Ramzy Baroud
          Le mouvement pour un boycott au niveau mondial (BDS)  et d’autres campagnes ont pour objectif en commun d’exposer au grand  jour les agressions israéliennes contre le peuple palestinien, et  d’encourager le développement de la solidarité internationale.         
Manifestations en Palestine occupée, le 15 mars 2011 - Photo : AFP/Mohammed Abeb
Ce qu’il est réjouissant de voir aujourd’hui, c’est à  quel point leurs réalisations ont largement dépassé ces objectifs  initiaux. Les campagnes ont animé, accentué et légitimé la société  civile palestinienne - une notion qui depuis longtemps se trouve en  dehors du paradigme officiel acceptable pour Israël, et qui disposait de  très peu d’espace dans le royaume d’opérette de l’Autorité  palestinienne (AP de Ramallah).
Maintenant, la société civile fait partie de l’équation politique générale comme facteur de premier plan dans la lutte palestinienne pour les droits et la liberté. La société comble de plus en plus le vide créé par l’accaparement de la lutte  palestinienne par l’Autorité palestinienne, et par les tentatives  constantes d’Israël d’interdire toute véritable alternative à la  direction de l’AP.
Cette montée en puissance de la société civile  palestinienne a débuté haut et fort le 09 Juillet 2005, lorsque 171  organisations palestiniennes de la société civile représentant les  Palestiniens vivant dans les territoires occupés, Israël et la Diaspora,  ont invité « les organisations internationales de la société civile et  les gens de conscience dans le monde entier à imposer un large boycott  et à mettre en œuvre des initiatives de désinvestissement contre Israël,  similaires à celles appliquées à l’Afrique du Sud sous l’apartheid. »
Ces organisations ont en outre déclaré : « Nous faisons  appel à vous pour faire pression sur vos Etats respectifs afin qu’ils  appliquent des embargos et des sanctions contre Israël. Nous invitons  également les Israéliens honnêtes à soutenir cet appel, dans un souci de  justice et de véritable paix. »
Cette déclaration a gagné l’approbation de la très  grande majorité des Palestiniens, et elle a inspiré de nombreux  représentants de la société civile dans le monde entier. Plusieurs  actions concrètes ont été menées, et l’appel au Boycott, au  Désinvestissement et aux Sanctions a fini par se transformer en une  véritable stratégie. En Israël aussi, un nombre croissant de militants  israéliens juifs et arabes sont engagés aujourd’hui pour contester la  notion de longue date que le conflit était exclusivement racial,  ethnique ou religieux.
Clairement, les anciennes définitions imposées par le  discours israélien ne sont plus de mise pour une société civile  internationale de plus en plus déterminée. Au cours des dernières  années, par exemple, nous avons vu la Marche  pour la Liberté de Gaza, l’héroïsme montré à bord du Marmara Mavi, les  efforts inlassables d’innombrables personnes et organisations pour  traduire les criminels de guerre israéliens devant les tribunaux et pour  mettre fin au siège de Gaza.
La participation de la société civile internationale dans l’aide à la Palestine  est en réalité aussi vieille que le conflit lui-même. Toutefois, il a  fallu attendre la seconde Intifada, ou « soulèvement », en 2000 pour que  la participation de la société civile internationale ait commencé à « s’institutionnaliser » de façon clairement marquée. Le Mouvement Internationale de Solidarité (ISM)  a été un exemple particulièrement significatif. L’ISM a pu ressembler  aux Brigades internationales qui ont lutté contre le fascisme pendant la Guerre  civile espagnole (1936-39). L’ISM a utilisé une méthode non-violente de  résistance, et ses militants recrutés dans la société civile ont  réalisé des vidéo, des blogs, des photos, des présentations publiques et  même des livres qui ont contribué à changer l’opinion publique  internationale et les représentations habituelles du conflit qui étaient  si honteusement partiales en faveur d’Israël.
L’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), en  dépit des carences du passé, a servi de plate-forme unificatrice,  centralisant les efforts des Palestiniens et défiant les tentatives  israéliennes de rejeter l’existence même d’un collectif palestinien.  L’ancien Premier ministre israélien Golda Meir illustrait l’attitude de  nombreux dirigeants israéliens sionistes quand elle déclarait : « Il n’y  a rien qui corresponde à un peuple palestinien ... Ce n’est pas comme  si nous étions sommes venus et les avions expulsés et pris leur pays. Ils n’existaient pas. »
Le rôle important de l’OLP a cependant été éclipsé par celui de l’Autorité palestinienne de Yasser Arafat  après la signature de l’accord d’Oslo en 1993. L’Autorité palestinienne  a depuis longtemps joué un rôle extrêmement néfaste pour la Palestine et la lutte  du peuple palestinien. L’un de ses pires héritages sur le long terme a  été de priver le peuple palestinien du sens de sa cohésion nationale.  Bien que ce soit Israël qui ait largement soutenu et appuyé ce nouvel  organe non-représentatif du peuple palestinien, c’est ce même occupant  qui a statué qu’il n’avait pas de partenaire de paix, invalidant ainsi  sa propre création.
Avec un gouvernement palestinien élu - celui du Hamas  - en état de blocus physique dans la bande de Gaza et subissant un  ostracisme politique régional et international, la question de la  représentation est d’autant plus pressante. La représentation est une  condition sine qua non pour unifier et guider le peuple palestinien à travers les futures étapes de sa lutte.
Mais il est encourageant de noter qu’un tel vide politique a ses propres avantages. Il a revitalisé la société civile en Palestine, et, par extension, la société civile internationale. Cela  a contribué à maintenir un sens de la centralisation dans le discours  politique palestinien, capable de s’adapter à la fois aux priorités  nationales et à la solidarité internationale.
Le concept de société civile est souvent utilisé comme  un dénominateur commun entre des forces assez différentes, mais dans un  contexte sain et qui fonctionne. Dans le contexte palestinien,  cependant, avec l’occupation, le siège, les assassinats et les  emprisonnements régulier des dirigeants politiques, un tel état est  absent. Cette réalité a faussé l’équilibre traditionnel, ce qui a  entraîné un vide politique voulu par Israël pour délégitimer les  revendications et les droits du peuple palestinien. Il est  impressionnant, pour dire le moins, de constater que les représentants  de la société civile palestinienne aient réussi à développer leur  mouvement et à combler ce vide.
Ce succès n’aurait jamais été possible sans des individus de la société civile internationale - dont Rachel Corrie,  les héros turcs à bord du Mavi Marmara et les nombreux militants  israéliens et les organisations qui sont actuellement prises pour cible  par le gouvernement d’extrême-droite de Benjamin Netanyahu et Avigador Lieberman.
Israël s’est alarmé de l’importance croissante de la société civile en réagissant sur de nombreux fronts. En Palestine  l’occupant emprisonne des résistants palestiniens non-violents. En  Israël même, les  fonds reçus par les groupes israéliens de défense des  droits de l’homme ont été confisqués. Et au niveau international, Israël  a lancé une campagne médiatique de diffamation.
Ces efforts israéliens doivent être contrecarrés sur  tous les fronts. Délégitimer l’occupation israélienne illégale peut être  en partie imposé par le soutien à la société civile palestinienne et à  ses appels au boycott.
Les actions d’Israël ne se sont pas limitées à vouloir  délégitimer les droits des Palestiniens et rejeter leur existence même.  Israël a également travaillé dur pour fragmenter un sentiment de  cohésion politique ou national, par le biais de nombreux moyens dont des  murs de séparation. Pourtant, c’est l’occupation israélienne qui est  maintenant privée de toute légitimité, c’est son propre gouvernement qui  est isolé, et c’est la réputation de son propre pays qui est  définitivement compromise.
Le pouvoir de la société civile a en effet dépassé celui  de l’équipement militaire, des narrations historiques archaïques et  exclusives, de la propagande et de la coercition politique.
Lieberman, le gouvernement israélien et ses puissants lobbies ont toutes les raisons d’être inquiets.
Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.
                15 mars 2011 - Communiqué par l’auteur - Traduction : Naguib