Samar Al-Gamal
Que  faire pour dénucléariser le Proche-Orient ? Tel était l’objectif d’une  conférence internationale qui vient de se tenir au Caire avec la  participation de 50 pays et organisations. Un rendez-vous a été fixé en  2012, mais le principal obstacle reste l’Etat hébreu qui refuse tous les  traités.
C’était plutôt un  rassemblement technique. Des participants de 50 pays et organisations  sont venus au Caire discuter des « perspectives de non-prolifération  nucléaire et du désarmement ». Un agenda surchargé pour trois jours de  discussions. On discute de la sécurité nucléaire et du rôle régional  dans la question, on révise les résultats des conférences sur la  sécurité nucléaire des Etats-Unis face à la Corée du Nord, Mais c’est la  non-prolifération nucléaire au Proche-Orient qui trouve sa place même  en dehors de la deuxième journée consacrée à l’idée de créer « une zone  sans armes de destruction massive dans la région ». Une idée que plaide  l’Egypte depuis deux décennies et le chef de l’Etat ne cesse d’en faire  son cheval de bataille partout où il transite pour des rencontres  internationales, face à une surenchère rhétorique s’articulant autour de  l’Iran et son droit à l’énergie, et un Israël non signataire du moindre  traité sur le contrôle des ses activités nucléaires, d’ailleurs  militaires.
Organisé par l’Institut arabe des études sécuritaires,  basé à Amman en collaboration avec le Conseil égyptien des affaires  étrangères et les ministères des Affaires étrangères du Norvège, des  Pays-Bas et de la Grande-Bretagne, la conférence se veut un prélude à un  rendez-vous fixé pour 2012 sur la création de cette zone.
La conférence de suivi du Traité de non-prolifération  nucléaire qui a eu lieu cette année était parvenue à une déclaration  proposant la tenue, dans deux ans, d’une conférence pour débattre d’une  interdiction des armes de destruction massive dans tout le  Proche-Orient. Une déclaration adoptée par consensus par les signataires  du TNP, y compris les Etats-Unis, et qui pointe du doigt Israël. Gary  Samore, chargé du dossier des armes de destruction massive à la Maison  Blanche, avait pourtant déploré la décision. « J’ignore si cette  conférence aura lieu un jour », a-t-il lancé, et le président américain  s’est dit « fortement » en désaccord avec le fait de singulariser  Israël. Depuis 1995 d’ailleurs, la conférence TNP appelle à la création  d’une « zone dénucléarisée », mais les responsables ne cessent de  véhiculer l’hypothèse selon laquelle ceci ne pourrait se matérialiser  avant que la paix ne prévale d’abord dans la région. Une thèse d’autant  plus peu convaincante qu’Israël s’il ne reconnaît pas l’existence de ses  ogives nucléaires, il en fait la propagande et se livre tout le temps à  des menaces à l’égard d’un Iran diabolisé, accusé, lui, de vouloir  encore fabriquer la bombe. D’ailleurs, lors de la guerre d’Octobre 1973,  lorsque l’Etat hébreu s’est trouvé vaincu pour la première fois, il a  bien menacé d’utiliser les armes nucléaires. De quoi démontrer à quel  point ces armes atomiques sont un secret de polichinelle. Et si la  dénucléarisation est un problème international, c’est donc l’Etat hébreu  qui en est la cause bien plus que la Corée du Nord et l’Iran.
Lors de l’ouverture de la conférence du Caire, le  secrétaire général de l’Organisation de la conférence islamique Ihsan  Oglo a d’ailleurs relevé qu’Israël « menace ses voisins avec son arsenal  militaire nucléaire ». Dans son message, Oglo appelle ainsi l’Etat  hébreu à « mettre un terme à ses activités et à se conformer aux accords  internationaux ».
Les Arabes ne cachent pas, en effet, leur méfiance face à  un arsenal nucléaire israélien, estimé à 200-300 bombes, selon les  experts. Et aucune de ses installations nucléaires n’est placée sous les  auspices de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Sous l’ère  Sadate, en 1980, l’Egypte avait modifié une résolution, présentée par  l’Iraq un an auparavant, autour de « l’armement nucléaire israélien »,  qui devient ensuite « le danger de la prolifération nucléaire au  Moyen-Orient ». De quoi ne pas se laisser prendre au jeu israélien qui  dément l’existence d’armes nucléaires. Déjà en 1974 , en collaboration  avec Le Caire, l’Iran avait présenté une résolution à l’Assemblée  générale autour de « l’établissement d’une région dépourvue d’armes  nucléaires au Moyen-Orient », et depuis, l’Egypte présente le projet de  résolution annuellement à l’Assemblée générale de l’Onu.
Dans la foulée des accords de paix avec Israël, Le Caire  avait décidé de ratifier le Traité de non-prolifération des armes  nucléaires comme mesure de « confiance », espérant que Tel-Aviv fera de  même. C’est un « niet » israélien pourtant.
Mais si les Arabes sont arrivés à pousser pour la tenue  de la conférence de 2012, ni le lieu ni la date précis n’ont été fixés,  mais le secrétaire général de l’Onu ne devrait pas tarder à nommer un  coordinateur pour ces détails techniques et pour la préparation de  l’agenda. « Il devrait aussi gérer les invitations et œuvrer de façon à  ce qu’Israël aussi bien que l’Iran soient présents à ce rassemblement »,  estime l’ambassadeur Mohamad Chaker, président du Conseil égyptien et  hôte de la rencontre du Caire. L’objectif est de freiner la course à  l’atome et d’encourager en même temps les ambitions du nucléaire civil,  estime-t-il.
Le nucléaire civil a le vent en poupe dans la région, et  depuis plusieurs mois, les partenariats et les déclarations sur le  sujet se multiplient, témoignant d’un grand enthousiasme pour des  projets de centrales nucléaires d’électricité. On négocie des  conventions, on lance des appels d’offres sous « les bonnes grâces » des  Américains. Les Arabes préparent « l’après-pétrole », dit-on, et le TNP  « l’autorise » [1].
La demande croissante en électricité a ainsi poussé les  Arabes à songer ouvertement au nucléaire. Une croissance de consommation  estimée en moyenne à 8 %. Les Emirats arabes unis ont ainsi déjà  commencé à implanter une centrale nucléaire, la Jordanie devrait suivre.  Le Koweït et Bahreïn pensent à joindre le club (lire page 5). L’Egypte a  été la première à initier la course en décidant de relancer son  programme nucléaire après un gel de 20 ans. Les études sur le site de  Dabaa, sur la côte méditerranéenne, sont presque achevées pour y  implanter la première centrale nucléaire. Un appel d’offres pour la  construction devrait être lancé vers la fin de l’année. L’idée est de  plus en plus populaire, notamment face aux ambitions iraniennes. Le  président du Conseil égyptien Mohamad Chaker a ainsi proposé, lors de la  conférence, « une régionalisation du cycle du combustible nucléaire  iranien », un moyen d’« inspection », des pays de la région, des  installations des uns et des autres de manière à ce que l’Iran ne soit  pas le seul en mesure de gérer son combustible nucléaire.
Chaker espère par ailleurs la création d’un « cycle de  combustible nucléaire arabe », pour une coopération accrue et un partage  d’expérience en matière du nucléaire. Une démarche qui devrait  préparer, selon lui, le terrain à une démilitarisation de la région, son  exemption des armes de destruction massive. Un projet qui ressemble à  un autre américain mais répond aux craintes arabes.
Barack Obama défend, lui, un projet de banque mondiale  du combustible nucléaire, mais il s’est heurté à l’hostilité des pays en  développement à l’Agence internationale de l’énergie atomique, dont les  Arabes. Ces derniers craignant que cette « internationalisation » ne  les prive du droit à la maîtrise de la technologie nucléaire. Washington  cherche difficilement à pousser les pays de la région à signer des  protocoles bilatéraux, en dehors de l’AIEA, qui les privent d’enrichir  ou de retraiter le combustible nucléaire à usage pacifique sur leurs  territoires mais plutôt l’acheter sur le marché mondial. Les Américains  imposent cette signature comme condition préalable à toute coopération  nucléaire. Pour l’instant, seuls les Emirats arabes ont succombé aux  pressions américaines dans la région.
[1] voir aussi    Chaïmaa  Abdel-Hamid dans al-Ahram : Le nucléaire à la place de l’or noir
publié par al-Ahram hebdo en français
ajout de note : CL, Afps