Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme
Stéphane Hessel  devait participer, mardi 18 janvier, à une conférence-débat à l’Ecole  normale supérieure à Paris. Mais celle-ci a été annulée à l’initiative  du président du CRIF, Richard Prasquier.  Pour Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de  l’Homme, l’interdiction « n’est pas simplement une atteinte à la liberté  d’expression. Elle est aussi la forme la plus imbécile de soutien à  l’existence de l’Etat d’Israël. Et la meilleure manière qui soit  d’attiser le repli sur des communautés artificielles mais  antagonistes. »
Le président du CRIF se  targue d’avoir fait interdire une réunion sur invitations qui devait se  tenir à l’Ecole Normale Supérieure autour des personnes poursuivies pour  leur appel à boycotter les produits israéliens ou ceux issus des  colonies mais estampillés, en toute illégalité, comme israéliens.
La LDH pour sa part, comme l’Autorité palestinienne,  dont la représentante en Europe Leila Chahid devait participer à la  réunion finalement interdite, considère comme plus efficace d’appeler au  respect de la législation européenne et donc de cibler les produits  issus de colonies.
Comme le précise l’appel à soutenir les personnes  poursuivies, "certains d’entre nous appellent au boycott de tous les  produits israéliens ; d’autres « ciblent » les seuls produits des  colonies israéliennes ; d’autres encore choisissent des formes d’action  différentes. Mais nous sommes tous unis pour refuser catégoriquement que  les militant-e-s de la campagne internationale  Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS) soient accusés et jugés pour  "provocation publique à la discrimination"... »
Comment ne pas voir, en effet, derrière l’action du  CRIF, la volonté d’exonérer en permanence les autorités israéliennes de  leurs actes en jetant sur toute critique le voile de l’antisémitisme et  de la délégitimation de l’Etat d’Israël.
Si le CRIF n’a jamais cessé de proclamer que la critique  n’était pas interdite, les propos de ses présidents successifs, les  articles qui figurent sur son site attestent qu’en fait de critiques, le  CRIF refuse de reconnaître que l’Etat d’Israël est un Etat comme un  autre qui a les mêmes droits et les mêmes responsabilités.
Censé représenter la communauté juive de France, encore  qu’il n’en jamais été qu’une émanation très partielle, le CRIF s’est  transformé en porte-parole des autorités israéliennes, adoptant presque  sans retenue les différents crédos de celles-ci. L’évolution de sa  direction n’y est sans doute pas étrangère. Ses silences, voire  certaines de ses publications, ajoutent à cette complaisance une forme  de dérive qui conforte son inféodation aux plus radicaux.
C’est ainsi que son ancien président, Roger Cukierman, a  pu publier sur le site du CRIF, une tribune, certes n’engageant que  lui, en date du 22 mars 2010, fleurant bon le danger que représente le  ventre trop fécond des femmes musulmanes... Au-delà de la dénonciation  rituelle des atteintes aux mosquées et aux cimetières, en ces temps de  haine de plus en plus ouverte contre ceux et celles, français ou non,  qui se réclament de l’Islam, une telle prose amène à s’interroger sur  l’influence de ce mal sur le CRIF.
L’on cherchera aussi vainement sur le site du CRIF la  manifestation d’une quelconque inquiétude concernant les restrictions de  plus en plus fortes apportées par la droite  israélienne à la liberté d’association en Israël, là aussi parce la  dénonciation de la colonisation et des crimes de guerre constitueraient  un danger. L’Etat d’Israël rejoindra-t-il par ce biais les détestables  législations de ses voisins qui conduisent à réduire la liberté  d’association ?
Quant aux libelles qu’ont dû supporter les signataires  du timide mais bienvenu appel « Jcall », y compris de la part du  président actuel du CRIF, ils révèlent que l’attachement naturel que tel  ou tel peut avoir à l’Etat d’Israël entraîne une sorte de sidération  allant jusqu’à la négation de l’évidence.
En adoptant cette attitude, le CRIF prend le risque de  laisser croire qu’il y aurait une sorte de signe d’égalité entre les  juifs pris collectivement ou individuellement, et la politique des  autorités israéliennes. Cette double prise d’otage, qu’elle vise à  interdire tout débat sous prétexte d’antisémitisme ou qu’elle vise à  identifier tout juif à l’action gouvernementale israélienne, ne peut  conduire qu’à une communautarisation accrue du débat politique.
L’interdiction de la manifestation de soutien qui devait  se dérouler le 18 janvier à l’E.N.S. n’est donc pas simplement une  atteinte à la liberté d’expression. Elle est aussi la forme la plus  imbécile de soutien à l’existence de l’Etat d’Israël. Elle est enfin et  peut-être surtout en France, la meilleure manière qui soit d’attiser le  repli sur des communautés artificielles mais antagonistes.