Daniel Vanhove
          L’émission « Mots croisés » présentée par Yves Calvi, diffusée  sur France 2 ce lundi 07 février et ayant pour thème « Les révolutions  arabes et nous » nous a permis d’assister à un éloquent débat...         
Manifestation  à Rabat (maroc) le 11 février, en soutien à la révolution égyptienne -  Une photo qui se passe de discours... - Photo : AP
Tout téléspectateur averti, n’aura pas manqué de noter  la disposition des invités : il y avait - hasard ou nécessité - d’un  côté de la table, le prince Moulay Hicham El Alaoui (cousin du roi du Maroc, Mohamed VI) et l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine (PS), en face desquels se trouvaient Pierre Lellouche (UMP) secrétaire d’Etat au commerce extérieur ainsi que le philosophe Alain Finkielkraut.
Entre les quatre et face à Y. Calvi, Mathieu Guidère,  professeur de veille stratégique à Genève et « spécialiste » des groupes  islamistes. On a les « spécialités » que l’on peut, dira d’ailleurs A.  Finkielkraut sur le plateau...
L’animateur Yves Calvi pas toujours très adroit dans ses interventions - mais cela  n’est pas nouveau -  n’a pas tardé à lancer ce qui devint vite et  presque exclusivement le cœur du débat, par cette lancinante question  décidément obsédante pour certains : du risque de dérapage de  l’insurrection égyptienne au profit des Frères musulmans ou autrement  dit, d’un islamisme radical ou intégriste, menace suprême pour  l’Occident...
Tout au long de l’émission, deux tendances se sont exprimées : l’une représentée par le prince Moulay Hicham et Hubert Védrine, face à l’autre représentée par Pierre Lellouche et Alain Finkielkraut.  Et il y avait d’une part, la tentative de comprendre et d’expliquer de  la manière la plus objective possible les évènements au regard de la  situation stricte des faits ; et de l’autre, l’essai de lire sinon de  travestir ce formidable élan des peuples tunisiens et égyptiens à se  libérer de leur dictature, en menaces possibles voire probables pour  l’Occident. Avec en toile de fond, comme de bien entendu, la menace  absolue de la sécurité voire de l’existence même d’Israël...
Ainsi, l’on a pu assister à cette énième et pitoyable  plainte d’un Finkielkraut geignard se posant comme à l’accoutumée dans  son rôle préféré, celle de la victime « attaquée de toutes parts » (sic)  pour ne pas avoir affirmé de manière claire et audible son soutien aux  insurrections de deux peuples opprimés de longue date. Au point que par  ses circonlocutions coutumières, le philosophe et sa gestuelle apprêtée  s’est vu obligé de déclarer, à son corps défendant, combien il soutenait  les mouvements populaires auxquels on assiste, mais... - parce qu’il y a  dans le discours et surtout dans la tête de ceux-là toujours un  « mais... » - pour bien vite ramener encore et toujours les choses à  soi, et multiplier les jérémiades habituelles, quant à la lourde menace  sur Israël, sur sa petite personne et blablabla...
Que deux peuples aient ce courage inédit et historique  qui fera assurément basculer l’équilibre du monde, au moins et sinon  plus que lors de la chute du mur de Berlin, n’est qu’un épiphénomène au  regard des attaques auxquelles ce philosophe-nombriliste - et tant  d’autres de sa trempe - doit faire face, car là était l’important...  Devoir admettre que ceux qu’ils ont dédaignés, méprisés pendant des  décennies du haut de leurs certitudes, et à qui ils aimaient tant faire  la leçon, leur en donne une, magistrale, leur est insupportable...
La France n’avait déjà pas brillé par les interventions  imbéciles de sa pathétique ministre des Affaires étrangères, elle n’aura  sauvé ni l’honneur ni la face, par celles de l’un de ses philosophes  attitrés... Auquel je me permets de répondre : votre personne et votre  égo, on s’en fout, et si le résultat des évènements actuels, renverse  l’équilibre moribond, autrement appelé « la paix froide » entre Israël  et l’Egypte : tant mieux ! Les Israéliens, si intelligents qu’ils se  prétendent et se présentent, devaient savoir depuis toujours que cet  équilibre n’en est pas un, ou du moins, qu’il est promis à être  renversé, tôt ou tard parce que profondément injuste... tout comme  l’Etat sioniste d‘ailleurs, quand viendra le temps où la Palestine  historique redeviendra de par la force, la ténacité et la détermination  de ses mouvements de résistance, ce qu’elle était avant l’occupation  brutale qui l’a saccagée : un pays où tous ses habitants, quelle que  soient leur origine et leur confession, pouvaient cohabiter, sans  oppression, sans racisme et sans la violence meurtrière de l’un sur l’autre.
A l’insistance pour ne pas dire l’entêtement d’un Y.  Calvi à vouloir absolument souligner le risque intégriste que représente  le mouvement des Frères musulmans aux portes d’une Europe paniquée,  repris en écho et amplifié par le duo Lellouche-Finkielkraut, répondait  avec beaucoup d’intelligence et de maîtrise le duo Moulay  Hicham-Védrine, revenant toujours sur l’essentiel des évènements, à  savoir, la leçon de courage et d’exemplarité de populations ayant  pourtant payé un lourd tribut dans ces soulèvements. L’ancien ministre a  bien tenté d’expliquer qu’il fallait suivre avec attention le  déroulement des faits pour essayer d’accompagner avec « intelligence »  ces peuples dans ce que seraient leur demandes, rien n’y a fait, le  sujet revenant à chaque coup sur les dangers de l’intégrisme qui nous  guette très prochainement !
Ainsi, ce qui fit l’immense joie et l’enthousiasme des peuples de l’Europe de l’Ouest lors de la chute  du mur de Berlin symbolisant l’effondrement de l’empire soviétique et  la libération des peuples qui en avaient tant souffert pendant des  décennies, ne trouve dans le renversement de deux dictatures dont les  victimes sont elles aussi innombrables, qu’un faible appui voire même  une prudente retenue auprès de certains, la plupart d’entre eux  n’ayant  comme seul souci que la pérennité de l’Etat mort-né israélien... Sans  doute est-il insupportable pour ceux-là de voir que tant d’efforts, tant  d’argent, tant de mensonges et tant d’impostures ne parviennent pas à  empêcher l’émergence de la vérité. Dans l’arrogance qui les étreint,  ceux-là non plus, n’ont encore rien compris - ni appris - des  changements de leur époque...
Enfin, un mot à ceux qui cherchent ici-et-là les  explications à ces insurrections, multipliant les papiers et les  hypothèses pour tenter d’en approcher les causes et les raisons : qu’ils  aient la modestie de regarder ce qui se déroule sous leurs yeux et  arrêtent de se penser comme « spécialistes » de la politique internationale.  Que n’a-t-on déjà lu comme conjectures à propos des évènements de ces  deux derniers mois en Tunisie et en Egypte. Jusqu’à des pseudo  « analyses » qui tourmentent leurs auteurs (d’après leurs dires !) des  jours durant, pour nous indiquer que « les Etats-Unis auraient repris la  main dans la région » ! La belle affaire. Ces éclairés qui veulent nous  inonder de leur lumière n’ont-ils pas encore vu que non seulement les  Etats-Unis n’ont aucune main à y reprendre puisque la région leur est  totalement aliénée, et qu’en plus de la main ils y sont des deux  pieds depuis longtemps !?
Que ce soit au Liban, en Irak, en Egypte, en Arabie saoudite, en Palestine, en Afghanistan, en Jordanie, au Maroc,  au Koweït, et j’en passe... Dès lors, cessez donc vos articles  indigents et besogneux et ouvrez les yeux avec si possible, un regard  neuf... Pour une fois, reconnaissez simplement les choses telles  qu’elles sont : deux peuples ont eu le courage de se soulever face au  pouvoir établi et au système policier qui les maintenaient sous contrôle  absolu. Deux populations écrasées, asservies par nos alliances  malsaines avec des dictatures se sont affranchies de leurs peurs,  première étape pour oser redresser la tête. Rien que cela mérite notre soutien, notre approbation et nos encouragements. Rien que cela  vaut que l’on soit à leurs côtés, eux qui plus que jamais, auront  besoin de notre relais pour ne pas travestir et/ou récupérer leur  mouvement mais au contraire, pour en relayer la vraie nature, la vraie  substance à travers la lecture et les témoignages que nous pourrons en  donner de la manière la plus fidèle qui soit, sans préjugés, ni  arrière-pensées, ni vaines hypothèses...
Retenons de cette soirée, les interventions du prince  Moulay Hicham, relayées et appuyées par Hubert Védrine un peu hésitant  encore parce que sans doute lui-même pris de court par l’énormité de ces  évènements dont personne à ce jour ne peut prédire les futures  retombées au niveau de l’équilibre du monde... sauf à dire que quoiqu’il  advienne, les choses dans cette région vont assurément changer, malgré  les mille défis à relever, que cela  nous plaise ou non, avec notre appui ou non, et celui des Etats-Unis ou  non... mais dans un autre équilibre pour l’entité sioniste,  assurément !
Et où l’on peut comprendre, que depuis quelques  semaines, il n’y a pas que les dictateurs arabes qui font dans leur  culotte ! C’est tout l’Occident qui a des crampes au ventre. Et  l’Etat-major sioniste, si fier de son opération « Plomb durci » doit se  demander si elle ne se transformera pas en « coulée de bronze » ! Oh,...  voilà qui n’est pas politiquement correct, me direz-vous. Certes, mais  pour l’heur, la rue arabe s’en fout. Politiquement correct ou non, elle  nous donne une leçon magistrale, renvoyant les discours pincés de nos  chancelleries et les pratiques de nos dirigeants complaisants,  par-dessus bord. Et peut-être cette rue arabe tellement brimée,  tellement méprisée, tellement raillée va-t-elle amener l’Occident a  enfin revoir sa copie !
* Daniel Vanhove est Observateur civil et membre du Mouvement Citoyen Palestine
Il a publié aux Ed. Marco Pietteur - coll. Oser Dire :
                11 février 2011 - Communiqué par l’auteur