Alain Gresh
Alors  qu’ "Israël hausse le ton et demande, par la voix de son premier  ministre, « une menace militaire crédible » contre l’Iran",  "l’administration Obama se lance-t-elle dans un solo diplomatique  susceptible de marginaliser les Européens ?" .
Téhéran, qui a accepté le  principe de négociations avec le groupe « 5+1 » (les membres du conseil  de sécurité et l’Allemagne), a proposé que la réunion ait lieu en  Turquie. La chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton,  intermédiaire des grandes puissances sur ce dossier, a réagi en  affirmant qu’elle attendait « une proposition officielle de l’Iran »  pour se déterminer. Mme Ashton avait proposé une rencontre à Vienne du  15 au 18 novembre. La Turquie a donné son accord de principe pour  accueillir les négociations interrompues depuis octobre 2009, et les  dates proposées par Téhéran sont le 23 novembre ou le 6 décembre.
L’Iran a développé des relations fortes avec la Turquie,  notamment depuis l’accord cosigné par les deux pays et le Brésil en mai  2010. Que prévoyait ce texte ? « D’abord que, conformément au TNP,  l’Iran a droit à l’enrichissement ; ensuite, que le pays accepte  l’échange de 1 200 kilos d’uranium faiblement enrichi (UFE) contre 120  kilos d’uranium enrichi (UE) à 20%, indispensables au fonctionnement de  son réacteur de recherche ; que les 1 200 kilos d’UFE seraient stockés  en Turquie, le temps que l’Iran reçoive ces 120 kilos d’UE ; que l’Iran  transmettrait à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA),  dans la semaine suivant le 17 mai, une lettre officielle formalisant son  accord. En renonçant à une partie importante de son uranium, Téhéran  limite sérieusement ses capacités à produire une bombe. »
On le sait, cet accord fut rejeté par les Etats-Unis  (qui, pourtant, avaient confirmé par lettre au Brésil un soutien à la  démarche) et de manière encore plus radicale par la France. Quelques  jours après, le 9 juin, le Conseil de sécurité des Nations unies votait  de nouvelles sanctions, malgré l’opposition du Brésil et de la Turquie.  Non contentes de ces mesures, les Etats-Unis et l’Union européenne  décidaient des sanctions unilatérales contre l’Iran, malgré les  critiques de la Russie et de la Chine.
Depuis, à plusieurs reprises, il a été question de  reprendre les négociations et la proposition de Téhéran se situe dans ce  cadre, au moment où Israël hausse le ton et demande, par la voix de son  premier ministre, « une menace militaire crédible » contre l’Iran.  Benyamin Nétanyahou a formulé cette exigence lors d’un entretien avec le  vice-président américain Joe Biden, le 7 novembre. « La seule manière  de s’assurer que l’Iran n’obtienne pas d’armes nucléaires est de brandir  une menace crédible d’action militaire contre lui s’il n’arrête pas sa  course à la bombe atomique. »
Au même moment, un important sénateur, Lindsey Graham,  déclarait au forum de Hallifax sur la sécurité internationale que toute  action militaire contre l’Iran devrait inclure, non seulement ses  installations nucléaires, mais aussi couler sa marine, détruire ses  forces aériennes et porter de sévères coups aux Gardiens de la  révolution (« Lindsey Graham Makes The Case For Strike On Iran », The  Huffington Post, 6 novembre). Sur cette réunion, on lira aussi Roger  Cohen, « An Unknown soldier » (The New York Times, 8 novembre), qui met  en garde contre une nouvelle guerre au Proche-Orient, une expédition  contre l’Iran.
Le secrétaire américain à la défense Robert Gates a  rejeté les propositions israéliennes : « Je ne serais pas d’accord pour  dire que seule une menace militaire crédible [peut convaincre] l’Iran de  prendre des mesures pour mettre fin à son programme d’armes nucléaires.  (...) Nous sommes prêts à faire ce qui est nécessaire, mais en ce  moment, nous continuons de penser que l’approche économique et politique  que nous avons adoptée a en fait un impact sur l’Iran » (dépêche AFP, 8  novembre).
Quant à l’attitude de la France (et du Royaume-Uni),  elle se caractérise par la surenchère, comme le confirme l’article du  Monde daté du 5 novembre, « Nucléaire iranien : Paris et Londres  s’opposent à un projet d’offre américaine » (non disponible librement  sur le site).
Extraits :
« Dans une nouvelle tentative de “main tendue” à l’Iran,  l’administration Obama prépare depuis cet été une nouvelle offre  diplomatique pour tenter de résoudre l’imbroglio nucléaire. Cette  initiative, selon nos informations, contrarie fortement les responsables  français et britanniques. La question de l’unité des grandes puissances  sur ce dossier paraît ainsi posée, au plan transatlantique. Paris et  Londres ont fait part de fortes réserves. A la fois sur la méthode  américaine, qui a consisté à discuter de la nouvelle approche d’abord  avec les Russes et les Chinois, avant d’en parler aux Européens ; et sur  le contenu même du schéma proposé, qui risquerait de légitimer les  activités iraniennes d’enrichissement d’uranium, alors que le Conseil de  sécurité de l’ONU réclame leur suspension depuis 2006. »
En quoi consiste cette proposition ?
« Un nouveau projet d’évacuation d’uranium enrichi  iranien vers l’étranger, allant bien au-delà de celui déjà proposé en  octobre 2009 (mais rejeté par Téhéran). L’objectif est de priver l’Iran,  pendant un certain temps, de la capacité de franchir le pas, s’il  devait le décider, vers la fabrication de matière fissile utilisable  dans une arme atomique. (...) La grande nouveauté est que Washington  proposerait que l’Iran évacue vers la Russie 2 000 kilogrammes d’uranium  faiblement enrichi (à moins de 5 %), sur les quelques 3 000 kilogrammes  qu’il détient aujourd’hui. Cette matière serait alors transformée pour  servir de combustible à la centrale nucléaire iranienne de Bouchehr (de  fabrication russe). Selon David Albright, dont le point de vue coïncide  avec l’analyse faite à Paris et Londre, un tel projet “fournirait à  l’Iran la légitimité internationale qu’il recherche depuis longtemps  pour l’enrichissement d’uranium”. En donnant à Téhéran la possibilité de  poursuivre sur cette voie, il serait encore plus difficile, argue-t-il,  de contrôler par des inspections qu’aucun détournement de matière  nucléaire n’ait lieu à partir du site de Natanz. »
Rappelons que le Traité de non prolifération prévoit explicitement le droit à l’enrichissement.
« (...) L’administration Obama se lance-t-elle dans un  solo diplomatique susceptible de marginaliser les Européens ? Français  et Britanniques ont insisté, dans des entretiens avec les officiels  américains, pour qu’un front commun soit soigneusement préservé. Il  serait prématuré, jugent-ils, de faire une offre spectaculaire et  inédite à l’Iran, alors que l’effet des sanctions, que Washington ne  cesse parallèlement d’accroître, au plan unilatéral, commence à peine à  se faire sentir. »
En bref, Paris et Londres, comme Tel-Aviv, poussent l’administration Obama à l’intransigeance.