Publié le 2-09-2010 
                   Toute la journée (et ce n’est  sans doute pas fini) nous aurons eu droit en boucle à cette info d’une  enseignante sanctionnée pour avoir forcé la dose sur la "Shoah" et les  voyages organisés dans les camps de concentration auprès de ses élèves.  La sanction vient de l’Education Nationale après enquête, mais cela  n’empêche pas la victime de clamer que c’est parce qu’elle est juive  qu’on s’en prend à elle (4 mois de suspension, tout en conservant son  salaire, si l’Education nationale, sous pression, ne revient pas sur sa  décision). Rappelons ici les réflexions d’Annette Wieviorka,  historienne, directrice de recherches au CNRS sur ce type de "voyages  organisés pour les jeunes".                      
Dans son livre  "Auschwitz, 60 ans après" (Robert Laffont, 2005), Annette Wieworka  s’interroge sur l’intérêt pédagogique des voyages scolaires d’une  journée qui se sont multipliés depuis les années 1980. Et dans une  interview au Monde*, elle condamne l’exploitation de la "mémoire" par  les médias et les politiques", demandant que "l’on cesse de substituer  la morale à la réflexion", les jeunes ayant besoin avant tout de  comprendre comment une telle  barbarie a été possible, pour qu’elle ne  se reproduise pas.
" Il faudrait se demander qui sont les  jeunes que l’on emmène ainsi. Je me souviens d’un élève de BTS revenu  ravi de sa journée parce qu’il avait pris son baptême de l’air. Dans la  vie d’un adolescent, est-ce plus important d’avoir pris l’avion pour la  première fois ou d’avoir été à Birkenau ? Les élèves se demandent aussi  pourquoi on déploie toute cette énergie. Il est étonnant que l’on n’ait  jamais fait une véritable enquête pour savoir ce qu’ils retirent de la  visite et, avec le recul, ce que le voyage a produit chez les adultes  qui l’ont fait voici dix ou quinze ans.
"Après vingt ans d’enseignement, je suis  certaine que le matériel - livres, films, etc. - dont disposent les  professeurs pour aborder cette partie de l’histoire est abondant et ne  rend pas obligatoire une visite sur place dans n’importe quelles  conditions. En 1988, j’ai participé au premier voyage du genre avec dix  élèves de mon lycée tirés au sort. Déjà, ce voyage m’avait gênée par sa  médiatisation. Depuis, les politiques se sont ajoutés. Les élus  régionaux qui financent les voyages accompagnent parfois les élèves. En  acceptant cela, on prend quasiment les élèves en otage du médiatique et  du politique.
Comme s’il suffisait d’avoir été à  Auschwitz pour être vacciné contre la haine, pour devenir lucide sur les  dangers du monde actuel. Si c’était vrai, cela se saurait. En réalité,  on charge la visite de quelque chose qu’elle ne peut pas apporter. On  attend un choc alors qu’il arrive à des élèves très sensibles de ne rien  ressentir. Ils se trouvent un peu honteux et répètent les slogans que  l’on attend d’eux : "J’ai compris où le racisme menait", "Plus jamais  ça"... D’un point de vue éducatif, c’est vain. Peut-être faudrait-il  réfléchir sur autre chose.
On ne peut demander aux élèves de  s’identifier ni aux victimes, ni a fortiori aux auteurs de ces  assassinats de masse. Il faudrait davantage insister sur les faits qui  peuvent avoir des échos dans le présent pour les jeunes : sur le  fichage, l’indifférence et la lâcheté devant la persécution, la coupure  du lien social, les gens qui conduisent les trains... tout ce qui s’est  passé en amont des chambres à gaz et qui leur a permis de fonctionner.
Cessons de faire des leçons de morale  ahurissantes qui nous posent, nous adultes de 2005, comme les porteurs  d’une vertu que n’avaient pas nos aïeux ! Nous nous donnons bonne  conscience, alors que nous devrions nous inquiéter du monde que nous  avons fait et dans lequel beaucoup de jeunes vivent dans des conditions  déplorables. Que signifient nos leçons sur la République, l’intégration,  l’antiracisme alors qu’ils subissent l’exclusion, les discriminations  liées à leurs origines et ont tant de mal à imaginer leur place dans la  société ?
*(Propos recueillis par Philippe Bernard le 25.01.05)
 A voir également l’excellent documentaire sur les voyages organisés en Pologne par l’ADL (Anti Defamation League)  
CAPJPO-EuroPalestine