Maxime Perez  
En  attendant qu’un nouveau compromis sur la colonisation soit trouvé, la  situation sur le terrain est diversement appréciée par les différents  protagonistes. Reportage.
Le portail n’est pas très  solide, mais reste dissuasif. Derrière, un étroit chemin de terre  s’enfonce vers des hauteurs et bute sur d’imposants immeubles, flambant  neufs, qui se dressent comme des forteresses et offrent une vue  imprenable sur le désert de Judée. « Si le gel des constructions n’est  pas reconduit, tous les appartements seront vendus en quelques  semaines », assure Shmuel Fitoussi en désignant la colline, l’une des  sept que compte Efrat, où il est responsable municipal. Située à 18  kilomètres au sud de Jérusalem, cette localité est rattachée au Goush  Etzion, l’un des grands blocs d’implantations juives en territoire  palestinien. « Ces bâtiments, ce n’est qu’un début, poursuit Shmuel. Au  total, on prévoit d’en construire une vingtaine sur ce site, ce qui  représente 2 000 logements. »
Malgré l’expiration officielle du moratoire sur la  colonisation, les travaux à Efrat n’ont toujours pas repris à grande  échelle, comme d’ailleurs dans l’ensemble de la Cisjordanie [1].  « C’est un processus qui prend plus de temps qu’on ne le pensait »,  concède Oded Revivi, le maire de cette implantation de 9 000 habitants.  D’après l’ONG israélienne Shalom Arshav (« La paix maintenant »), 25 000  projets immobiliers ont pourtant été planifiés dans les colonies  juives, dont 13 000 disposent d’ores et déjà de toutes les autorisations  nécessaires pour être entamés. « L’avenir est encore trop incertain,  explique Beber Vanono, chef du comité de planification à Adam. Quand une  somme d’argent est investie dans la pierre, il faut avoir un maximum de  garanties, et, aujourd’hui, nous ne les avons pas. » Dans cette  localité voisine de Ramallah, où se trouve le siège de la présidence  palestinienne, les bulldozers sont encore loin de tourner à plein  régime. Une trentaine de lotissements doivent pourtant y être achevés  d’ici à la fin de l’année.
Mise en scène burlesque
Jusqu’ici, la main-d’œuvre palestinienne n’a refait que  timidement son apparition sur les chantiers des colonies. Chacun y va de  son analyse. « Je n’aime pas beaucoup ça, dit Khaled, un ouvrier  affecté dans l’implantation d’Elkana, qui jouxte la ligne verte. C’est  vrai que j’ai retrouvé du travail, mais il faut bien qu’il y ait la paix  un jour. » Walid, son collègue, éclate de rire  : « En fait, il nous  faudrait le gel et du boulot en même temps  ! » Sur la route menant à  Bethléem depuis le village voisin de Beit Sahour, dont il est  originaire, Awni Joubrane soupire à la vue des panneaux qui annoncent la  proximité d’implantations juives. « Rien que dans ce secteur, on en  compte cinq », dit-il en agitant son bras dans toutes les directions. Ce  jeune Palestinien, qui s’apprête à lancer une radio branchée pour les  jeunes de Cisjordanie, juge froidement la situation actuelle  : « En  quoi la fin du moratoire change notre réalité de toute façon  ? Moi, je  me réveille tous les matins et les colonies sont toujours là. Ce qui  compte, c’est l’avenir, pas le court terme. » Ibrahim, son ami et  associé, se veut plus explicite  : « Hors de question de vivre avec les  colons, ils se fichent de la paix et nous haïssent. » Dépité, il  poursuit  : « Les gens sont fatigués de tout ce manège politique. Ici,  on a vraiment d’autres soucis que ces négociations auxquelles personne  ne croit. »
Un statu quo aussi étrange qu’inattendu règne donc dans  les territoires palestiniens. Cette réalité contraste avec le discours  de fermeté tenu par le Yesha, le conseil représentatif des implantations  juives de Judée-Samarie (Cisjordanie). Depuis plusieurs semaines, ses  responsables martèlent qu’ils ne feront pas une seconde fois les frais  du processus de paix. Adeptes de l’épreuve de force, les colons semblent  vouloir déplacer la bataille sur un autre terrain  : la communication.  Le 26 septembre, pour célébrer la fin du gel, plusieurs milliers d’entre  eux se sont rassemblés dans la colonie de Revava, au sud de Naplouse.  « Pardon, pardon. Pendant dix mois l’État d’Israël vous a traités comme  des citoyens de seconde zone, a lancé le député Dany Danon en  s’adressant à la foule. Tenez bon, résistez, vous êtes les vrais  pionniers. »
Organisé grâce à l’appui logistique du Likoud,  l’événement avait des allures de grand meeting électoral à l’américaine  avec écran géant, lâcher de ballons et banderoles à profusion. Instant  surréaliste  : l’arrivée soudaine de centaines de chrétiens évangéliques  vêtus de tuniques blanches, agitant des drapeaux ou faisant sonner un  shofar les bras tendus vers le ciel. « Dieu se dressera contre les  nations qui s’opposent à Israël », s’écrie un pèlerin venu de Finlande.  Le même jour, plusieurs dizaines de colons se sont également réunis à  Kiryat Netafim, dans la moitié nord de la Cisjordanie. Devant un  parterre de photographes, deux hommes font symboliquement couler du  ciment dans le sol afin de jeter les fondations d’une crèche. Cette mise  en scène quasi burlesque, applaudie par les habitants de la colonie, se  voulait un avertissement adressé au Premier ministre Benyamin  Netanyahou. « S’il cède aux pressions américaines, nous ferons tomber sa  coalition en quelques semaines », a menacé Danny Dayan, président du  Yesha. Et de poursuivre  : « Ces derniers mois, nous avons acquis de  nombreux soutiens au gouvernement. Notre détermination à agir est encore  plus forte. »
L’offre d’Obama
D’après une enquête réalisée par le quotidien israélien  Yediot Aharonot, quinze des trente ministres de « Bibi », Avigdor  Lieberman en tête, se déclarent opposés à une prolongation du moratoire  sur la construction dans les colonies juives. Huit autres y seraient  favorables et sept se disent indécis. Même équilibre au sein du cabinet  de sécurité, une instance décisionnelle qui regroupe les portefeuilles  les plus importants du gouvernement israélien. Huit de ses quinze  membres sont hostiles à un nouveau gel. Ce conseil a d’ailleurs repoussé  l’examen d’une proposition du président Barack Obama aux termes de  laquelle l’État hébreu reconduirait pour deux mois le moratoire sur la  colonisation en échange de garanties américaines sans précédent sur les  plans politique et sécuritaire.
En attendant, d’intenses tractations se poursuivent pour  éviter un nouvel échec du processus de paix. Sous pression, Benyamin  Netanyahou semble contraint de lâcher du lest. Ainsi a-t-il accepté que  le projet de loi Lieberman, qui oblige chaque citoyen à reconnaître  Israël comme État juif, soit présenté au Conseil des ministres du 10  octobre. L’amendement a été adopté et un projet de loi est en  préparation. Les analystes estiment que le chef du gouvernement cherche  ainsi à s’attirer les bonnes grâces de l’aile droite de sa majorité afin  d’obtenir au moins sa neutralité si un nouveau gel était décrété.
Après plusieurs jours de silence, les Palestiniens ont  enfin réagi. Avec l’aval du Fatah et de l’OLP, le président Mahmoud  Abbas a confirmé que les négociations cesseraient si les constructions  israéliennes reprenaient. Sa position est soutenue par la Ligue arabe,  dont le comité de suivi du processus de paix s’est réuni le 8 octobre, à  Syrte, en Libye.
[1] ce n’est pas l’opinion de la plupart des observateurs ; comme nous l’avons déjà publié. Voir à nouveau : La colonisation a repris à un rythme soutenu en Cisjordanie