Jean-Claude LEFORT
Madame la Ministre : inculpez-moi puisque j’incite et je participe  à de telles actions (BDS) !
Paris, le 22 septembre 2010
Madame Alliot-Marie
Ministre de la Justice
13, Place Vendôme
75800 Paris
Madame la Ministre de la Justice, Garde des Sceaux,
Je m’adresse à vous à propos de la circulaire que vous  avez envoyée aux Parquets afin qu’ils se fondent sur l’article 24 de la  loi de 1881 réprimant l’« incitation à la haine raciale » pour  poursuivre les appels au boycott et aux sanctions contre la politique  israélienne.
Pour tenter de justifier cet incroyable détournement de  la loi, vous avez assimilé ces actions, dans un discours devant le CRIF  de Gironde, à un « boycott des produits casher ». C’est mon premier  point : apportez la moindre preuve du moindre appel que ce soit à un tel  boycott que se livrent ces pacifistes, vous qui en aviez d’ailleurs  démenti totalement l’existence à l’Assemblée nationale, dans une réponse  au député Eric Raoult qui vous interrogeait précisément sur ce point.
Les actions menées dans notre pays n’ont évidemment rien  à voir avec une quelconque discrimination raciale, elles en sont même à  l’opposé : elles traduisent la volonté de permettre aux citoyens d’agir  directement et efficacement pour mettre un terme à la politique  israélienne de colonisation des territoires palestiniens qui constitue –  comme l’a souvent dit le Président de la République, à l’instar de la  plupart de ses homologues étrangers et d’innombrables résolutions des  Nations unies ou déclarations de l’Union européenne – un « obstacle à la  paix au Proche-Orient ». Et pourtant celle-ci bénéficie d’une très  large et insupportable impunité des autorités françaises, européennes et  internationales.
J’insiste pour dire qu’en brandissant cette loi, c’est  vous qui prenez le risque d’importer délibérément et dangereusement en  France, sous forme de problème ethnique, voire religieux, le face à face  israélo-palestinien dont la nature est essentiellement et clairement  politique.
Du même coup, vous accréditez auprès des esprits les  plus confus l’existence d’une « race » juive et vous amalgamez non  seulement tous les Israéliens mais aussi la majorité de Juifs vivant  ailleurs dans le monde, y compris les Juifs français, à la politique  israélienne. Ce faisant, vous mettez en danger la cohésion nationale à  laquelle vous devriez être attachée.
Mais le pire, dans votre démarche, c’est son caractère hypocrite qui ne peut manquer de vous échapper.
Pourquoi, en effet, des hommes et des femmes de toutes  opinions et de toutes confessions – que personne ne peut suspecter de  racisme – boycottent-ils les produits des colonies israéliennes de  Cisjordanie ? Parce que votre gouvernement, et notamment vos collègues  Eric Woerth et François Baroin, dont nous avons officiellement et  vainement attiré l’attention sur cette grave question, acceptent  l’entrée frauduleuse, dans notre pays, de produits issus de ces colonies  israéliennes, toutes illégales aux yeux du droit international et de  tous les gouvernements français depuis 1967, et cela en contravention  totale avec l’Accord d’association UE/Israël ratifié par notre  Parlement. Cet accord devrait d’ailleurs être suspendu, comme nous le  demandons et comme le Parlement européen l’a exigé par vote en 2002, son  article 2 étant violé par les autorités israéliennes. Considérez-vous  que cet accord comporte aussi une clause "coupable d’« incitation à la  haine raciale » " ?
Je ne vous ferai pas l’injure de croire, Madame la Ministre,  que vous ignorez l’état de la politique et de la législation  européennes en la matière. Comme l’a rappelé la Cour européenne de  justice, en février dernier, dans son arrêt « Brita », l’Accord  d’association entre l’Union européenne et Israël, accorde au titre de  son article 83 des exemptions fiscales aux produits provenant du  territoire de l’Etat d’Israël stricto sensu mais les refuse formellement  s’agissant des produits issus des colonies de Cisjordanie, notamment de  Jérusalem-Est. De surcroît, le Code français du commerce réprime  sévèrement la fraude à l’origine que constitue l’étiquetage mensonger  « made in Israël » apposé sur les productions des dites colonies. Or  rien n’est fait contre cela et le droit est violé par cette inaction.
D’où mes deux questions :
1) Que comptez-vous faire pour poursuivre ces pratiques  délictueuses, que vos collègues ministres semblent tolérer, alors qu’ils  sont, jusqu’à nouvel ordre, chargés de faire respecter le droit ?
2) Si vous appelez les parquets à réprimer pour  « incitation à la haine raciale » des actions citoyennes s’opposant à  une politique israélienne alors qu’ils ne font rien de répréhensible et  qu’ils devraient être hors de toute accusation, pourquoi, par contre, ne  demandez-vous pas aux parquets de poursuivre, pour ce motif, mais cette  fois pertinemment, les responsables politiques français qui  stigmatisent, eux, explicitement une communauté. Je pense notamment au  ministre de l’Intérieur, déjà condamné pour injure raciste, et qui a  couvert de son autorité la directive en date du 5 août 2010, signée de  son chef de cabinet, que les juristes les plus compétents estiment  contraire à l’article 1 de notre Constitution ? Les Nations unies comme  l’Union européenne ont condamné l’expulsion par le gouvernement français  de citoyens désignés par leur appartenance ethnique et elles ont même  envisagé des sanctions contre notre pays.
Qu’attendez-vous pour poursuivre, avec la même loi, les  auteurs de ces discriminations raciales caractérisées, qui, de surcroît,  ont placé la France au ban des nations comme jamais elle ne l’a été  depuis les heures noires de la guerre coloniale en Algérie ?
Madame la Ministre,
Le « deux poids, deux mesures » est l’exact contraire de  la justice républicaine. Juger pour « incitation à la haine raciale »  des citoyens honnêtes qui luttent contre toute forme de racisme, et pour  le droit international, tout en épargnant des responsables qui non  seulement incitent à la discrimination raciale, mais la pratiquent sur  le terrain : est-ce là votre morale ? Je vous le dis franchement : en  vous prêtant au jeu malsain dont l’ambassadeur d’Israël à Paris a avoué  publiquement qu’il était l’inspirateur, vous flétrissez la République et  aussi, permettez-moi de l’ajouter, cette « certaine idée de la France »  que professait le général De Gaulle.
Madame la Ministre,
Sauf à déconsidérer un peu plus notre pays dans le  monde, sauf à vouloir attenter à la dignité de citoyennes et de citoyens  qui mènent des actions conformes au droit international et européen en  les couvrant d’infamie, je vous demande instamment de mettre un terme à  ces procédures iniques dont vous êtes à l’origine.
Si tel n’est pas le cas, je vous prie, Madame la Ministre,  de bien vouloir me poursuivre personnellement pour les actions de  boycott des produits des colonies israéliennes que développe  l’Association France Palestine Solidarité dont je suis le président.
J’attends ce moment avec impatience. Car je ferai alors  le procès de tous vos amis qui incitent véritablement à la haine raciale  pour mieux défendre la politique coloniale d’Israël que votre  gouvernement assure pourtant condamner.
Madame la Ministre : inculpez-moi puisque j’incite et je participe  à de telles actions !
Sinon il n’est qu’un autre choix pour vous : revenir sur  votre circulaire et indiquer aux parquets votre volonté de défendre le  droit – tout le droit mais rien que le droit. La politique et le droit  font, en effet, mauvais ménage.
Avec l’assurance de mes sentiments républicains et antiracistes,
Jean-Claude Lefort
Président de l’AFPS
Député honoraire.