Rich Wiles
OPINION :
"Il n’y a pas de meilleure occasion de comprendre la  Palestine qu’en écoutant son peuple."
Une recherche rapide de ’Palestine’ sur Amazon.com  (la plus grande ’librairie’ du monde) fait apparaître plus de 15000  réponses correspondantes. De toute évidence, il n’y a pas pénurie de  littérature sur le sujet, comme il n’y a pas pénurie de discussions ou  d’opinions dans le monde entier.
Nombre de livres écrits avant la Nakba étaient répartis en deux catégories. Certains étaient du genre journal de voyage ‘aventureux’ traditionnel, presque toujours sous la plume  d’auteurs appartenant à la ‘minorité privilégiée’ des Etats  colonialistes, tandis que d’autres offraient des approches religieuses  et/ou politiques y compris les feuilles de la littérature du début du  sionisme. Après 1948, la littérature liée à la Palestine fut dominée par  des compte-rendus qui louaient l’établissement du rêve sioniste. Cette  fois encore, ces ouvrages étaient presque exclusivement écrits par des  ’Occidentaux’, ce qui n’est pas surprenant quand on sait que la création  d’‘Israël’ et le nettoyage ethnique qui en était une partie  intrinsèque, était un projet colonial à l’européenne.
Depuis que les archives gouvernementales, précédemment  secrètes, ont été rendues publiques au milieu des années 80, une  quantité non négligeable de l’histoire israélienne ’révisionniste’ a été  publiée, qui met en lumière le nettoyage ethnique des Palestiniens dès  1947-49. Tandis que ceux qu’on appelle les ‘Nouveaux Historiens’  israéliens recevaient beaucoup d’attention parce qu’ils  ‘révélaient’  les expulsions des Palestiniens pendant la Nakba, et alors que leurs  travaux apportent effectivement des informations importantes sur la  façon dont le mouvement sioniste a réussi son projet de déplacement des  Palestiniens, des travaux plus anciens d’érudits palestiniens, comme Walid Khalidi et d’autres, avaient affirmé pratiquement la même chose, sans recevoir la même reconnaissance.
Là où le travail de  Khalidi s’écarte de celui de la  plupart des Nouveaux Historiens, mis à part le fait qu’il a commencé à  chercher et à publier 30 ans avant les universitaires israéliens, c’est  dans les références. Khalidi s’est largement appuyé sur les témoignages de Palestiniens qui  avaient  vécu directement la Nakba, alors que les Nouveaux Historiens  comme Benny Morris tiraient presque exclusivement leurs informations de documents israéliens dé-classifiés.
Le travail de Khalidi fut jugé partisan et biaisé par  nombre de gens et rejeté comme tel, tandis que les travaux des Nouveaux  Historiens furent considérés comme  radicaux et révolutionnaires.
Le livre d’ Ilan Pappé ‘Le nettoyage ethnique de la  Palestine’(2006, One World – London), qui a fait l’objet de beaucoup de louanges, présente en détail le Plan  Dalet, à partir de sources dé-classifiées, comme l’une des preuves que  la Nakba était un processus planifié de nettoyage ethnique. Mais quelque  45 ans plus tôt, Walid Khalidi publiait un papier qui est resté relativement ignoré, ‘Le Plan Dalet : le plan global des Sionistes pour la conquête de la Palestine’ (Middle East Forum, novembre1961).
En réalité, ce n’est pas dans ses convictions que la  littérature des Nouveaux Historiens est unique, mais simplement dans le  fait que ces idées étaient enfin formulées par des Israéliens, ce qui  leur donnait beaucoup plus de crédit aux yeux du monde occidental.
Depuis le début de la deuxième Intifada, plusieurs  ‘internationaux’ ont publié des livres qui tentent de présenter la  réalité de la vie des Palestiniens, telle qu’ils l’ ont observée alors  qu’ils apportaient leur soutien à des projets de ‘résistance non  violente’ ou qu’ils travaillaient pour des ONG internationales dans ce  qui reste de la Palestine.  Beaucoup de gens ont des opinions qu’ils veulent exprimer, souvent avec  de bonnes intentions, mais ces opinions s’inscrivent  invariablement  dans des catégories qui peuvent plaire à un public occidental.
Ces pratiques entraînent la ‘compréhension’  internationale de la Palestine  dans le giron global des idéaux occidentaux, où il est facile de les  coincer dans un cadre qui soit acceptable par les éditeurs occidentaux  et en même temps que par leurs lecteurs. Il y a bien sûr des exceptions  notables à ces normes, mais ces livres ne sont qu’une petite minorité,  généralement soutenus par des médias alternatifs.
Les mouvements de ‘solidarité’ internationale et des  parties de la gauche tombent souvent dans le même piège. Leur insistance  à soutenir la ‘résistance palestinienne non violente’ aux dépens du  concept palestinien global de ‘mucawameh’ (résistance) en est un  exemple. Je ne sais plus combien de fois j’ai entendu des ‘militants de  la paix’ promouvoir des projets non violents, les opposant à la  résistance palestinienne en général, ou bien des syndicalistes qui  affirment ‘soutenir la Palestine’ tout en gardant ouvertes les communications avec la Histradut, [syndicat] sioniste, parce qu’ils pensent que cela s’inscrit dans leur interprétation d’un agenda marxiste.
Dans une veine similaire, beaucoup de ‘militants de la  solidarité’ se lancent dans la campagne de boycott des produits des  colonies sans adhérer complètement à l’appel au Boycott,  Désinvestissement et Sanctions (BDS) lancé en 2005 par la société civile  palestinienne. Qui plus est, dans les vastes halls des universités du monde occidental,  des universitaires non palestiniens prennent part aux polémiques  intellectuelles du débat sur un ou deux Etats, dans la sécurité de leurs  bibliothèques bien fournies et de leurs fauteuils confortables, sans  demander vraiment aux Palestiniens quelle forme leur destin devrait  prendre.
La notion qui prévaut dans certains cercles semble être de ‘soutenir la Palestine  mais seulement à nos conditions’. Par ces pratiques, les gens font,  intentionnellement ou pas, entrer leurs propres agendas dans un combat  qui n’est pas le leur, alors que bien peu d’entre eux ont jamais  vraiment ‘vécu’ ce combat. Ceci ne met pas en cause ou ne nie pas le  fait que tout le monde a le droit  d’avoir et d’exprimer une opinion, mais les problèmes se posent quand  les opinions des ‘experts’ occidentaux se voient attribuer plus d’  importance que ceux qui, par définition, comprennent véritablement ce  que c’est qu’être palestinien- les Palestiniens eux-mêmes.
Cet ‘impérialisme intellectuel’ peut être très dangereux pour la Palestine  et la compréhension globale qu’on en a. On néglige trop souvent la voix  des gens qui ont véritablement vécu cette lutte et qui en ont subi les  conséquences, alors qu’il n’y a pas de meilleure occasion de comprendre  la  Palestine qu’en écoutant son peuple.
Avec ’Derrière le Mur : Vie, Amour et Combat en Palestine [1]  j’ai tenté de créer un genre de plateforme : une base solide à partir  de laquelle des voix palestiniennes non censurées et non édulcorées  peuvent se faire entendre, avec leurs propres mots. Ce sont les  Palestiniens qui devraient raconter les histoires palestiniennes et il  faudrait les écouter et, si quelqu’un veut apporter sa solidarité à la Palestine, il  lui faudrait agir d’une façon qui soit celle que ces gens promeuvent et  en leur apportant un soutien total. Quand on veut professer sa solidarité avec un peuple qui lutte depuis  plus de 60 ans avec une immense dignité et une résolution (sumoud) à  vous inspirer, les gens ne devraient pas essayer de faire entrer la lutte  des Palestiniens dans des boites acceptables par des Etats qui  poursuivent leur rôle historique : imposer le climat politique général  par la guerre et le contrôle des ressources naturelles et des biens. Au coeur du combat palestinien se trouve la question des réfugiés, qui  reste un sujet tabou dans de nombreux forums, y compris dans le  ‘Processus de Paix’, apparemment interminable et stérile, qui semble au  bord d’une disparition qu’on ne peut qu’espérer. Régulièrement, dans des discours et des écrits, des commentateurs  ’pro-Palestiniens’ du monde entier parlent de ‘plus de 40 ans  d’occupation’ comme si l’appropriation coloniale injuste de 78% de la terre palestinienne avant 1967 était en quelque sorte  différente de l’occupation du reste de la Palestine.  De même, les 750 000  Palestiniens – selon les estimations – qui ont  été chassés de chez eux pendant la Nakba et les quelque 7 millions de  Palestiniens qui sont nés réfugiés à la suite de ces événements, sont  traités comme des pestiférés politiques dont l’insistance à obtenir  leurs droits, y compris le Droit au retour, est jugé bizarre voire mal  intentionné.    Il n’est pas trop tard pour revenir au début et reprendre tout ça, mais à  travers des yeux palestiniens, cette fois. Regarder comment cela a commencé, comment ça s’est développé, comment c’est maintenu et comment cela progresse aujourd’hui, à travers la Nakba qui est en cours. Si l’on n’écoute pas la voix des réfugiés de Palestine,  si on n’écoute pas leurs histoires, les yeux rivés sur le contexte  historique et moderne, on continuera d’ignorer la voix de la plus grande  partie des Palestiniens qui sont vivants dans le monde aujourd’hui.
[1] Behind the Wall : Life, Love, and Struggle in Palestine’ (Potomac Books 2010)
Artiste photographe, auteur indépendant, militant basé en Palestine. Dernier livre : ‘Behind the Wall : Life, Love and Struggle in Palestine’ (Potomac 2010).
Publié par Palestine chronicle Al Majdal Maga
traduction : C. Léostic, Afps