entretien avec Jean-Paul Chagnollaud, Nina Sellès
Il  ne faut déplaire ni à Washington ni à Tel-Aviv... La France n’ose même  pas soutenir les pays qui ont eu le courage de faire cette  reconnaissance
Barack Obama disait qu’un délai d’un an était vital pour signer un accord de paix entre la Palestine  et Israël. Aujourd’hui, Washington juge qu’il faut reprendre les  négociations indirectes. C’est un gros revers pour le président  américain. Quelle explication pour ce changement de position ?
C’est effectivement un sérieux revers pour Barack Obama.  Et le plus grave sans doute est qu’il apparaît désormais affaibli  puisque cette confrontation diplomatique avec Israël se termine à  l’avantage de l’Etat hébreu à la grande joie des colons israéliens. Sa  crédibilité est sérieusement entamée : s’il n’a pas pu faire céder  Netanyahu sur un « simple » gel supplémentaire de la colonisation pour  quelques mois, comment pourra-t-il avancer sur les dossiers majeurs que  sont Jérusalem, les réfugiés, les frontières de l’Etat palestinien et...  la colonisation ?Cette volte-face est certainement liée au rapport des  forces politiques dans le système politique des Etats-Unis. Les  Israéliens et Netanyahu tout particulièrement le connaissent bien. Ils  savent que l’Administration ne peut rien faire sans le Congrès où  justement Israël a beaucoup de soutiens.
Et sans  doute davantage encore depuis la récente victoire des Républicains aux  dernières élections, même si les démocrates ont conservé la majorité au  Sénat. Barack Obama est donc sans doute dans l’incapacité de trouver les appuis politiques dont il a besoin au Congrès. Par ailleurs,  son Administration doit être aux prises avec les problèmes posés par la  diffusion des dépêches diplomatiques via le site Wikileaks ; il est  fort probable que cette affaire a dû considérablement gêner le  département d’Etat. Enfin, d’autres « fronts » sont apparus peut-être  plus urgents et en particulier avec ce qui se passe entre les deux  Corée.
-La reconnaissance de l’Etat palestinien  par les pays d’Amérique du Sud a été reçue avec froideur. La France dit  qu’elle ne veut pas « anticiper » la discussion de paix. Pourquoi cette  hésitation ?
Le quai d’Orsay a beaucoup travaillé sur cette hypothèse  d’une reconnaissance de l’Etat palestinien, surtout si les Palestiniens  faisaient une proclamation unilatérale de leur Etat qui compléterait  celle de 1988. Mais il est évident que le débat n’est pas tranché et  qu’en tout cas, l’Elysée n’osera jamais franchir ce pas sans l’aval des  Etats-Unis qui, eux-mêmes, ne feront rien dans cette direction sans  l’accord d’Israël. Autant dire qu’il ne faut rien attendre de décisif  dans cette direction. La position française est donc très frileuse. Il  ne faut déplaire ni à Washington ni à Tel-Aviv... La France n’ose même  pas soutenir les pays qui ont eu le courage de faire cette  reconnaissance comme le Brésil ou l’Argentine. Et du coup, on oublie  qu’une large majorité d’Etats aujourd’hui a reconnu l’Etat palestinien !   Tout se passe comme si cela ne comptait pas... si les Etats-Unis ne le font pas.
-Le président palestinien Mahmoud Abbas  a soulevé dernièrement l’éventualité d’une dissolution de l’Autorité  palestinienne si aucun accord de paix ne peut être conclu avec Israël et  que le monde ne reconnaît pas un Etat palestinien. Quelle conséquence  aurait une telle décision sur la Palestine ?
La dissolution de l’Autorité palestinienne est en effet  en discussion chez les Palestiniens. Beaucoup y sont favorables, car de  cette façon au moins les choses seraient claires.  Leur argumentation  est simple : il y a une occupation militaire qui décide de tout et il  faut en finir avec cette « Autorité » qui n’en est pas une et qui ne  préfigure en rien un Etat. Sur le terrain, cela  poserait quand même beaucoup de problèmes, car si elle n’a aucune  consistance politique, l’Autorité palestinienne est quand même présente  dans bien des domaines. L’actuel Premier ministre, Salam Fayad, est très  présent au quotidien et cherche par tous les moyens à construire les  institutions de cet Etat tant désiré et en même temps si lointain.
-Pourquoi aujourd’hui, la France et l’Europe semblent absentes du terrain, contrairement aux USA ?
L’UE et la France voudraient bien jouer un rôle, mais  elles en sont politiquement incapables. Surtout depuis l’élargissement à  27, l’UE est paralysée par ses contradictions dès qu’il faut aborder  une question difficile de politique étrangère et celle du Proche-Orient  est certainement plus complexe. Alors malheureusement, je crois qu’il ne  faut rien attendre de l’UE. C’est d’autant plus regrettable que les  positions de l’UE, encore récemment réaffirmées et précisées à Bruxelles  en décembre 2009, fournissent le cadre d’un règlement global juste et  équilibré.
Jean-Paul Chagnollaud.  Spécialiste de la question palestinienne, rédacteur en chef de la revue  Confluences Méditerranée et directeur de la collection Comprendre le  Moyen-Orient chez l’Harmattan.
publié par el Watan