Sonia Dayan-Herzbrun, Annick Coupé, Gustave Massiah, Jean-Marie Muller
Arme  non-violente, arme des sans-armes, utilisé jadis à l’encontre de  l’Afrique du Sud, le boycott semble aujourd’hui hui remettre en cause la  toute puissance de la consommation-reine, celle des marchandises ainsi  que celle d’un Etat (Israël) qui a toujours profité d’une totale  impunité.
Plus personne ne peut dire, à  l’heure actuelle, qu’Israël respecte le droit international ou les  droits humains. Pourtant, près de 80 plaintes ont été déposées contre  des militants et militantes français issus de la société civile, de  mouvements associatifs, de syndicats, et de partis politiques, pour  avoir appelé à boycotter les produits en provenance d’Israël.
Ces plaintes font suite à la circulaire de la ministre  Michèle Alliot-Marie qui a entretenu la confusion entre « produits  casher » et « produits israéliens », en appelant les tribunaux à la  vigilance contre des « actes de discrimination raciale » !
La criminalisation de la campagne  Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS) contre Israël ne nous surprend  pas. Elle montre simplement que le monde d’aujourd’hui marche à  l’envers :
* Criminel est l’acte d’appeler à boycotter des produits issus des colonies israéliennes.
* Normal et conventionnel est celui de consommer  passivement les produits de l’entreprise Agrexco, débarqués aujourd’hui à  Marseille et qu’on voudrait installer à Sète demain, et dont les fruits  et légumes viennent directement des colonies, en violation des  résolutions onusiennes condamnant l’occupation des territoires  palestiniens depuis 1967.
Aucune règle de traçabilité ne permet, en ce moment, de  distinguer les produits provenant directement d » Israël et ceux des  colonies. Est-il normal d’acheter des produits qui proviennent de terres  occupées en infraction à la loi internationale ?
Devons-nous, comme nous le demandent le Bureau national  de vigilance contre l » antisémitisme (BNVCA) et son président Sammy  Ghozlan − à l’origine de la majorité de ces plaintes contre le mouvement  BDS −, d’être des consommateurs aveugles, muets, sourds à la loi… et  heureux.
Quant à la volonté d’assimiler le boycott à un acte  « antisémite », et la tentative de manipuler la mémoire du génocide nazi  des juifs d’Europe, elle n’est pas seulement scandaleuse, mais absurde  lorsqu’on va jusqu’à porter plainte contre Stéphane Hessel, ancien  diplomate français, résistant, juif et rescapé du camp de Buchenwald,  pour son soutien public à la campagne de boycott économique, culturel et  universitaire des produits en provenance d » Israël et des institutions  israéliennes.
Ceux qui, en France, soutiennent inconditionnellement la  politique israélienne devraient regarder du côté d’Israël : du côté  d’Omer Shoshan, jeune soldat israélien de 19 ans récemment emprisonné  pour avoir refusé de servir dans une armée d’occupation ; ou de celui  des 150 Israéliens, intellectuels, artistes et hommes de théâtre, qui  ont appelé fin août au refus de se produire dans les colonies  israéliennes en Cisjordanie.
Le boycott, une longue histoire de révoltes légitimes
Le boycott n’a rien de nouveau, d’exceptionnel, ou de révoltant, il est au contraire une longue histoire de révoltes légitimes.
* Révoltés par l’apartheid en Afrique du Sud, les boycotteurs du monde entier dans les années 80 ;
* révoltés par la discrimination des Noirs aux Etats-Unis, les boycotteurs des bus de Montgomery en 1955 ;
* révoltés par la colonisation de la Grande-Bretagne, les boycotteurs indiens des produits britanniques des années 30 ;
* révoltés aussi, bien en amont, ceux qui, quelques  années avant la Guerre de sécession américaine, appelèrent à boycotter  les produits d’entreprises américaines pratiquant l’esclavagisme.
Face à l’attaque par l’armée israélienne en mai, dans  les eaux internationales, de la flottille humanitaire pour Gaza, et le  meurtre de neuf militants turcs qui s’y trouvaient ; face à  l’utilisation d’armes non-conventionnelles, comme les bombes au  phosphore ayant largement arrosé la Bande de Gaza il y a un an et demi ;  face aux bulldozers israéliens qui, à l’heure actuelle, continuent de  judaïser la partie palestinienne de Jérusalem pour y construire 1 500  nouvelles unités d’habitations destinées aux colons ; face aux  violations du droit international par Israël sous toutes ses formes… la  campagne internationale de BDS contre l’impunité d’Israël dont nous nous  réclamons, s’inscrit également dans cette longue histoire.
Lancée en juillet 2005 à l’appel de la société civile  palestinienne, la campagne de Boycott contre la politique israélienne  est aujourd’hui internationale. Elle est relayée par les syndicats  britanniques et irlandais, tout comme par les anticolonialistes  israéliens.
Aux Etats-Unis, l’université de Harvard a retiré tous  ses placements israéliens, pour une valeur de 40 millions de dollars, et  celle de Johannesburg, en Afrique du Sud, menace de couper tous ses  liens économiques et académiques avec l’université Ben Gourion.
Le gouvernement des Pays-Bas vient d » annuler une  tournée de maires israéliens, en raison de la présence de représentants  des colonies d’Efrat et de Kyriat Arba. Prix Nobel de la paix et figure  de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, l’archevêque Desmond  Tutu déclarait encore récemment :
« Nous avons vaincu l’apartheid sans violence parce que  la communauté internationale avait accepté de soutenir la campagne de  désinvestissement en Afrique du Sud. Une campagne similaire peut  apporter la paix au Moyen-Orient sans violence. »
Sammy Ghozlan et les tribunaux français l’attaqueraient-ils, lui-aussi, pour « incitation à la haine raciale » ? La singulière criminalisation du boycott en France
La criminalisation des boycotteurs en France est un cas  singulier, où certains pensent pouvoir briser un mouvement social, civil  et anticolonial par la seule force des tribunaux.
On sourira sans doute un jour de ces valeurs inversées  qui font de simples citoyens défendant les droits du peuple palestinien  par la seule force du boycott et de la non-violence, des criminels, et  d’Israël une victime offensée.
En attendant, restons sérieux et persévérants : nous  avons le droit de boycotter Israël quand il ne respecte pas le droit  international et refuse de prendre en compte les décisions adoptées par  les Nations unies.
Ce boycott est légitime et nous allons continuer à le  faire, à l’image d’une campagne internationale qui porte aujourd’hui ses  fruits. Car si la politique coloniale d’un Etat surarmé doit  aujourd’hui se cacher derrière les tribunaux français, c’est aussi que  cette politique s’affaiblit moralement, et qu’elle devra bientôt  s’incliner face au droit international.
Sonia Dayan-Herzbrun, professeure  de sociologie (université Paris-Diderot), vice-présidente de  l’Association des universitaires pour le respect du droit international  en Palestine (Aurdip) ; Annick Coupé, porte-parole de Solidaires ;  Gustave Massiah, membre fondateur du Centre d’études et d’initiatives de  solidarité internationale (Cedetim) ; Jean-Marie Muller, membre  fondateur du Mouvement pour une alternative non-violente (MAN).
publié par Rue89