21 janvier 2011
La diplomatie israélienne est dans l’impasse. Sept pays d’Amérique latine, ravis aussi de faire un pied de nez aux Etats-Unis, le Brésil, le Chili, l’Argentine, l’Uruguay, la Bolivie, l’Equateur et la Guyana ont reconnu officiellement l’Etat de Palestine dans les frontières d'avant 1967. Il s’agit certes d’une décision symbolique car la reconnaissance concerne un Etat qui n’a qu’un drapeau mais qui ne dispose ni de frontières définitives, ni de monnaie, ni d’armée, ni de président élu, ni de gouvernement légal et qui est divisé en deux entités distinctes antagonistes: la Cisjordanie et Gaza.
Selon le Daily Telegraph, l’Europe semble prête à prendre la même décision dans le seul but «d’augmenter la pression internationale sur Israël suite à l'effondrement des négociations de paix directes». Un diplomate européen a déclaré «qu’il y a une frustration croissante avec Israël après son refus de s’engager au maintien du gel des constructions dans les nouvelles colonies. La patience est à bout».
La Norvège a relevé le statut de la représentation de l’Autorité palestinienne dans son pays en lui accordant celui de mission diplomatique. Enfin, le drapeau de la Palestine a été, pour la première fois, hissé publiquement à la délégation de Palestine à Washington. Il ne peut s’agir d’une initiative unilatérale risquant de froisser Barack Obama. L'ambassadeur Maen Areikat, représentant de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) aux Etats-Unis, a conduit cette cérémonie qui avait été autorisée il y a plusieurs mois par l'administration américaine. Philip Crowley, le porte-parole du département d'Etat, a souligné de son côté que l'autorisation de lever le drapeau national palestinien sur la façade de la délégation n'impliquait pas un changement du statut de celle-ci. La mission palestinienne auprès des Etats-Unis est un fruit des accords d'Oslo conclus en 1993 par les Palestiniens et Israël.
Israël paie le prix de son éloignement des chancelleries occidentales. Le ministre des Affaires étrangères israélien, Avigdor Lieberman, est persona non grata dans plus de 80% des pays membres de l’ONU. Par respect pour sa coalition hétéroclite, Benjamin Netanyahou refuse de changer de ministre car cette décision serait interprétée par le parti «Israël Beitenou» comme un casus belli et il le peut d’autant moins aujourd’hui que le parti travailliste, membre de la coalition, a éclaté en deux entités dont l’une a rejoint l’opposition.
Durant sa dernière visite du 18 janvier en Cisjordanie, le président Dimitri Medvedev a réaffirmé au nom de la Russie «le droit inaliénable du peuple palestinien à un Etat indépendant avec Jérusalem-Est pour capitale». Les diplomates israéliens ont mis l’accent sur la sémantique en interprétant cette déclaration de manière plus restrictive: «Lorsqu'on examine sa déclaration, il n'y a pas de changement par rapport à la position russe à l'époque de l'Union soviétique en 1988». Ils estiment qu’il y a eu réaffirmation d’un droit sans pour autant signifier une reconnaissance de jure d’un Etat palestinien.
Exercice solitaire du pouvoir
L’opposition attribue ces échecs à l’intransigeance du Premier ministre, adepte de l’exercice solitaire du pouvoir, qui maintient une position ferme face aux Palestiniens. L’opposition est inexistante; le parti travailliste en voie d’extinction et l’opinion publique acquise en majorité au gouvernement. Elle considère que l’Autorité palestinienne refuse les concessions mutuelles indispensables pour trouver une solution définitive au conflit.
La grève des fonctionnaires des affaires étrangères, qui dure depuis septembre 2010 pour des raisons salariales, n’arrange pas la situation puisque les visites de personnalités étrangères ne peuvent pas être organisées. Dimitri Medvedev a ainsi évité Israël lors de sa dernière visite et la venue de la chancelière allemande, Angela Merkel, risque à son tour d’être compromise alors qu’elle est attendue avec plusieurs de ses ministres pour promouvoir la coopération entre les deux pays.
Certains amis fidèles n’abandonnent cependant pas Israël. Nicolas Sarkozy a conseillé à la chef de la diplomatie française, Michèle Alliot-Marie, de se rendre ce 20 janvier à Jérusalem pour évoquer une relance du processus de paix; une sorte de geste compréhensif à l’égard du «frère» Netanyahou, complètement isolé.
Les Palestiniens cherchent à profiter de l’isolement diplomatique de l’Etat juif. Ils ont convaincu les représentants à l'ONU des pays arabes de déposer au Conseil de sécurité un projet de résolution condamnant la colonisation israélienne. Les Israéliens pourront encore compter sur leurs alliés américains qui devraient opposer leur veto à cette démarche. Philip Crowley ne s’est pas engagé sur la décision définitive de l'administration Obama mais il a estimé que «le Conseil de sécurité n'était pas le forum adapté pour ce dossier» qui relève plutôt, selon Washington, de discussions bilatérales entre Israël et les Palestiniens.
Cacophonie
La présidente de Kadima et chef de l’opposition, Tsipi Livni, a tenté de développer sa propre vision de l’avenir d’Israël et des négociations avec l’Autorité Palestinienne:
«Avant de nous rendre à la table des négociations, nous devons d’abord définir ce qui restera à nous et ce qui ne le sera plus. On ne peut pas venir en disant “on veut tout” mais il faut aborder les négociations en ayant une nation unie derrière nous sur ce que nous pouvons donner et sur ce que nous voulons garder.»
Tsipi Livni, qui a été ministre des Affaires étrangères, a mis l’accent sur la cacophonie de la diplomatie israélienne puisqu’à la tribune de l’ONU, en septembre 2010, Avigdor Lieberman avait affiché ouvertement son désaccord avec son Premier ministre. Alon Liel, ancien directeur du ministère, avait déclaré: «Cela est déjà arrivé par le passé, mais contredire le Premier ministre aussi brutalement dans une telle enceinte est sans précédent.» «C'est une humiliation pour le Premier ministre et une insulte à la diplomatie», avait-il insisté. Benjamin Netanyahou s'était d’ailleurs sèchement désolidarisé de son ministre.
La diplomatie ne semble pas avoir tracé de stratégie cohérente tant elle tient à tout prix à se distinguer de celle des occidentaux. Le dernier exemple concerne la Côte d’Ivoire. Le gouvernement n’a fait aucune déclaration officielle sur la crise ivoirienne car il est gêné d’afficher ouvertement son penchant en faveur de Gbagbo, qui entretient depuis 2002 d’étroites relations sécuritaires et économiques avec des sociétés israéliennes. L’ambassadeur de Côte d’Ivoire, Raymond Koudou Kessié, proche de Gbagbo et de son épouse Simone, visiteuse assidue des Lieux saints, a été révoqué par Alassane Ouattara. Il est pourtant toujours considéré par Israël comme le représentant officiel de son pays.
La diplomatie israélienne est en panne et cette situation est due au poids de la politique intérieure qui souffre de l’existence d’une coalition gouvernementale fragile. Elle met en évidence le peu de marge de manœuvre dont dispose le Premier ministre puisque sa majorité dépend impérativement de la présence des nationalistes d'Avigdor Lieberman et des orthodoxes d'Eli Yishaï.
Jacques BenilloucheLien