Doug Ireland  
La  mort la semaine dernière de l’historien britannique Tony Judt,  directeur de l’Institut Erich Maria Remarque à l’université de New York,  a réduit au silence la voix irremplaçable d’un renégat de  l’establishment intellectuel bien-pensant sur la question  israélo-palestinienne [1].
Tony Judt est décédé le 6  août. Renégat de l’establishment intellectuel bien-pensant sur la  question israélo-palestinienne, il avait reçu en 2008 le prix du livre  européen pour "Après-guerre : une histoire de l’Europe depuis 1945".
Né à Londres en 1948 d’un père belge issu d’une lignée  de rabbins lituaniens et d’une mère juive d’origine russe, bercé dans la  culture yiddish, Judt, après avoir reçu son diplôme de l’université de  Cambridge, est allé dans un kibboutz israélien et s’est porté volontaire  comme chauffeur-traducteur pour Tsahal pendant la Guerre de Six Jours.
Auteur de nombreux ouvrages sur la France et l’Europe  (dont 7 sont disponibles en français), son anticommunisme primaire et  ses critiques acerbes (et parfois à tort voire même sans fondement)  d’intellectuels européens de gauche -comme Foucault, Althusser, E.P.  Thompson ou Eric Hobsbawm- en ont fait une plume chouchoutée de  l’influent hebdomadaire centriste The New Republic sous la férule de son  proprio et rédac-chef Martin Peretz, supporter inconditionnel et  fielleux d’Israël.
Mais en 2003, dans un retentissant essai paru dans la  prestigieuse New York Review of Books, Judt a rompu définitivement avec  le sionisme en appelant à un État binational en Palestine, ce que lui a  valu d’être chassé des colonnes de The New Republic.
« Le problème avec Israël, » dixit Judt alors, « n’est  pas, comme c’est parfois suggéré, qu’il est une ’enclave’ européenne  dans le monde arabe, mais qu’il est arrivé trop tard. Il a importé un  projet séparatiste typiquement fin-de-19eme-siècle dans un monde qui est  passé à autre chose : un monde des droits de l’homme individuels, des  frontières ouvertes, et de droit international. L’idée même d’un ’État  juif’ — un État dans lequel les juifs et la religion juive ont des  privilèges exclusifs dont les non-juifs sont exclus à jamais— prend ses  racines dans un autre temps et un autre lieu. Israël est un  anachronisme. La conduite d’un soi-disant État juif affecte le regard  qu’on porte sur tous les juifs, et la triste vérité aujourd’hui est  qu’Israël est mauvais pour les juifs. »
Soudainement, Judt est devenu avec Noam Chomksy un des  intellos les plus haïs par l’establishment ; et la cible de polémiques  féroces.
Mais en dépit des accusations ridicules  d’« antisémitisme » et des menaces de mort, Judt n’a eu de cesse, dans  une série d’essais et d’articles, de marteler son rejet de sionisme. Il a  dénoncé le lobby pro-israélien et ses « manipulations éhontées » du  gouvernement américain, et l’utilisation de la Shoah à des fins  politiques (« la plupart des Israéliens sont coincés dans l’histoire de  leur singularité, mais Israël a changé et sa manière de parler de lui  est aujourd’hui absurde, car il est devenu un pouvoir colonial régional  et la quatrième puissance militaire du monde. »)
Judt a même disséqué la psyché juive : « C’est quoi être  un juif-américain ? Aujourd’hui c’est une identité dans l’espace et une  dans le temps. L’espace est Israël, et le temps c’est Auschwitz. Ceci  est quelque chose que je trouve obscène et en réalité dangereux et  abusif pour de multiples raisons. »
Judt est décédé le 6 août des suites d’une longue maladie. Il nous manquera.
Son chef d’œuvre, Après-guerre : une histoire de  l’Europe depuis 1945, qui a reçu le Prix du livre européen 2008, est  édité en français par Hachette.
[1] voir aussi le Monde diplomatique : Tony Judt, 1948-2010
publié par Bakchich info le 12 août
ajout de note : CL, Afps