Gilles Paris
"L’inertie  joue au profit des colons. Même s’ils n’ont plus la sympathie de  l’opinion américaine, ils disposent d’alliés puissants dans  l’administration, de riches soutiens en Israël et à l’étranger"
L’analyse est celle du chef des renseignements militaires israéliens, Amos Yadlin, en décembre 2008, peu avant l’accession au pouvoir du président-élu Barack Obama  et de Benyamin Nétanyahou, qui va retrouver les fonctions de premier  ministre en mars suivant. Interrogé par un membre du Congrès américain  sur les perspectives de paix entre Israéliens et Palestiniens, le  responsable israélien avance les points suivants : tout d’abord, les  Palestiniens ne viennent qu’en quatrième position dans l’ordre de  priorité de l’armée israélienne, sous entendu, ce dossier ne présente  pas de caractère d’urgence ; ensuite, toute tentative de parvenir à un  règlement du conflit sera vouée à l’échec et ne pourra déboucher que sur  une reprise des violences comme après le sommet raté de Camp David, en  2000.
Amos Yadlin  annonce incidemment qu’Israël doit se montrer "beaucoup plus dur" à  Gaza. Deux semaines plus tard, l’armée israélienne lancera la plus  violente offensive dans un territoire palestinien depuis 1967.
Le pessimisme à propos du processus de paix  israélo-palestinien irrigue les télégrammes diplomatiques américains  obtenus par WikiLeaks et révélés par Le Monde. En 2007, avant la prise  de contrôle de Gaza par le Hamas, le chef du Shin Beth, Youval Diskin, voit dans la faiblesse du Fatah, le parti du chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, vis-à-vis des islamistes du Hamas, "un problème stratégique" pour Israël, les Etats-Unis et l’Union européenne. En août 2007, le chef du Mossad, Meir Dagan, assure ne voir aucun espoir côté du côté des Palestiniens.
Deux ans plus tard, en 2009, lors d’une rencontre avec  une délégation américaine, le vice-premier ministre Moshé Yaalon, ancien  chef d’état-major passé au Likoud, estime ainsi que la stratégie du  premier ministre Benyamin Nétanyahou d’améliorer la situation en  Cisjordanie pour renforcer le camp des modérés ne produira pas d’effet  avant une vingtaine d’années.
"LE FOSSÉ EST TROP LARGE"
En novembre 2009, une note américaine constate qu’il n’a  jamais été aussi évident que "le fossé est trop large entre le maximum  que peut proposer un premier ministre israélien et le minimum que peut  accepter un leader palestinien" pour survivre politiquement. Toujours en  novembre, le chef des affaires politiques de l’armée israélienne, Amos  Gilad, estime que M. Abbas ne survira pas politiquement après 2011,  ajoutant que le gouvernement israélien a une confiance très relative  dans l’équipe de négociateurs palestiniens.
Compte tenu de la volonté du président Barack Obama de  s’impliquer dans un règlement du conflit, la diplomatie américaine  s’interroge : "Il n’est pas clair pour nous jusqu’où Nétanyahou est prêt  à aller." "Il est intéressé par des gestes pour renforcer Abou Mazen (Mahmoud Abbas)  mais il n’acceptera pas le gel total des constructions israéliennes en  Cisjordanie qu’Abou Mazen considère comme une condition nécessaire pour  s’engager", avertit la même note.
Cinq mois plus tôt, en juin, M. Nétanyahou a en effet  écarté un gel total qualifié d’"injuste". "Israël doit parvenir à un  accord avec les Etats-Unis dont la position doit être ’raisonnable’",  assure-t-il.
C’est pourtant sur la question du gel total de la  colonisation que la diplomatie américaine va se concentrer dans les mois  qui vont suivre, soutenue par les Européens. Ce même mois de juin, la  diplomatie française, toujours prête à des offres de service, fait  savoir aux Américains que le ministre israélien de la défense, Ehoud  Barak, se prévaut auprès d’elle d’un "accord secret" avec Washington  permettant la "croissance naturelle" des colonies en Cisjordanie.  "Qu’allez-vous répondre aux réactions israéliennes à votre pression" sur  la colonisation ? s’inquiètent les diplomates français, qui anticipent à  juste titre une forte résistance israélienne.
"ZONES PRIORITAIRES NATIONALES"
Lorsque le premier ministre israélien se prononce pour  un gel partiel de la colonisation, en novembre 2009, les réactions  palestiniennes sont évidemment très tièdes. Les Occidentaux, sans être  dupes, se félicitent cependant d’une décision sans précédent de la part  d’un héritier du courant politique israélien qui a longtemps plaidé pour  un Grand Israël. Sans attendre la crise que provoquera l’annonce des  constructions à Jérusalem-Est en mars 2010, les diplomates américains  sont attentifs aux accommodements pris avec cette décision.
Dès décembre, le choix des autorités israéliennes  d’inclure par les "zones prioritaires nationales" 90 colonies est  considéré comme "de courte vue et contre-productif dans la perspective  d’une relance de discussions de paix". "Le gouvernement israélien tente  d’apaiser les colons et complique à l’avenir la manière de traiter avec  leur mouvement", écrivent les diplomates américains.
En mai 2008, à la veille de la visite du président américain George Bush en Israël, une note diplomatique mettait déjà en garde  contre ce qui était considéré comme une évidence : "L’inertie joue au  profit des colons. Même s’ils n’ont plus la sympathie de l’opinion  américaine, ils disposent d’alliés puissants dans l’administration, de  riches soutiens en Israël et à l’étranger, prêts à financer leur  entreprise, et ils savent que l’armée ne fera rien sans instructions  claires de l’échelon politique (et que même avec des consignes, cette  armée pourra traîner des pieds)."
La relance en septembre 2010 du processus de paix  israélo-palestinien s’est brisée nette, quelques semaines plus tard, sur  la question du gel de la colonisation.