Dominique Vidal
          Pierre-Yves Salingue, au fil d’un long triptyque consacré à la  situation en Palestine, nous présente - l’Association France Palestine  Solidarité (AFPS) et moi - comme des « fantassins français » du Premier  ministre palestinien Salam Fayyad, tous nos efforts visant, selon lui, à  lui assurer le soutien le plus large dans notre pays.         
 À l’appui de cette affirmation fantaisiste, il cite brièvement deux  rapports que j’ai présentés - au nom du Bureau national de l’AFPS - au  Conseil national de celle-ci, fin septembre 2009, puis à la Conférence  nationale de ses groupes locaux, fin mai 2010.
Faire dire n’importe quoi à des phrases extraites de  leur contexte n’est certes pas un procédé vraiment nouveau. Mais  l’auteur pousse ici l’exercice un peu trop loin pour prétendre à  l’honnêteté minimale qui rend un débat intéressant.
Comme le lecteur pourra le vérifier sur le site de  l’AFPS, les passages concernant Salam Fayyad comportent en effet, dans  le premier rapport, 1 289 signes sur 28 602, soit 4,5 % du texte, et le  second 589 signes sur 35 963, soit 1,6 % ( ). Le moins qu’on puisse dire  est que, quantitativement, l’appréciation portée sur Salam Fayyad n’est  donc pas centrale dans ma démarche et dans celle de l’AFPS.
Qualitativement, l’appréciation de Pierre-Yves Salingue  n’est pas moins absurde. Loin d’espérer un quelconque « miracle » sur le  terrain, toute la démarche de l’AFPS consiste à souligner que la  responsabilité essentielle dans la solution du problème palestinien  revient aux acteurs internationaux, au premier rang desquels les  États-Unis et l’Union européenne.
Nous entendons en particulier agir auprès de l’opinion  publique pour que notre gouvernement, aligné comme jamais sur le  gouvernement israélien, revienne à la défense du droit international et  exerce, avec ses homologues de l’Union européenne, des pressions  suffisamment fortes pour que Tel-Aviv s’y conforme. C’est tout le sens  de la campagne de Boycott/Désinvestissement/Sanctions (BDS), à laquelle  les groupes de l’AFPS apportent une contribution active.
Car nous partons du constat du blocage total sur le  terrain, du fait de la politique du gouvernement israélien, le plus  extrémiste que ce pays ait connu. La colonisation qui se poursuit malgré  un gel partiel et temporaire qui se termine fin septembre, le mur qui  continue à se construire sur les terres palestiniennes, les opérations  militaires incessantes à Gaza comme en Cisjordanie, la répression de  toute forme de protestation, même non armée, bloquent toute avancée.
Dans cette fuite en avant provocatrice, Israël exploite  évidemment la division profonde du mouvement national palestinien entre  le Fatah et le Hamas, l’un et l’autre en situation d’échec stratégique :  la ligne politico-diplomatique du premier n’a pas débouché sur l’État  promis, la lutte armée menée un temps par l’autre n’a pas non plus  libéré la Palestine.
Dans ce cadre, au passage, nous observons que des forces  palestiniennes tentent de sortir de cette impasse. C’est le cas des  différentes composantes de la gauche palestinienne, mais aussi et  surtout du mouvement de lutte non violente qui s’est développé à partir  de l’expérience de Bil’in. L’AFPS vient de lui consacrer un important  colloque, dont les actes paraîtront bientôt. Or, contrairement à la  tradition de l’Autorité palestinienne, réticente devant toute  mobilisation populaire, le gouvernement de Salam Fayyad apporte  désormais son appui à cette bataille.
Pourquoi ? Fayyad, comme chacun sait, a été parachuté du  Fonds monétaire international, dont il était un haut fonctionnaire, au  poste de Premier ministre palestinien. Il incarne la vision néolibérale  chère au FMI. C’est donc naturellement sur le terrain économique et  sécuritaire qu’il a choisi de construire les bases du futur État  palestinien sous occupation.
Il a ainsi obtenu à la fois, depuis trois ans, une  certaine croissance économique (grâce, il faut le préciser, à une aide  internationale massive), et une certaine amélioration de la sécurité  (avec une police formée par les instructeurs américains).
Ces deux « acquis » ne sont bien sûr pas indifférents à  la « clientèle » électorale de l’Autorité palestinienne, en premier lieu  dans les couches moyennes. C’est sans doute pour élargir sa base de  manœuvre que Fayyad, depuis quelque temps, affirme un peu plus son  autonomie à l’égard de l’occupant, construisant en zone C, organisant le  boycott des produits des colonies et affichant sa solidarité avec la  résistance non armée.
Écrire cela ne vaut évidemment ni approbation, ni  illusion : comme je l’ai écrit dans la préface à la dernière brochure de  formation de l’AFPS, intitulée « Solidarité critique » ( ), notre  solidarité va au peuple palestinien, pas aux différentes factions qui  prétendent le représenter.
Et nul ne dit - en tout cas pas nous - que, dans le  cadre étroit dessiné par la politique israélienne, cette ligne  débouchera sur une véritable percée. Visiblement, elle se veut  complémentaire de l’idée, fréquente dans les milieux diplomatiques,  d’une déclaration prochaine de l’État palestinien, lequel serait ensuite  admis au sein des Nations unies par l’Assemblée générale de celles-ci,  sur proposition du Conseil de sécurité.
 Fayyad, au fond, ferait en sorte, sur le terrain, de  donner une certaine réalité à l’entité que l’ONU adouberait. Avancée ou  chimère ? La question vaut d’être posée et débattue.
Au nom de quel dogme faudrait-il sacrifier toute  approche fine au discours ultra-radical (Dayton et Fayyad sont, écrit  Pierre-Yves Salingue, « le flic et le banquier au service de la paix  pour le capital ») ? Quiconque sort des canons du purisme trotskyste  doit-il être jeté en pâture à la vindicte populaire ?
Personnellement, ce terrorisme intellectuel ne me fait  ni chaud ni froid : le temps où les insultes, des « vipères lubriques »  aux « hyènes dactylographes », stérilisaient toute pensée est  heureusement dépassé. Et l’essentiel, en définitive, c’est le mouvement  de solidarité avec la Palestine.
Puisse Pierre-Yves Salingue y participer concrètement  avec autant d’ardeur qu’il en met à vouer aux gémonies quiconque ne  partage pas la moindre de ses idées. Quant à nous, nous poursuivrons sur  le seul chemin qui vaille à nos yeux : lutter pour l’union des forces  et des personnes résolues à faire appliquer le droit international, et  non à diviser ce rassemblement nécessaire.
Car l’issue est là : dans l’union la plus large sur une  base claire, et non dans l’excommunication à partir de considérants qui  sont loin d’être limpides....
Dominique Vidal, historien et journaliste.
(1) Voir respectivement www.france-palestine.org/art...