Nora Barrows-Friedman 
          « En temps de guerre, il n’y a pas de civils », c’est ce qu’a  déclaré le plus simplement du monde « Yossi », un militaire israélien  responsable d’une unité d’entraînement, interrogé au jour deux du procès  de la mort de Rachel Corrie, qui se déroulait à la Cour de Justice de  Haïfa au début de la semaine.         
Le  supplice de Rachel Corrie a symbolisé dans la psyché de millions de  gens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza l’impitoyable politique  israélienne de démolition de maisons palestiniennes.(Getty images)
« Un manuel, ça sert à la guerre, c’est pour ça qu’il a été écrit, » a-t-il ajouté.
Les militants des droits de l’homme, les amis et la  famille de Rachel Corrie présents dans la salle de palais de justice ont  été saisis d’effroi par la formulation brutale de ce soutien sans  faille à la politique de discrimination d’Israël envers les civils -  Palestiniens ou étrangers.
Cependant, replacée en situation, cette politique n’est  pas une nouveauté. La feuille de route de l’armée israélienne en matière  d’indifférence concernant les exécutions de Palestiniens, du massacre  de Deir Yassine à Jérusalem en 48 aux bombardements de Gaza de 2008-2009  qui ont tué plus de 1400 hommes, femmes et enfants, montre que non  seulement il s’agit là d’un cadre opérationnel bien ancré mais que  jusqu’à maintenant cette orientation n’a été que rarement remise en  question.
Rachel Corrie, la jeune militante pour la paix  américaine d’Olympia à Washington, a été écrasée par le bulldozer  Caterpillar D9-R, alors qu’elle essayait, ainsi que d’autres membres du  mouvement non violent de solidarité internationale, d’empêcher la  démolition imminente d’une maison palestinienne le 16 mars 2003 à Rafah  dans la bande de Gaza. Depuis, Corrie, dont la famille continue à lutter  en son nom pour la justice, constitue un symbole de solidarité.
Ses parents, Cindy et Craig Corrie, poursuivent en  justice l’Etat d’Israël pour l’homicide hors la loi de Rachel - selon  eux intentionnel - et cette série de témoignages demandés par les  avocats de la défense de l’Etat fait suite aux dépositions des Corries  de mars dernier. Les chefs d’accusation avancés par les Corries contre  l’Etat sont d’une part, l’imprudence, d’autre part l’absence des mesures  appropriées attendues dans un tel cas pour protéger la vie humaine. Un  comportement qui viole à la fois le droit israélien et le droit  international.
Les témoins ont maintenu que le chauffeur du bulldozer  ne pouvait pas voir Corrie de sa cabine. Les avocats de l’Etat ont  appelé trois témoins à la barre dimanche et lundi afin qu’ils prouvent  que l’homicide n’était pas intentionnel et qu’il a eu lieu en un endroit  décrété par l’Etat de « zone militaire interdite ». Leur argumentation  s’appuyant sur la nomenclature « d’acte de guerre », avait pour but de  décharger les soldats de toute culpabilité en vertu du droit israélien.
Le procès de Rachel Corrie focalise l’attention sur un  seul évènement, un moment, un décès, le chagrin d’une famille. Mais il  est important de rappeler le contexte dans lequel l’armée israélienne  opérait ce jour de mars 2003, afin de bien comprendre l’importance du  procès et ses répercutions médiatiques sept ans et demi plus tard.  Yossi, l’instructeur militaire en chef, a décrit la zone où Corrie a été  tuée comme « zone de guerre ». La défense nommée par l’Etat avance le  même argument.
Mais avant toute chose, que se passait-il donc de si  important à Rafah pour que Rachel Corrie s’interpose devant  un  bulldozer armé de 4 mètres de haut ?
D’après les statistiques  de Human Rights Watch,  Israël a étendu sa prétendue « zone tampon » à la frontière sud de Gaza  après l’éclatement de la deuxième Intifada palestinienne fin 2000.  « Vers la fin de 2002 » rapporte  HRW, « après avoir démoli plusieurs  centaines de maisons à Rafah, les forces militaires israéliennes ont  commencé à construire une barrière de métal de huit mètres de haut le  long de la frontière ».
La zone ainsi désignée par Israël comme zone tampon,  inclut maintenant presque 35% de terre agricole, d’après une étude  d’août 2010 publiée par le Bureau de Coordination des Affaires  Humanitaires des Nations Unies (OCHA). D’après OCHA, cette politique  affecte 113000 Palestiniens à l’intérieur de la bande de Gaza depuis ces  dix dernières années, les fermes, maisons et villages étant  intentionnellement rayés de la carte.
L’action non violente de Rachel Corrie - qui s’est  interposée devant un bulldozer pour dénoncer cette politique de  démolition, lui aura coûté la vie.
La maison pour laquelle Rachel Corrie est morte en  essayant de la sauver, a été détruite ainsi que des centaines d’autres.  La bande de Gaza est toujours un ghetto dont on ne peut sortir. Et  d’innombrables familles palestiniennes n’ont vu aucune mesure de justice  prise concernant la mort de leurs proches.
En 2005, un mandat d’arrêt a été émis contre le major  général Doron Almog - supérieur responsable de la région Sud d’Israël -  par une Cour de Justice britannique à propos de la démolition de 59  maisons à Rafah  sous son commandement.
Il a été averti avant d’embarquer sur un vol pour le  Royaume Uni, qu’il risquait d’être arrêté à son arrivée, aussi a-t-il  annulé son voyage.
En ce qui concerne l’affaire Rachel Corrie, d’après les  documents de l’armée israélienne obtenus par le quotidien israélien  Haaretz, le Major Almog aurait donné l’ordre à l’équipe de détectives de  l’Etat de mettre un terme à leurs recherches.
Un fait qui démontre que l’impunité des soldats  israéliens et des hommes politiques peut - et sera - remise en cause  en  Cour de Justice. Et quand le procès reprendra le mois prochain, les  Corries seront de nouveau au tribunal pour qu’enfin justice soit rendue à  leur fille.
http://english.aljazeera.net/indept...Traduction de l’anglais : J.M