Pierre Barbancey
Ils sont des centaines de milliers 
à s’entasser dans 
des camps au Liban. Ils veulent que le droit au retour soit partie intégrante 
de négociations avec Israël. Une délégation française, à laquelle participait Patrick Le Hyaric, était 
sur place.
Le pas lent, Suleiman Borhan  Samany parcourt les rues de ce camp qu’il connaît si bien, celui de  Baddawi, près de Tripoli, la grande ville du Liban Nord. Il est arrivé  là en 1958, après une errance qui a commencé pour lui alors qu’il  n’avait que sept ans. C’était en 1948. Suleiman et sa famille avaient dû  fuir leur village de Sahmata, au nord de la Palestine, bombardé par les forces sionistes. Le garçon qu’il était alors portait sur ses épaules une petite fille  jusqu’à Rmeich, bourgade libanaise aujourd’hui frontalière avec Israël.  «  Quand on est arrivés là, il n’y avait rien pour nous. Nous puisions  de l’eau dans la mare où s’abreuvaient les cochons  !  » Que regarde  Suleiman en nous parlant  ? Les façades de ces immeubles du camp de  Baddawi où il a finalement échoué alors qu’il n’y avait là que des  tentes de toile mises à disposition par l’agence de l’ONU pour les  réfugiés palestiniens, 
l’UNRWA  ? À moins que ce ne soient ces câbles  électriques qui pendent dans les rues comme de vieilles guirlandes  oubliées, alors que l’éclatement d’une canalisation d’eau fait à chaque  fois craindre le pire  ? Ne serait-ce pas plutôt, au travers de ces  enfants qui jouent dans la rue, son propre souvenir, celui du temps qui  passe, de l’enfant devenu homme et qui maintenant vieillit deux fois plus vite, et qui voit le cycle se répéter inlassablement pour les Palestiniens  ? Suleiman Samany pleure. Il pleure la vie  «  qui est insupportable ici  ». Il pleure la mort qui, il le sait  maintenant, viendra le cueillir dans ce camp, loin de sa terre natale,  celle de ses ancêtres.
Aucun lyrisme. Juste une fatigue. Une énorme fatigue.  C’est sans doute ce qui caractérise le sentiment de ces réfugiés  palestiniens. Troisième ou quatrième génération, ils sont fatigués de  cette existence sans horizon, entre nostalgie et colère, entre révolte  et désespérance. Suleiman Samany le sait, lui qui a été prof de français  dans les écoles de l’UNRWA pendant dix ans, possède une solide  formation de médecin (métier qu’il n’a pas le droit d’exercer au Liban selon les lois en vigueur jusque-là, bien que le Parlement, au mois d’août, ait  assoupli la législation), s’est investi dans les clubs de football pour  entraîner les jeunes et laisse maintenant aller ses pensées sur des  toiles qu’il peint.
Tout cela, les membres de la délégation initiée par  l’Association de jumelage des camps de réfugiés palestiniens et des  villes françaises (AJPF) ne l’ont pas vraiment découvert. Comme  l’explique le président de l’association, Fernand Tuil, «  les camps  sont le symbole de la résistance  ». Marc Everbecq, maire de Bagnolet –  dont la ville est jumelée avec le tristement célèbre camp de Chatila –  souligne d’ailleurs que cette action n’est pas seulement organisée  «  dans un cadre humanitaire d’aide à la population. Elle vise à traiter  politiquement la question du droit au retour des réfugiés  palestiniens  ». Ce qui n’empêche évidemment pas les aides concrètes.  Piero Rainero, adjoint au maire de Quimper, parle ainsi d’un travail  avec une association de Morlaix pour dépolluer le puits d’un camp. Pour  François Baud, maire de Valenton, «  ce qu’on a vu est très violent, il  faut réfléchir aux actions à mettre en œuvre en France pour faire  connaître cette question  ». Mêmes sentiments à Mitry-Mory, à La Courneuve, à Avion, à Montataire ou à Vierzon, où le maire, Nicolas Sansu, étudie la possibilité d’un jumelage.
Patrick Le Hyaric,  directeur de l’Humanité et député au Parlement européen, qui a pu  constater dans quelle situation vivaient les réfugiés palestiniens,  juger des conditions sanitaires désastreuses – la plupart du temps, il  n’y a pas d’eau potable –, a dénoncé «  l’impunité la plus totale dont  continuent à bénéficier les dirigeants israéliens, responsables des  massacres de Sabra et Chatila aussi bien que de ceux perpétrés à Gaza  ».
Au fil des rencontres avec les responsables des camps,  notamment à Baddawi, la crainte est apparue de voir justement cette  question des réfugiés marginalisée, voire oubliée. «  On nous traite  comme des chiffres, nous ne sommes que des pourcentages  », se plaignait  l’un d’entre eux, réaffirmant  : «  Nous voulons retourner en Palestine  et vivre là-bas, dans notre patrie. Nous voulons la nationalité  palestinienne, un passeport palestinien.  » Et Kassem Hassan,  responsable des organisations membres de l’OLP dans le camp de Chatila,  et membre du Fatah, le parti de Mahmoud Abbas,  d’ajouter  : «  Les négociations ne se termineront jamais tant que le  problème des réfugiés ne sera pas réglé.  » Ce doute de voir la  direction palestinienne les oublier imprègne les réflexions des  habitants de ces camps de réfugiés, au Liban plus qu’ailleurs.  L’ambassadeur de Palestine au Liban, Abdallah Abdallah, le sait bien. En  recevant officiellement la délégation française, il a d’abord relevé  que «  la division interpalestinienne était un obstacle au mouvement de  solidarité avec la Palestine  », tout en faisant remarquer que «  les  efforts pour la réconciliation continuent mais (que) d’autres forces  régionales s’activent pour que la division se poursuive  ». Il a rappelé  qu’après les accords d’Oslo, «  300 000 Palestiniens étaient rentrés en  Palestine  ». Mais il a surtout tenu à souligner que «  les  négociations menées jusqu’à maintenant n’ont pas remis en question la  création d’un État palestinien, le droit au retour des réfugiés où la souveraineté sur Jérusalem-Est  ».
Crainte encore pour l’avenir de ces réfugiés quand on  sait que le déficit financier de l’UNRWA s’élève maintenant à plus de  70 millions d’euros et que l’organisation de l’ONU envisage dorénavant  de fermer un certain nombre de services pourtant indispensables à cette  population. Que l’on songe, par exemple, aux centres de soins et aux  dispensaires de l’UNRWA, sans lesquels les Palestiniens des camps ne  pourraient tout bonnement pas se soigner…
«  Le droit au retour ne peut pas être négociable  !  » a lancé Patrick Le Hyaric  devant ses interlocuteurs palestiniens. «  Le peuple palestinien doit  pouvoir vivre sur sa terre. Nous sommes des millions à être du côté du  peuple palestinien. La direction palestinienne peut compter sur un  mouvement dans le monde plus important qu’on ne le pense et ce mouvement  peut l’aider dans les négociations. Nous allons continuer à porter ce  combat dans les municipalités, aux Parlements français et européen  ».  Un message entendu par Suleiman Samany qui veut encore y croire, qui a  participé aux différentes rencontres et a tenu à montrer ses tableaux  aux délégués français. «  On ne veut pas rester au Liban pour  l’éternité. On veut rentrer chez nous.  Notre résistance n’est pas qu’armée, c’est aussi une résistance de la  pensée  », insiste-t-il malgré ses yeux encore humides et une main  tremblante lorsqu’il évoque son pays, la Palestine.
Camp de Baddawi (Liban Nord), envoyé spécial