publié le              mercredi 1er septembre 2010            
Karim Lebhour
Karim Lebhour
Sur les collines de Naplouse, la colonie israélienne de Yitzhar se développe au détriment du village palestinien de Burin
Son vin est sa fierté.  Virevoltant dans la cave de son vignoble, Ariel Benchetrit remplit  généreusement le verre des visiteurs. Ce juif religieux coiffé d’une  kippa, le visage encadré de grandes mèches bouclées et d’une barbe  cultive ses sept hectares de vignes selon les préceptes de la Torah. Le  vin est strictement casher et Ariel respecte la shmita, l’année de  jachère tous les sept ans. « C’est pour cela que la vigne donne de beaux  fruits, assure-t-il. Cette terre est un don de Dieu au peuple juif.  Nous l’avons reçu pour accomplir la Torah. »
Le domaine de Hararei Kedem (« les anciennes collines »,  en hébreu) appartient à la colonie de Yitzhar, un bastion de colons  nationalistes religieux d’environ 200 familles. L’implantation domine le  paysage vallonné de la région de Naplouse. En contrebas s’étend le  village palestinien de Burin, 3 500 habitants. N’est-ce pas sur les  terres de Burin que Yitzhar se développe depuis sa fondation en 1984 ?  Le vigneron balaie l’observation d’un ton agacé : « Il n’y avait rien  ici, seulement des ronces. »
« L’armée nous empêche d’approcher nos terres »
Quand on lui rapporte ces propos, dans son bureau où  trône un portrait de Yasser Arafat, Ali Aïd, le maire de Burin, manque  de s’étrangler. L’édile bondit pour montrer une carte des environs  punaisée au mur. « Leurs vignes poussent sur nos terres,  s’étrangle-t-il. Le village a déjà perdu 6 000 pieds d’oliviers arrachés  ou brûlés par ces colons. » Lui-même possède un champ d’oliviers,  là-haut sur les pentes, tout près des vignes d’Ariel, mais il ne peut  pas en approcher. « L’armée nous empêche d’y accéder et si l’on parvient  à passer, ce sont les gardes privés de la colonie qui nous tirent  dessus. »
Pour les fermiers palestiniens, faire valoir un droit de  propriété relève du casse-tête. Israël applique une ancienne loi  ottomane selon laquelle les terres « abandonnées » tombent dans  l’escarcelle de l’État. « Si la terre n’est pas cultivée pendant trois  ans, les Israéliens la confisquent et la donnent aux colons ! », peste  Ali Aïd. L’organisation israélienne « La paix maintenant » estime que  plus de 50 % des terrains occupés par des colonies juives ont été  déclarés « terres d’État » par des moyens contestables.
Pour le vigneron de Yitzhar, les plaintes de ses voisins  palestiniens sont infondées. Son titre de propriété, c’est la Torah.  « Je peux comprendre leur attachement à cette terre, mais elle  appartient au peuple juif. Nous étions en exil et maintenant les  propriétaires sont rentrés. Les locataires doivent partir », tranche  Ariel Benchetrit. Le revolver qu’il porte à la ceinture forme un pli  discret sous sa chemise.
Adopter la stratégie du « prix à payer »
Entre les deux localités, la haine est épaisse. Le 27  juillet, des jeunes de Yitzhar sont descendus en expédition punitive  dans le village de Burin. On a relevé deux blessés et des champs ont été  incendiés. Les colons entendaient protester contre la démolition par  l’armée israélienne de deux structures dans un avant-poste. Ils  appliquaient la stratégie dite du « prix à payer », qui consiste à  attaquer des cibles palestiniennes chaque fois que les autorités  israéliennes prennent des mesures contre eux.
Le bureau de coordination des affaires humanitaires des  Nations unies (Ocha) a recensé 172 incidents, récoltes incendiées, jets  de pierre, arbres coupés, impliquant les colons de Cisjordanie depuis le  début de l’année. « Nous sommes entourés d’ennemis. On ne fait que se  défendre », répond Yehuda Livman, l’instituteur de Yitzhar.
L’homme voue la même détestation aux Palestiniens et aux  autorités israéliennes, qu’il accuse de « menacer la présence juive sur  cette terre ». Il désigne fièrement la dizaine de pavillons qui sont en  train de sortir de terre, en violation flagrante du gel des  constructions décidé par le gouvernement israélien. « Nous n’avons pas  besoin de l’autorisation de Benyamin Netanyahou pour construire. Nous  avons une autorisation de Dieu ! martèle-t-il.
De toute façon, presque toutes les maisons ici sont  construites sans autorisation. Ça ne nous empêche pas de nous  développer. Revenez dans vingt ans, vous verrez, nous serons dix fois  plus nombreux. »