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dimanche 31 octobre 2010

En octobre à Gaza

Gaza - 30-10-2010

Par Chris 
Faire un plan ? oui mais.. comment suivre la chronologie ?.. alors que rien que le temps, il a au moins trois dimensions, là-bas. Après, je ferai le plan.. plus tard. D’abord, je vais dire ce qui nous a le plus marqués. L’émotion, en arrivant. Dine a pleuré et moi je me suis retenu mais.. il le fallait tout ! C’est incroyable, l’effet que ça fait. Même si on avait été obligé de repartir tout de suite, on en avait déjà pour notre argent.
















Façon de parler, parce que ça aussi, l’argent, c’est un truc qui n’existe pas là-bas. Pas pour nous, en tout cas. Ça m’a rappelé le séjour dans la Muqata’a, en 2002. 33 nuits aux frais de la princesse. Ça a le pour et le contre. J’y reviendrai. N’empêche, c’est un sacré break dans cette vie où tu n’es rien sans ton larfeuil. Ce monde où tu peux pas passer demi heure sans dépenser une certaine somme. Ou alors tu restes enfermé chez toi. Oui, bien sûr, tu peux aller faire une balade dans la colline et pendant quelques heures tu es en dehors de la zone €. Tu vois comme ça fait du bien, quelques heures de break ?.. imagine quelques jours. Un autre monde.
La gentillesse, l’hospitalité, l’optimisme forcené, la résilience, « tout est possible, à Gaza », ils arrêtent pas de nous le dire, dès qu’on exprime le moindre souhait.
Il y a aussi ce qu’on espérait mais qui va encore mieux en le voyant : on est sorti de la zone de couverture de l’otan, des usa et autres leaders de l’empire nazioniste. On se demande pas si on peut fumer, si on a la ceinture, si y a pas un radar.. Pas de pub sur les murs, pas de femmes en dessous affriolants. Quelques images de Martyrs. Et puis, sur la porte de certains établissements, un panneau d’interdiction des armes. Dans un cercle rouge barré en diagonale, un pistolet noir sur fond blanc. Comme d’autres mettent le panneau interdit aux chiens. Mais à Gaza, y a pas besoin de panneaux pour les chiens.
Dr Mazen m’a dit que je pourrais écrire un livre sur tout ce que je vois, tout ce qu’ils nous racontent.
Ben oui mais.. faudrait encore que je m’en souvienne. Allez un effort de mémoire. Je vais déjà écrire les cinq trucs qui me viennent à l’esprit :
1. Tout le monde fait comme si de rien n’était. L’occupation, on sait que ça fait de nos vies un enfer, so what !? De même qu’on continue à jouer au foot quand ça bombarde, on organise des colloques sur la mécanique quantique, les énergies renouvelables et la bio-info.
2. Le matin, les gars de la sécurité attendent dans le hall de l’hôtel. Y en a un qui arrive avec un gros sac en plastique plein de calibres comme un marchand de figues ou de sardines. Ils sortent pour faire ça discret derrière l’entrée mais c’est que des vitres et je les vois bien faire leur distribution.
3. A l’université, nous sommes pris en charge par une nuée de jeunes filles de 19 ou 20 ans, enrobées dans des robes palestiniennes noires brodées de rouge et le keffieh blanc (photo ci-dessus). Tu crois rêver, les mille et une nuits du destin de l’humanité ! Elles sont belles à couper le souffle et je suis amoureux de toutes. Mais quand elles me demandent laquelle je préfère, je suis bien embêté.
4. Pourquoi vous n’avez pas d’enfants ? Ils nous ont demandé. Nous ici, il nous faut faire des enfants.. pour la guerre. Pendant les trois semaines de l’agression israélienne, nous avons eu une centaine de nouveaux-nés.. CHAQUE JOUR !
5. En repartant on a doublé une voiture toute neuve. Abou Slimane me dit, Ah oui !.. modèle 2010 !.. on en a fait entrer 50, par un tunnel !.. devant mon oeil ahuri, il insiste, oui, oui, 50 !.. ensuite, les Egyptiens s’en sont rendu compte et ils l’ont fermé (entendre ils l’ont miné), mais ça fait rien. 50 voitures, ça valait le coup.
Premier jour : c’est dimanche, le 10.10.10 ! l’Egypte, égale à elle-même. Le Caire supérieur ou égal. Toujours plus hallucinant (on y est depuis hier soir). Le voyage en taxi, sans histoire jusqu’au Canal de Suez. Ensuite, les check-points, l’attente, les absurdités de la flicaille soldatesque mâtinée « d’intelligence ». On perd du temps, mais on en gagne aussi. La dialectique de l’escorte !
La frontière, enfin ! Retrouvailles. Je garde mes lunettes de soleil. Y a deux ou trois moustaches antipathiques et j’aime autant éviter qu’ils me reconnaissent. Tant pis pour Abou Mohammed, mon copain de la buvette. Nouveautés aussi. Car cette fois, nous entrons et avançons dans le no man’s land. En fait, une série de contrôles, taxes et tracasseries.
Rafah Palestine. En descendant de la caisse, je me suis agenouillé et j’ai baisé le sol. Un peu d’herbe au pied d’un palmier. Ahlan oua Sahlan ! L’accueil, chaleureux, poignant. Les efforts pour pas pleurer. Dine a mouillé son hijab. L’escorte. En plaisantant, ils nous disent que c’est comme si c’était Jack Chirac ! on traverse à toute berzingue, Rafah, Khan Younes, Deir al Balah, Wadi Gaza et puis la ville !
L’hôtel, la sécurité, le resto. On a raté la cérémonie d’ouverture, mais ils nous ont tous attendus pour manger et c’est nous qui ouvrons le buffet.. grandiose ! Commence alors, sans que nous le comprenions bien encore, le plus grand marathon foto qu’on ait jamais connu. Et pourtant, on était au Japon en septembre ! Ce sont des centaines, peut-être des milliers, de fotos qui sont prises par plusieurs mitrailleurs. Je n’en parlerai plus, mais pendant tout le séjour, chaque micro événement est l’occasion d’une rafale plus ou moins soutenue.
On fait connaissance avec profs, chercheurs et étudiants.. les filles nous offrent des keffieh et tous toute leur affection. Puis, repos à l’hôtel. On est trop bien, avec vue sur la plage et le port. L’eau est salée, mais pas chaude. Le soir on est allé à un autre resto, où on a demandé des mezzes et y'a que nous qui avons mangé. Les autres se sont juste enfilé un gâteau, mais de taille.
Dès le midi, on nous a prévenu que ces resto nous donnaient pas une idée juste de la réalité. On s’en serait douté, mais on apprécie qu’ils sentent la nécessité de le préciser. Ils n’essaient pas de cacher que la vie est très dure pour la population. La plupart des gens sont pauvres et même très pauvres. Même les riches ne roulent pas sur l’or. Mais il n’y a pas de mendiants comme au Caire ou à Paris.
Lundi 11 : Le matin, de notre petite terrasse au 5° étage, on a une vue splendide sur la plage et les pêcheurs qui tirent les filets. Ceux là sont sur la plage et il y a des petits bâteaux à quelques encablures. Ils n’ont pas le droit d’aller bien loin. Sinon ils se font canarder par les patrouilleurs sionistes. Du coup, ils sont tout le temps sur l’eau. La nuit, on voit des dizaines de lampes qui oscillent comme des étoiles sur la voie lactée méditerranée.
Dine va faire sa présentation à 10 h. impec. Elle est de plus en plus à l’aise avec ses modélisations de réseaux. Mais heureusement parce que, faut voir comment c’est, une conférence sous siège (ça rentre ça sort, ça sonne …). D’autant plus fier d’elle. Ensuite on écoute un ou 2 autres conférenciers. La physique quantique c’est encore plus surréaliste ici et maintenant.
Je suis souvent dans une salle d’ordi avec Hala, Ekhlas, Alia, Nada, Noha, Omnia, Wafa et Amani, mais aussi Ameer, Feras, Mahmoud et Ahmad. Ce sont mes amis et c’est un plaisir d’apprendre un peu d’arabe avec eux. Hala me demande de lui enseigner le français.
Ma Dine se fait interviewer, moi aussi. On nous demande comment on trouve la conférence, la fac, Gaza. Nous insistons sur l’effet que ça nous fait de voir comment ils réussissent, malgré le danger et les destructions, malgré la violence de l’occupant, à supporter, reconstruire, faire tout pour l’éducation et même organiser de tels événements. Nous leur disons notre admiration.
J’aimerais pouvoir traduire cette impression étrange, ambiguë, où tout semble fait le plus sérieusement du monde, chacun faisant réellement de son mieux, et puis soudain, la chute, comme dans un film de Chaplin. Par exemple cette interview : je les ai vu faire, tendus vers la réussite de l’opération, mais tellement chaleureux que moi je ne sentais pas de stress. Donc, je pense que j’ai répondu à peu près ce qu’il fallait et que tout le monde était content. Pourtant, c’est un peu compliqué parce que Mahmoud prend le son et les image, son copain lit les questions en arabe, le Dr Slimane me les traduit en anglais, je réponds, Slimane traduit en arabe et on passe à la question suivante. Du coup ça prend un certain temps et j’ai senti que Mahmoud était soulagé quand ça a été dans la boîte.
Mais pour Dine, ça n’a pas été si simple. Ils ont mis du temps à les avoir, elle et une autre prof Amal. Celle-ci était d’accord pour traduire, ils les ont briefées un petit moment. Quand ils se sont mis à les filmer, Amal est partie en courant, en disant qu’il n’était pas question qu’elle apparaisse à la télé ou dieu sait où ! Ils ont fini par trouver un autre prof qui voulait bien traduire. Un grand et gros, avec la moustache et le front dégarni. Un des chefs de l’organizing comittee. Briefing, moteur, tout se passe bien. Jusqu’à ce qu’il se mette en colère parce que la question n° 4 était presque la même que la n° 3. Il a tout arrêté en disant mais enfin, vous me faites poser deux fois la même question ! C’était comique de voir ça de loin, surtout que de mon point de vue, j’avais, au premier plan, Mahmoud qui a failli manger sa caméra de détresse, s’arracher les cheveux de consternation. Il a poussé un hurlement totalement silencieux, les dents serrées, les yeux fermés.. parce que, en fin de compte, c’était un Doctor, à qui il devait le respect maximum. Il était pas question de laisser apparaître ne serait-ce que sa déception. Ne parlons pas de son désespoir.
Encore un repas du tonnerre.. super resto de poisson, Al Samak ! On s’est encore régalé mais les filles n’ont pas eu de place ! parce que des employés de la fac, n’ayant rien à voir avec la conférence, se sont incrustés. Le Dr Emad est furieux. Il est parti avec les filles, ainsi que le Dr Naji. Plus tard, il nous en a reparlé, disant qu’en France c’était pas possible ça, celui qui n’est pas invité ne peut pas entrer. Mais ici, c’est de lui dire de ne pas entrer qui est impossible ! Les premiers arrivés s’assoient et mangent. Suffit qu’ils soient assez gonflés pour venir sans avoir été invités.
Le soir, ils nous emmènent en procession sécurisée pour une visite nocturne du centre moderne.. le parlement bombardé, etc. Sur la place du combattant inconnu, y a personne sur le piédestal, sauf, une petite affiche qui se décolle, avec peut-être, il nous semble, le portrait d’Ahmad Sa’adat, le chef du FPLP, prisonnier des israéliens.
Depuis notre arrivée, je leur dis que j’aimerais changer un peu d’argent, mais ils n’ont pas l’air pressé. Finalement, ce soir-là, et parce qu’ils nous font visiter le centre-ville, on finit par passer devant un change encore ouvert, pas pour longtemps, c’est au moins 9h du soir. Du coup je change un très gros billet. Ils n’ont pas assez en chekels, je dis c’est pas grave, je vais changer moins, ils me disent pas question, tu veux changer 500, tu vas changer 500, tout est possible à Gaza ! bon, j’insiste pas, mais ils n’ont, en chekels que pour 300 €, je leur dis de me rendre 100 en livres égyptiennes et 100 en €, ils n’ont pas d’euro, mais je leur dis que le Dr Roland va leur en donner, qu’il veut changer aussi. Oui, je sais y a plus de chekel, mais figure-toi que Marie-Noelle, sa femme, veut des dinars jordaniens, plutôt. Ça tombe bien. Mais finalement ils changent moins de 100 € et c’est le Dr Slimane qui est obligé de filer 50€ au banquier pour que celui-ci puisse me rendre ma monnaie. C’est complètement surréaliste, comme tout le reste.
Mardi, c’est Roland qui parle, des techniques modernes appliquées au modèle d’Heisenberg de l’atome d’hélium. Les autres sont gratinés aussi, j’en écoute un ou deux et je m’éclipse pour passer du temps avec les jeunes dans la salle des ordinateurs. Ils m’enseignent l’arabe et moi le français.
On se fait brancher par le Dr Emad, à qui ses étudiantes ont dit qu’on devait être « de gauche » car elles ont vu Handala tatoué sur la cheville de Dine ! Discussions intéressantes sur les besoins, la corruption, les divisions et la solidarité qui prime, etc.
Ensuite on échappe pas à la cérémonie de clôture et on reçoit même une médaille la taille d’une assiette à dessert ! Dine, je comprends, mais moi !?.. je sais plus où me mettre, j’ai aucune raison de recevoir une médaille.
Le soir, ils nous emmènent dans un autre resto en bord de mer. C’est encore un endroit chic, mais tout est relatif. C’est quand même assez décontracté et tout le monde fume le narguilé. Dans la cour du resto (avec gazon !), des grandes piscines rondes où ils élèvent des poissons. Dans l’une d’elles, ils font 3 cm, de couleur jaune vif et ils sont des centaines, un plein banc. Dans une autre, ils sont très gros, dans les 2 Kg chacun, ils veulent nous les montrer et tentent de les attraper à l’épuisette. On leur dit que c’est pas grave, mais ils insistent et finissent par vidanger la piscine aux ¾ pour réussir à pêcher les mastards.
Ils ont raison de se lancer dans la pisciculture, parce que la côte va être de pus en pus polluée. Il y a déjà des coins, comme là où se jetait le Wadi Gaza, où ça empeste comme du concentré d’égout. Dr Mazen a évoqué le problème, tout en montrant le bon côté des choses : les eaux usées sont très nutritives pour le poisson.
Mercredi - Roland et Marie-Noelle s’en vont, nous restons deux jours de plus. Dine va donner des cours. Un aujourd’hui à la fac Al Azhar, l’autre demain à la fac Al Aksa. Aujourd’hui, Ahmadinejad arrive au Liban en dépit de toutes les manoeuvres sionistes pour empêcher cette visite. Israel a fait des pieds et des mains, mais plus personne n’en tient compte !
Le soir, ils viennent nous prendre à l’hôtel vers 8h, le Dr Mahmoud a apporté la soupe de lentilles qu’a fait sa maman. Il me l’avait promise hier. Il a tout amené, la soupière, les bols, les cuillères, les petits citrons jaunes la taille d’un cochonnet. Vraiment fameuse la soupe aux lentilles d’Oum Mahmoud !!! On se régale, là, dans le lobby de l’hôtel, avec quelques sécurités Azhar qui goûtent aussi la soupe et d’autres sécurité Hamas, un peu plus à l’écart. Ils nous emmènent manger dans un resto normal et puis le dessert dans une pâtisserie. On n’a plus faim depuis longtemps mais c’est vrai que le Nablussi est délicieux, à base de fromage fondu et caramélisé.. vraiment extra !
On va pas se coucher comme ça et ils nous embarquent pour une virée nocturne dans la vieille ville, la mosquée la plus ancienne du pays, Jamaa Ghazza al Kebir, ou grande mosquée Omari.. le marché des orfèvres, un hamam sous-terrain, véritable chapelle enterrée, magnifique, rempli d’histoire et de vapeur. On a visité aussi une construction médiévale restaurée impeccab’, qui était une école et est devenue un centre culturel au moment des accords d’Oslo. Le gardien dormait sur un matelas au milieu de l’allée centrale, dans le jardin, sous les projo. Il nous accueille gentiment. Un peu plus loin, Abou M nous montre le cimetière où tous ses ancêtres sont enterrés. Il n’a pas peur de mourir. Il défend sa terre, celle où reposent les siens depuis toujours.
En rentrant, on passe devant une fête, un mariage. Emad nous demande si on veut danser, si je veux aller féliciter le marié. Abou M a l’air d’accord, on sort de voiture, mais le gros barbu de la voiture derrière nous fait remonter fissa. Faut pas exagérer non plus.
Jeudi - A l’hôtel Palestine, ils ont un superbe écran plat dans la salle commune, et le matin, en déjeunant, on assiste au triomphe d’Ahmadinejad au Liban, devant des centaines de milliers de gens. Il parle en arabe ou en persan. Je ne comprends pas les mots, mais c’est de la musique. L’oraison funèbre du régime sioniste. J’en cause à quelques gars de la sécurité, mais y en a un qui me dit : Il parle de nous pour se faire mousser aux yeux du monde.
Ça, c’est la meilleure. Ces jeunes sont abreuvés de propagande Fatah ? ben oui, c’est Abbas qui paye tout. Avec l’argent des étazuniens et de l’Europe. Le même qui m’a dit ça, est admiratif de son chef qui, lui pourtant, résiste sérieusement, je ne peux pas en dire plus. D’ailleurs, ceux qui m’ont dit qu’ils le savaient, m’ont dit aussi que lui ne savait pas qu’ils le savaient. Oui, je sais, c’est un peu lourd comme phrase. Mais je suis obligé.. de vous donner de temps à autre un tout petit aperçu de la complexité. Y aurait de quoi faire une conférence internationale là-dessus.
Pendant que ma Dine va donner son cours à Al Aqsa, Emad m’emmène à Jabalia et à l’hôpital Al Awda, sympathisant FPLP. Je rencontre le frère d’Emad et le Dr Youssef. Ils me font tout visiter, faut que je leur dise pas la peine devant les blocs opératoires, où ils veulent me faire entrer pendant l’opération. Ils me font part aussi des difficultés financières, des running costs qui les obligent à laisser certaines ICU en stand-by. Oui mais j’ai rien sur moi, je leur ai dit que la prochaine fois, incha Allah. Ils font un boulot extraordinaire, avec les moyens du bord. Il y a énormément à dire sur les 5 centres qu’ils ont ouverts dans les zones les moins privilégiées. Pour tous les détails : http://www.gaza-health.com
Avec Emad, on passe ensuite dans les zones proches de la frontière nord, qui ont été les premières et les plus touchées lors de l’invasion. La zone tampon (buffer zone) s’est accrue au fil des années. Et puis, là où nous passons, c’était habité, c’était construit. Il n’y a plus rien. Que des terrains vagues, de terre et de gravats tassés. Un peu plus loin, un chantier de recyclage des gravats. Refaire des moellons avec le béton réduit en poussière. Emad me répète sans cesse, que toute cette zone était construite. Les gens ont mis une petite baraque de chantier sur leur terrain et toute la famille s’y entasse. Doit pas faire bon passer l’hiver là-dedans. Et l’été non plus, d’ailleurs !
Nous voici maintenant dans son quartier. Sa maison a été détruite mais il la reconstruit peu à peu. La rue a le même nom que lui, Abou lebien, ça veut dire, en gros. Sa famille aussi est là depuis des siècles. Ils lui ont arraché je sais pas combien de centaines d’oliviers. On en parle jamais parce que bien sûr, à côté des 1400 morts et des milliers d’estropiés à vie, ça n’a pas beaucoup d’importance un olivier. Oui, mais pour continuer à manger, c’est important. Un, cent, mille oliviers et tous les autres arbres fruitiers. Les cultures. Et les poulets, les vaches, les moutons. Les sionistes ont tué et détruit tout ce qu’ils ont pu. Car c’était un des objectifs de l’invasion, ruiner les ressources alimentaires de Gaza, « mettre les Palestiniens à la diète », voilà la formule qu’ils avaient trouvé, ces enfoirés !
Ils ont tué des familles entières. Comme ça, de sang froid, tandis qu’elles sortaient avec un drapeau blanc ou en bombardant les maisons où ils les avaient enfermées. Car il s’agissait aussi de terroriser la population. De leur montrer ce qu’il en coûte d’élire et de soutenir un gouvernement qui résiste.
Depuis, les sionistes ont un peu modifié leur tactique. Ils ont réalisé que les Palestiniens soutiendraient toujours ceux qui résistent. Alors ils font la trêve avec le Hamas, espérant que ça finira par le priver du soutien de son peuple. Ça les empêche pas de tuer quelqu’un de-ci de-là. C’est plus fort qu’eux. Mais dans l’ensemble, c’est assez calme, en ce moment. Le matin, au réveil, on entend bien une petite rafale ou deux, mais ça doit être de l’entraînement plutôt que des accrochages.
Finalement, Emad me ramène à Gaza-city, direct à l’université Al Aqsa, où on devait se retrouver avec Dine. A peine entré dans le bâtiment, une dame me souhaite la bienvenue en français et me dit, c’est par ici. J’entre dans une salle de cours, une vingtaine de jeunes filles dont la coiffe, cachant les cheveux, met en valeur le visage. Il y a quelques garçons aussi, mais très peu. La dame est leur prof de français, elle me présente et me laisse sa place. Me voilà en train d’improviser un cours avec des jeunes Gazaouis très doués pour la plupart. C’est bien agréable mais surtout facile, ce qui est nouveau pour moi, après toutes ces séances d’arabe.
Nous parlons un peu de mon accent, de Marseille, du Portugal. Et puis Dine arrive, en compagnie de Zyad, prof palestinien qui dirige le département de français. Long speech de présentation et de remerciements au dean de la fac, sans qui le département ne serait rien. On finit par reprendre un échange entre les étudiants et nous, ils nous posent des questions pertinentes et variées :
- Comment vous sentez-vous au Portugal ? (1)
- La question des retraites en France, il leur semble que les français coopèrent pas beaucoup avec le gouvernement, qui veut les faire travailler plus mais.. finalement, que deux ans de plus.
- Est-ce que vous voyagez toujours ensemble, ou parfois l’un sans l’autre ?
On a passé un excellent moment. On arrivait plus à partir. On leur a promis qu’on reviendrait.
J’aimerais vraiment donner des cours de français et apprendre l’arabe. Si Dine vient aussi, elle pourra donner des cours de math ou d’info, voire de bio-info. Who knows ce qu’ils sont capables d’organiser ?!
Il nous a resté que le temps de passer dire au revoir au président de l’université (Al Azhar) café, thé, biscuits, quelques bavardages, congratulations et plaisanteries. Ils nous offrent des grandes cartes de la Palestine ainsi qu’une pile d’écharpes de lauréats décorées comme des keffieh. Puis, avant de partir, la dernière photo. La dernière salve, je veux dire. Ils ont profité qu’on avait baissé la garde pour nous prendre avec le président et les profs sous le portrait de Mahmud Abbas et ça c’est la seule chose que je regrette de tout le voyage. J’ai pas eu le temps de réagir. C’est inimaginable comme ils réussissent à t’enrober de miel comme une araignée douce et affectueuse. La façon dont on a été traité, ça m’a rappelé ma petite enfance, tu sais ?.. quand tout le monde te dorlote. Mais du coup, tu dors sur tes deux oreilles alors qu’il faudrait avoir l’esprit vif comme l’éclair et dire : la foto avec lui, NON ! tout mais pas ça !
On a filé à l’hôtel prendre nos affaires et direction la frontière en convoi présidentiel, comme à l’aller. On a déjà la saudade. We miss them all, yet. En plus, le mini bus est plein comme un oeuf. Ils sont tous venus nous raccompagner, les profs, les étudiants et bien entendu, la sécurité.
Y a pas eu moyen de dépenser les chekels, alors je les ai donnés à Emad pour qu’il les fasse passer à une ou des familles pauvres, en lui expliquant que début 2009, quand les amis de Marseille ont su que j’allais à Gaza, ils ont fait une petite collecte et avec les miens ça représentait 500€. Le très haut m’est témoin que c’est ce que j’ai essayé, en vain, de changer en chekels, mais la banque les avaient pas. J’ai eu et donné 300. Le reste la prochaine fois.
On se quitte après une dernière séance foto dans le poste frontière. Beaucoup d’émotion et de dignité. J’ai donné à Abou M. une pièce de 3 pesos cubains avec le portrait du Che, mais découpée par Magdalena. Nous partons en leur disant que nous reviendrons. Incha Allah !
Annexe
L’occupation imbriquée :
L’Empire Nazioniste (EN) - le Gouvernement Hamas (GH) - la Fac Fatah (FF) - l’Etre Humain (EH) -> (EN-GH-FF-EH)
C’est un réseau de Pétri, en fait, avec des arcs et des flèches partout, par exemple EN facilite cette conf à FF pour faire chier GH. Mais GH laisse faire parce que c’est bon pour EH.
C’est pratiquement impossible à décrire, la situation. Il y a de quoi rendre chaque citoyen à la fois parano et schizophrène. Encore une raison d’admirer ces gens qui parviennent à survivre dans une atmosphère aussi dangereuse. Et plus que survivre, travailler et plaisanter, reconstruire et résister..
L’analyse de chacun, c’est que les dirigeants ont tort. Ce sont eux qui sèment la division, essaient de couler le camp adverse, etc. La propagande plus la dureté de la vie ont réussi à faire penser aux gens que les dirigeants se valent. J’ai essayé plusieurs fois de montrer qu’il n’y a pas de commune mesure.
Et à chaque fois on m’a dit : tu as raison !.. quand y a 5 corrompus ici à Gaza, y en a 95 à Ramallah.
N’empêche que, etc, etc. Bon, d’accord, je comprends qu’ils veulent améliorer leur gouvernement. Loin de moi l’idée de leur dire que non, c’est parfait comme ça. Mais quand même, je me méfie comme de la poste de cette tendance à renvoyer dos à dos. Qui a toujours été la tactique de ceux qui défendent quelque chose d’indéfendable (le sionisme, la collaboration, etc.).
Surtout qu’il y a tous les degrés dans l’opposition au gouvernement : de celui qui veut réellement lui signaler des abus, jusqu’à celui qui veut le détruire, peut-être pour remettre en selle le fatah qui, en Cisjordanie où il a le pouvoir (illégitime) n’est autre que le chien de garde israélien. Celui-là est en plus financé. Par le fatah qui est approvisionné par les israéliens !
Dans chaque famille il y a des gens du hamas et du fatah, et peut-être même d’autres factions (FPLP, Jihad, ..) ce qui rend la situation compliquée mais, d’un autre côté, c’est aussi pour ça que ça ne dégénère pas en guerre civile. Les gens ont vraiment senti le danger quand ça a charclé en juin 2007.
Et ils sentent à quel point l’unité est vitale. Ils le sentent politiquement comme charnellement.
Faut avoir à l’esprit que le fatah (là, je parle des dirigeants) n’arrête pas d’imaginer des trucs pour détruire le hamas, ou au moins le déconsidérer. Aidé en cela par la manne occidentale (pour pas dire directement par l’entité sioniste).
Mais ces dirigeants influencent la base de deux façons, 1) une certaine ligne politique historique, laïque, libérale, 2) en lui faisant miroiter une vie moins dure « si on était débarrassé du hamas ».
L’autorité de Ramallah, avec le pognon de la « communauté internationale », paye le salaire de tous les fonctionnaires (70.000 personnes !) à condition qu’ils restent chez eux. S’ils vont au boulot, alors le salaire ne leur est pas versé. Et le boulot il se fait pas ! Le Hamas a été obligé de remplacer tout ce monde dans les bureaux et autres services de l’administration.
Quand j’ai demandé s’ils avaient des nouvelles du convoi de Galloway (le 5°) qui devrait arriver ces jours-ci, Tarek a commencé par me dire qu’ils avaient des ambulance à revendre. Qu’avant il y en avait 80 pour tout le territoire. Maintenant il y en a presque 500 ! Puis il m’a dit : nous n’aimons pas Galloway ! Parce qu’il ne soutient pas TOUS les Palestiniens. Il ne soutient que le Hamas.
Alors je lui ai dit que pour un européen, le premier devoir est le soutien inconditionnel au gouvernement élu. Je comprends que votre rôle soit de critiquer votre gouvernement, mais nous, européens, ou étazuniens, tous les citoyens des puissances impérialistes, a fortiori les représentants, devons afficher un soutien sans faille à votre gouvernement.
En plus, ton argument me fait craindre que la majorité des Palestiniens ne m’aiment pas et m’accusent de ne soutenir que le fatah puisque je viens participer à un projet de la fac al azhar.
Mais nous sommes d’accord sur le principal : à Gaza, on est plus libre que partout ailleurs !
(1) Chris et Dine habitent au Portugal. (ndlr)

La banderole sur le mur de la faculté

Les matheuses de Gaza

Un cours d'Administration économique et sociale

La soupe de Oum Mahmoud

Visite des laboratoires

Le buffet où certains n'étaient pas invités

Clôture de la conférence
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