Palestiniens devant des faits accomplis - autrement dit,       l’irréversible - est une sinistre comédie.
Par ailleurs, saisir, comme Calmy-Rey le       fait, toute rencontre officielle pour promouvoir cette       coûteuse farce qu’est l’“Initiative de       Genève” [1]       - fondée sur la perspective de “deux États”       - qu’elle aurait dû avoir le courage d’enterrer, est de       l’aveuglement. Ziyad Clot [2],       qui a participé aux pourparlers qui devaient aboutir à la       création de l’État palestinien en 2008, considère cette       initiative sans intérêt. [3]
      Silvia Cattori :      Pas une ligne       n’est consacrée à l’“Initiative de Genève” dans votre       excellent ouvrage “Il n’y aura pas d’État palestinien”.       Votre silence à ce sujet est-il parlant ?
      Ziyad Clot :       Personnellement, j’ai toujours pensé que l’“Initiative       de Genève” était dangereuse car elle implique des       renoncements graves sur les droits des réfugiés palestiniens       et, notamment, sur le droit au retour. Cette question reste       au cœur de l’expérience et de l’identité palestinienne. Le       caractère juste et équitable d’un éventuel accord de paix       -auquel je ne crois pas-, la capacité à le mettre en œuvre,       seront largement jugés à la lumière de la manière dont le       problème des réfugiés aura été traité.
L’“Initiative de Genève”       - au delà de toutes les réserves - a été condamnée par       beaucoup de Palestiniens ; notamment par toutes les       organisations de réfugiés parce qu’elles estimaient que       cette initiative passait à côté de ce qui est au cœur de la       question palestinienne.
Sur le terrain, il s’agit aussi de       prendre conscience que la situation dans les territoires       occupés palestiniens s’est radicalement transformée depuis       les accords d’Oslo (1993) en raison de l’accélération de la       colonisation israélienne. J’ai bien peur que ce processus ne       soit irréversible. Pour construire un État, il faut un       territoire. Or celui-ci est en voie de disparition avec la       présence de plus de 500’000 colons Israéliens en       Cisjordanie, incluant Jérusalem-Est. Il faut aussi une       continuité géographique. Or, le gouvernement israélien       s’oppose violemment à toutes les tentatives de       réconciliation entre le Fatah et le Hamas, condamnant ainsi       tout rapprochement entre la Cisjordanie et la bande de Gaza.
L’affaiblissement et les divisions du       leadership politique palestinien sont en définitive la       deuxième entrave à la constitution de l’État palestinien. Le chaos politique qui subsiste côté palestinien empêche encore       d’exercer une pression suffisante sur Israël afin d’être en       mesure d’obtenir ce à quoi les Palestiniens ont droit.       Penser que les États-Unis, suivis des Européens, vont       changer de position et peser suffisamment sur Israël pour       qu’il accepte de se retirer des territoires occupés y       compris Jérusalem Est, représente à mon avis un immense       défi ; aujourd’hui on ne voit pas comment cela pourrait       arriver puisque même Barak Obama, considéré comme le       président états-unien le plus à même d’apporter une solution       à la question palestinienne, n’arrive même pas s’opposer       franchement à la poursuite de la colonisation israélienne.
Je crois que l’“Initiative       de Genève”, et avec elle la solution des “deux       États”, ne sont plus d’actualité. Je pense que l’on est       bien au delà du stade où la solution des deux États était       encore envisageable. Je me demande même si elle a jamais été       possible. Ce qui est certain c’est que les Palestiniens sont       aujourd’hui bien loin du compte.
Les raisons pour lesquelles le processus       de paix survit encore sont essentiellement politiques. Elles       tiennent au fait que, du côté occidental, on ne veut pas       voir la réalité en face et que, au niveau des directions des       différents acteurs de ce conflit, notamment Israël, l’OLP et       le Hamas en Palestine, et les États-Unis, on ne veut       absolument pas considérer une alternative à la création d’un       État palestinien. Parce que l’on sait très bien que, s’il       n’y a pas de création d’un État palestinien, la seule option       qui reste sur la table – au delà du statu quo ou à moins       d’une expulsion des Palestiniens que l’on ne peut exclure -       c’est la solution de l’État unique, un État binational qui       serait synonyme de la fin de l’État d’Israël en tant que       réalisation du projet sioniste.
Si on se replonge dans les modalités du       plan de partition de 1947, on voit très bien que la solution       des “deux États” n’a jamais été une       solution de séparation complète : Jérusalem devait avoir le       statut de ville internationale et on envisageait une union       douanière entre l’État juif et l’État arabe. C’est la preuve       que les experts n’ont jamais cru à une totale partition       viable en termes à la fois économiques, sociologiques ou       politiques.
Le constat auquel j’arrive est qu’il y a       déjà un État unique, totalement bancal, dans lequel vivent       des communautés israéliennes et des communautés       palestiniennes. Côté palestinien, à Gaza, en Cisjordanie ou       à Jérusalem-Est ou en Galilée on voit – et on vit - des       réalités très différentes qui me font dire que tous les       Palestiniens n’ont pas forcément les mêmes aspirations et       les mêmes expériences. Je crois qu’on pourrait aussi       appliquer dans une certaine mesure cette analyse-là à       Israël, notamment à la division entre les laïcs et les       religieux ; toutes ces personnes sont obligées de vivre ensemble. L’État unique nous l’avons déjà sous nos yeux avec       toutes ces communautés totalement imbriquées les unes aux       autres.
(*) L’ONG suisse “Droit       pour tous”, a porté plainte contre Shimon Peres auprès       du procureur général de Genève pour “crimes       de guerre et crimes contre l’humanité” le jour où       Micheline Calmy-Rey le rencontrait.
Voir aussi : “Le       criminel de guerre Shimon Peres reçu sous les huées à Oxford”,       par le PACBI,       info-palestine.net, 20 novembre 2008.
[1]       Le 12 octobre 2003, après deux années de négociations “secrètes”,       le “projet d’accord définitif” préparé       sous l’impulsion de M. Alexis Keller (projet nommé “Initiative       de Genève”) a été “finalisé”, en       présence de nombreux invités palestiniens et israéliens –       par le DFAE- dans un Palace jordanien, sur la mer morte. 
Voir le site Web officiel de l’Initiative de Genève (http://www.geneva-accord.org) où on peut trouver le texte de l’Accord (http://www.geneva-accord.org/mainmenu/english), des cartes des territoires palestiniens selon l’initiative de Genève (http://www.geneva-accord.org/mainmenu/static-maps/) et les activités et dernières nouvelles des deux délégations israélienne et palestinienne de l’Initiative de Genève.
L’initiative de Genève est appelée en anglais “Geneva agreement”.
Voir le site Web officiel de l’Initiative de Genève (http://www.geneva-accord.org) où on peut trouver le texte de l’Accord (http://www.geneva-accord.org/mainmenu/english), des cartes des territoires palestiniens selon l’initiative de Genève (http://www.geneva-accord.org/mainmenu/static-maps/) et les activités et dernières nouvelles des deux délégations israélienne et palestinienne de l’Initiative de Genève.
L’initiative de Genève est appelée en anglais “Geneva agreement”.
      Sur l’Initiative       de Genève, voir également :      
 “La       diplomatie suisse s’obstine à poursuivre une initiative       mort-née”, par Silvia Cattori,      silviacattori.net, 3 décembre 2010. 
 “Les       errements de la diplomatie suisse”,       par Silvia Cattori, Réseau Voltaire, 10       janvier 2009. 
 “La       diplomatie suisse doit défendre le droit international”,       par Silvia cattori, silviacattori.net,       27 avril 2007. 
 “L’Accord       de Genève est une erreur – Entretien avec Sam Bahour”,       par Silvia Cattori, silviacattori.net,       24 avril 2007. 
 “Un       plan de paix sur fond de sang et de larmes”,       par Silvia Cattori, silviacattori.net, 5       décembre 2003. 
 “L’Initiative       de Genève vue de Naplouse”, par       Silvia Cattori, silviacattori.net, 1er       décembre 2003. 
 “La       charrue avant les bœufs”, par       Silvia Cattori, silviacattori.net, 19       octobre 2003.
[2]       Ziyad Clot, jeune avocat français, auteur du livre “Il       n’y aura pas d’État palestinien” ( Max Milo Editions :       Paris, 2010), est le petit-fils d’exilés palestiniens.
[3]       Propos recueillis par Silvia Cattori en décembre 2010