Jillian Kestler-D’Amours
Ce  qui nous distingue, nous les Palestiniens, c’est notre libre volonté et  notre endurance, que nous utilisons pour résister à l’ oppression, aux  oppresseurs et à leur supposée justice
Après près de 6 mois d’emprisonnement, le prisonnier politique  palestinien Ameer Makhoul a, le 27 octobre, signé un accord de ’plaider  coupable’ avec les procureurs israéliens. L’accord implique une  réduction de la liste des accusations, qui comprend le contact avec un  agent ennemi et espionnage pour le mouvement de résistance libanais    Hezbollah. Les accusations entrainent une condamnation de 7 à 10 ans  d’emprisonnement au maximum.
Makhoul est le coordinateur de Ittijah, l’ Union des  Associations de la communauté arabe, et l’un des dirigeants du mouvement  pour la protection des droits des citoyens palestiniens d’Israël.  L’accusation initiale contre Makhoul, présentée devant le tribunal du  district d’ Haifa, comportait : assistance à l’ennemi en temps de  guerre, conspiration pour aider l’ennemi,  espionnage aggravé et contact  avec un agent ennemi. Makhoul a formellement nié les accusations.
Suite à l’accord de ’plaider coupable’, l’accusation  d’assistance à l’ennemi en temps de guerre, qui entraîne la perpétuité,   a été enlevée. La prochaine session du tribunal, lors de laquelle les  termes exacts de l’accord seront présentés, doit avoir lieu le 5  décembre.
Selon le  Dr. Hatim Kanaaneh, président du Comité de  Défense d’ Ameer Makhoul, la décision de plaider coupable pour réduire  les accusations a été très difficile à prendre pour  Makhoul, mais sa  famille et l’équipe de ses avocats comme la réalité de la vie des Palestiniens d’Israël en ont fait la seule option possible [1]
"Historiquement, les rapports du système judiciaire  israélien montrent que près de  100 % — en tout cas plus de 95 %— des  affaires où une personne est accusée ou arrêtée sur la base de  violations de la sécurité résultent dans une condamnation et un  emprisonnement. Le tribunal les juge coupables. Surtout quand l’accusé  est palestinien, bien sûr" explique Kanaaneh .
"Un petit poisson s’en tirerait avec un jugement plus  clément mais quelqu’un de l’envergure d’Ameer, avec sa notoriété  internationale, ne bénéficiera d’aucune pitié," ajoute Kanaaneh
"La peine  maximale pour aide à l’ennemi en temps de  guerre est la prison à vie, et c’est ce vers quoi nous allions avant  d’accepter de négocier ce plaider coupable qui  ’vaut’ de 7 à 10 ans."
Manque de preuves
Le 6 mai à 3 heures du matin, 16 agents de l’Agence de Sécurité d’Israël, aussi connue sous le nom de  Shin Bet  ou Shabak, ont arrêté  Makhoul chez lui. Ils ont confisqué les  ordinateurs et téléphones de la famille de même que de nombreux effets  personnels et ont procédé à une fouille des bureaux d’Ittijah.
Makhoul fut gardé au secret pendant 12 jours et n’eut pas le droit  de voir un avocat. Trois semaines après son arrestation, il fut accusé  d’un déluge de délits sécuritaires. Les autorités israéliennes  prétendirent que Makhoul était en  contact avec un agent du Hezbollah.
Malgré l’examen d’une douzaine de disques durs et de  plus de  30 000 conversations téléphoniques, c’est uniquement sur la  base de la confession de Makhoul qu’Israël  l’a condamné. Et cette  confession, selon sa  famille et ses avocats, a été obtenue sous la  torture.
"L’homme a été soumis à la pression physique et la  manipulation mentale, sans doute sous l’effet de drogues. Ils l’ont  maintenu sur une chaise basse sans dossier, les bras et jambes liés, et  l’ont gardé dans cette position sans dormir pendant 62 heures. L’homme  était brisé," a déclaré Kanaaneh [2].
"La seule chose qu’a l’Etat contre  Ameer est son aveu .  Ils n’ont pas trouvé l’ombre d’une preuve où que ce soit, ni les 10  ordinateurs ni les 30 000 conversations téléphoniques. Ils n’ont trouvé  absolument aucune preuve qu’il ait passé des informations à qui que ce soit, comme ils le prétendent," ajoute-t-il.
Orna Kohn, l’une des avoctes de Makhoul, d’ Adalah – le  centre légal pour les droits de la minorité arabe en Israël, explique  que selon la loi israélienne la définition de ce qui  constitue un délit  sécuritaire  permet à l’Etat de condamner facilement quelqu’un pour ces  crimes.
"La loi israélienne définit de façon très large les dits  délits sécuritaires, ce qui criminalise des attitudes ou actions que  personne ne s’attendrait à voir incluses dans une clause du code  criminel. Le résultat c’est qu’il est très facile pour le procureur  général de convaincre un tribunal qu’une personne est coupable," dit  Kohn.
"[Avec] ce genre d’accusations, surtout ce qu’on appelle  ’être en contact avec un agent ennemi’, la charge de la preuve est  déplacée," ajoute Kohn. "Ainsi  c’est l’accusé qui doit convaincre la cour qu’il n’avait aucune intention d’attenter à la sécurité de l’Etat. Le résultat c’est qu’une fois que quelqu’un est accusé de cela, il est quasiment impossible de ne pas être déclaré coupable."
Cibler la société civile palestiniennes
Selon Nadim Nashif,  directeur de Baladna, l’ Association pour la Jeunesse  arabe, un organisme de développement et de  renforcement des capacités  pour les jeunes Palestiniens d’Israël basé à Haifa, la persécution d’  Ameer Makhoul et d’autres dirigeants de la société civile palestinienne  met en évidence la politique israélienne de plus en plus extrême qui  vise à intimider les militants palestiniens qui se trouvent à  l’intérieur d’Israël.
"Je pense que le message essentiel est qu’il y a une  limite à notre liberté de militer et que si nous, militants ou personnes  qui travaillons dans des ONG, ou les ONG elles mêmes, dépassons ces  lignes, alors nous serons punis ou on nous stoppera,"dit Nashif.
Nashif explique qu’en plus de cibler les dirigeants  comme Makhoul, beaucoup de jeunes militants palestiniens ont été  interrogés et intimidés par les autorités israéliennes au cours des  derniers mois
"C’est le sentiment général, pas seulement pour  l’affaire d’Ameer, mais en général. Nous ressentons qu’il y a beaucoup  plus d’interrogatoires de jeunes militants par le Shabak. Nous avons dénombré des centaines de cas l’an passé" dit-il.
"Les gens sont plus conscients. Et en ce sens, je pense  que ce que le gouvernement veut faire, c’est nous ramener à la situation  passée, quand les gens avaient peur de faire quoi que ce soit, quand  ils se sentaient inférieurs. Je pense que c’est la direction générale.  C’est un gouvernement fasciste net ils appliquent leur politique  clairement, sans chercher de prétextes."
"Jamais déclaré innocent"
Le  26 octobre Makhoul a écrit une lettre ouverte au  Conseil international du Forum social mondial et au Comité national  palestinien du Forum mondial de l’Education qui s’est tenu en Palestine du 28 au 31 octobre.
"5 mois ont passé depuis [mon arrestation en mai 2010],  mais tout ce à quoi je dois faire face aujourd’hui — l’emprisonnement  injuste, les procédures judiciaires et le procès— n’est pas une moindre  oppression que la torture physique et psychologique que j’ai du subir," a  écrit Makhoul.
"Cependant, ce qui nous distingue, nous les  Palestiniens, c’est notre libre volonté et notre endurance, que nous  utilisons pour résister à l’ oppression, aux oppresseurs et à leur  supposée justice. Nous ne nous laissons pas berner par l’idée qu’il y aurait une justice israélienne ; au contraire, nous considérons les tribunaux comme des opportunités pour consolider la mobilisation populaire et internationale et la lutte  déjà engagée- ce sont les pierres angulaires de la défense de nos  droits et les outils qui empêchent que l’Etat d’occupation ne nous les  vole."
Makhoul ajoute : "Les tribunaux israéliens et le système  judiciaire sont de simples manifestations de l’injustice de l’Etat  israélien. C’est pourquoi nous ne recherchons pas la justice dans ces  systèmes mais nous choisissons de leur faire face et de leur résister,  et aussi de les accuser d’être des instruments d’oppression, pas de  justice. Un prisonnier palestinien dans une prison israélienne ne se  verra jamais déclaré innocent."
[1]  c’est aussi la décision prise par l’avocate de notre jeune compatriote  Salah Hamouri, accusé sans un soupçon de preuve d’une intention  délictueuse et condamné à une lourde peine. Qui plus est par un tribunal  militaire d’exception de la puissance occupante, donc illégal. Il ne  fera ainsi « que 7 ans » pour un crime inexistant. L’injustice  est le fil conducteur du système judiciaire israélien dès lors que des Palestiniens sont concernés.
[2] c’est également ce qui a été infligé à Marwan Barghouthi,  kidnappé à Ramallah par les forces d’occupation israéliennes en avril  2002, condamné par un tribunal militaire à 5 fois la prison à vie et  détenu illégalement dans des prisons israéliennes depuis lors
Originaire de  Montreal, Jillian Kestler-D’Amours est reporter et auteure de documentaires basée à Jérusalem-Est occupée.
Publié par the Electronic Intifada
traduction et notes : C. Léostic, Afps