Michael Khaled
Il  existe une contradiction fondamentale entre les principes de démocratie  et le fait d’avoir un Etat construit pour satisfaire l’une de ses  ethnies.
Le racisme est une chose  normale dans un Etat qui s’identifie comme une démocratie ethnique. Les  responsables israéliens déclarent avec force qu’Israël est l’Etat  « démocratique juif ». Pourtant, il existe une contradiction  fondamentale entre les principes de démocratie et le fait d’avoir un  Etat construit pour satisfaire l’une de ses ethnies.
L’inclusion des minorités, le cosmopolitisme et la  protection universelle des droits fondamentaux sont le fondement de  toute démocratie, alors que les valeurs que les dirigeants israéliens  adoptent aujourd’hui sont aux antipodes.
Que l’issue finale du conflit sépare Palestiniens et  Israéliens en deux Etats ou qu’elle les réunisse comme citoyens d’un  Etat unique, il est clair qu’Israël, tel qu’il existe aujourd’hui, vit  avec une image de lui-même hypocrite.
Loin d’être une démocratie, l’Etat israélien ne peut  plus être exactement décrit comme une république ethnocentrique, ou une  ethno-république, c’est un Etat qui donne la préférence à une  représentation démocratique et à la primauté d’une race.
Dans des récentes déclarations, le vice-premier ministre  et ministre des Affaires étrangères israélien, Avigdor Lieberman,  demande de retirer la citoyenneté aux citoyens arabes d’Israël qui  refusent d’affirmer leur loyauté envers un Etat juif. Pour lui, le  statut du million trois cent mille Arabe palestiniens qui ont la  citoyenneté israélienne doit être la question prioritaire à traiter dans  la série actuelle des négociations de paix avec l’Autorité  palestinienne.
Selon lui toujours, la formule « un territoire pour la  paix », base depuis des décennies des négociations conduites par les  Etats-Unis, doit être changée. La paix ne suffit plus à ses yeux, et une  nouvelle équation basée sur un échange de « territoires et  populations » doit être utilisée. Apparemment, Israël abandonnerait des  territoires proches de la Cisjordanie, à forte population arabe, en  échange des plus grands blocs de colonie de Cisjordanie. Peu importe ce  que les citoyens israéliens qu’il se propose de virer veulent, des  citoyens dont il devrait pourtant se considérer comme le représentant  s’il croyait dans la démocratie. Des sondages montrent souvent que les  habitants arabes de villes comme Nazareth, Umm Al Faham et Tayibe, ne  souhaitent aucunement devenir des citoyens d’un Etat palestinien  nouvellement constitué, surtout s’ils sont forcés de quitter leurs  maisons. Pour eux, quand et si la question palestinienne est résolue  pour la Cisjordanie et la bande de Gaza, leur lutte pour l’égalité des  droits civils et politiques se poursuivra.
Ce système de séparation ethnique prévaut des deux côtés  de la Ligne verte, mais il est plus visible aux passages de contrôle  dans et hors de la Cisjordanie. Les check-points sont là plus que jamais  comme autant de (dis)fonctionnements qui nous donnent un exemple  parfait des pratiques discriminatoires du régime ethnocentrique. La  justification en est simple pour les Israéliens : c’est pour empêcher  qu’entrent des armes et des militants. Alors, jusqu’où est efficace le  système actuel de check-points, et l’œuvre maîtresse du système  israélien de séparation, la « clôture de sécurité » ?
Je l’ignorais jusqu’à ce qu’il me soit donné de voir, de  première main, des policiers des frontières trier les gens sur la base  de leur apparence et là j’ai réalisé tout l’arbitraire de cette  séparation forcée qui était imposée.
Il y a quelques mois, je voyageais avec deux  Palestiniens d’Israël ; l’un, un homme, avec la peau claire qui pouvait  aisément passer pour un juif européen, l’autre, une femme, très bronzée,  et moi-même, à la peau pâle, dans la vingtaine d’années. Rentrant d’une  réunion à Ramallah, nous roulions en remontant vers le check-point de  Halabish (Tel Za’tar), près de Tel Aviv.
Je m’attendais à devoir descendre de voiture, ouvrir mes  bagages et peut-être à voir des chiens renifler le coffre, ou au moins à  présenter ma carte d’identité, mais rien de tout cela. Nous n’avons  même pas eu besoin de nous arrêter ; les gardes nous ont juste regardé  tous les trois et nous ont fait signe de passer. En fait, je n’ai même  pas réalisé que nous venions de passer le check-point jusqu’à ce que je  remarque que Tel Aviv grandissait à l’horizon.
C’était incroyable, nous étions deux Palestiniens  israéliens et un Palestinien états-unien,  qui rentrions en Israël et le  garde n’a même pas contrôlé une seule carte d’identité. Certes, nous  n’avions rien à cacher, mais comme il serait simple pour quelqu’un comme  nous de faire passer des armes, des bombes, ou quoi que ce soit, et qui  que ce soit. Mes compagnons m’ont expliqué quels étaient tous les  critères que les gardes observaient pour juger du niveau d’une menace ;  en l’occurrence, une berline Citroën de fabrication française, avec  quelques Arabes, la plaque d’immatriculation jaune qui est remise aux  citoyens israéliens, la peau claire, et, le plus important, notre  passagère ne portait pas le hijab (foulard islamique) qui entraîne à lui  seul une invitation automatique à des inspections minutieuses aux  check-points.
L’absurdité du mur de séparation et de toutes les  tentatives visant à isoler les Palestiniens à l’intérieur de la  Cisjordanie crevait l’écran. Malgré l’existence des lois qui interdisent  à tout Israélien de se rendre dans  les zones sous contrôle palestinien  en Cisjordanie, des citoyens palestiniens d’Israël y entrent et en  sortent tout le temps, et sans problème.
Le véritable but de la pratique discriminatoire est de  tenir les Arabes palestiniens et les juifs israéliens séparés les uns  des autres. Si dans leur majorité, les Israéliens juifs n’ont jamais vu  ou ressenti les effets de leur statut de privilégiés, pourquoi  devraient-ils faire pression sur le gouvernement pour que ça change ?
Le racisme, quand il est institutionnalisé par la loi et  autorisé par la société, est une forme de « pouvoir en douceur »,  invisible, qu’on ne peut voir mais qui est universellement ressenti par  tous ceux qui le subissent. Pour ceux qui sont ciblés par le profilage  racial, il crée un sentiment de victimisation, d’impuissance et de  désespoir, pendant que ceux qui en bénéficient sont revalorisés, avec  plus de pouvoir et complètement aveugles à la souffrance que le racisme  provoque.
Les bénéficiaires de ce genre de système perdent tout  sens d’empathie humaine tout simplement parce qu’il est beaucoup plus  facile de fermer les yeux devant la discrimination. On l’a vu dans  l’Amérique du Sud d’avant les droits civils, dans l’Algérie française et  dans l’Afrique du Sud de l’apartheid.
Compte tenu de ces précédents, et de l’état de fracture  et d’instabilité que connaît la direction palestinienne, il semble  presque impossible qu’un règlement négocié puisse offrir la sécurité et  la paix aux Israéliens, tout en donnant aux Palestiniens, souveraineté  et justice.
Les négociations en cours ne seront même pas près de  traiter cette question fondamentale, sauf sous la forme d’une exigence  israélienne pour une reconnaissance d’Israël en tant qu’Etat juif, ce  qui ne ferait que réaffirmer le système ethnocentrique et de le cimenter  pour les générations à venir.