Janan Abdu - The Electronic Intifada
          Ils vinrent chercher Amir. Tard dans la nuit, ce mois de mai,  en frappant à coups redoublés à notre porte, en terrifiant nos deux  filles adolescentes et en plongeant notre maison dans un désordre  indescriptible, écrit Janan Abdu.         
Janan  Abdu avec ses deux filles, à l’extérieur d’une audience à huis clos  après l’arrestation son mari Ameer Makhoul, le 12 mai 2010 - Photo :  Oren Ziv/ActiveStills
Il m’arrivait  souvent de dire à mon mari : « un jour,  c’est toi qu’ils viendront chercher ». Mon mari, Ameer Makhoul,  président du Comité Public pour la Protection des Libertés Politiques  initiait une campagne de sensibilisation contre le harcèlement continuel  que les services de sécurité  infligent à notre communauté, les  Palestiniens Citoyens d’Israël.
Ils vinrent chercher Amir. Tard dans la nuit, ce mois de  mai, en frappant à coups redoublés à notre porte, en terrifiant nos  deux filles adolescentes et en plongeant notre maison dans un désordre  indescriptible. Je fais maintenant partie de ces cohortes de femmes de  prisonniers palestiniens, des milliers dans les territoires occupés et  au sein d’Israël. L’audition d’Amir, le 13 juillet - de la persécution  et rien d’autre -  menace d’être le début d’un long cauchemar judiciaire  qui apportera l’horreur de la séparation pendant de longues années.
Tel est le cours qui se dessine immanquablement, à moins  qu’Amir ne bénéficie d’un procès équitable et que ses premières  déclarations, arrachées par la force, soient rejetées ou annulées par la  Cour.
« Les démocraties n’ont pas peur de leur propres  peuples ». C’est ce qu’a affirmé  la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton  dans son discours du 03 juillet en Pologne lors de la rencontre  célébrant le dixième anniversaire de la Communauté des Démocraties.  « Les démocraties reconnaissent aux citoyens la liberté de s’associer et  d’agir afin de promouvoir leurs causes ».  Mais le  chef suprême des  Services Généraux de la Sécurité d’Israël a  point de vue différent . Il  il y a trois ans, il déclarait que les efforts d’organisation des  citoyens palestiniens oeuvrant en vue de l’égalité constituaient « une  menace stratégique » même quand  ils sont faits dans le respect de la  loi.
Cette déclaration est contraire au principe même de la  démocratie. Nous ne sommes qu’une minorité de vingt pour cent, mais ce  fait ne saurait nous  priver du droit de nous organiser et d’agir par  tous les moyens légaux afin d’obtenir l’égalité et la jouissance pleine  et entière de nos droits civiques. Ce droit est intangible. Telle est la  conviction profonde de notre communauté. Le Comité Public que présidait  Amir a été fondé dans le cadre du Haut Comité de Suivi pour les  Citoyens Arabes d’Israël, l’organisation de coordination d’ensemble de  notre communauté  qui occupe une position vitale en tant que premier  défenseur de nos droits civiques.
Amir doit maintenant faire face aux accusations les plus  graves qui aient jamais été adressées à un Palestinien citoyen d’Israël  depuis la création de l’Etat en 1948. Il est accusé d’être un espion (  au service de Hizbollah, un groupe militant libanais)  et d’avoir des  contacts avec un agent étranger. Son procès durera probablement des  mois. Après son arrestation, Amir fut détenu sans communication avec  l’extérieur pendant 21 jours et torturé. Ce qui permit aux officiels  israéliens de lui arracher - en le privant de sommeil, en le ligotant  dans une position douloureuse à une petite chaise et en  lui interdisant  tout contact avec ses avocats - les « aveux » sur lesquels reposent  toutes les charges dressées contre lui.
Amir rejette toutes ces accusations. Dans sa première  lettre envoyée de la Prison de Gilboa, il écrit « je fus contraint de  leur expliquer comment, très précisément et dans le moindre détail, je  fis des choses qui n’eurent jamais lieu ». Il continue : « Et si  l’accusation a besoin de plus de ‘faits’ afin d’appuyer son dossier, il  lui suffira d’utiliser l’arme bien connue  de l’information classée  ’secret-défense’ à laquelle ni mon avocat ni moi-même ne peuvent, selon  la loi, avoir accès ».
Un thème central du discours de Clinton à Cracovie est  la société civile. Amir est un activiste de la société civile. Il dirige  Ittijah, la Fédération des Associations de Collectivités à Prédominance  Arabe, une coalition qui rassemble 84 organisations  non-gouvernementales. Clinton a critiqué plusieurs Etats qui pratiquent  l’intimidation et l’assassinat, en citant leurs noms mais en oubliant  celui Israël. Pourquoi le grand élan de l’Amérique en faveur des Droits  de l’Homme se fige-t-il quand il s’agit d’Israël ?
Tout au long de sa vie, Amir a lutté pour les droits des  Palestiniens, les Palestiniens citoyens d’Israël - que frappent plus de  35 lois écrites discriminatoires - comme les Palestiniens dans leur  ensemble. Il est doué de la capacité de rassembler les points de vue  autour des grandes causes par delà les clivages idéologiques et  sectaires. Ce sont ses capacités comme organisateur de la lutte, à  l’échelle locale, arabe ou internationale, capacités mises au service  d’une vison stratégique claire, que les services de sécurité israéliens  tentent de réduire au silence.
Il faut encore citer une cause notable de la fureur des  services de sécurité israéliens à son égard : la forte attraction qu’il  exerce sur la jeunesse en tant que dirigeant politique. Ces services ne  manquèrent pas de le lui dire quand ils s’emparèrent de lui pour  l’interroger durant le mouvement de protestation de notre communauté  contre l’attaque israélienne de Gaza de décembre 2008-janvier 2009.
Pendant cet interrogatoire, ils menacèrent de le  neutraliser à leur manière s’il s’entêtait à poursuivre son activité.  « Il nous est facile de faire de vous un ‘disparu’. Sachez que la  prochaine fois que nous mettrons la main sur vous, vous ne reverrez pas  votre famille pendant longtemps. »
Les rares fois où il nous fut permis de lui rendre  visite, une vitre épaisse nous séparait alors que des appareils  enregistraient notre rencontre. Amir me demanda une copie de mon dernier  livre afin qu’il puisse le lire pendant sa détention mais cela lui fut  catégoriquement refusé. Mes filles souffrent cruellement de l’absence de  leur père. Elles me disent souvent « si au moins on nous avait permis  de l’embrasser avant qu’ils l’emmènent ». Ne pas pouvoir l’embrasser,  c’est de cela que souffrent le plus mes filles.
Amir souffre toujours de la torture et des mauvais  traitements qu’il a subis. Leur but est de briser son esprit de  résistance. Seules 20 personnes seront admises à la salle d’audience du  tribunal alors que celle-ci peut en accueillir beaucoup plus. Quand il  constatera que la salle est presque vide, il pourra être entraîné à  croire que personne ne se soucie de lui. Pourtant rien n’est moins  éloigné de la vérité, car d’innombrables personnes- sa famille, des  activistes de base, des femmes et hommes politiques ainsi que des  sympathisants du monde entier- veulent assister à l’audience mais en  seront empêchées.
Aux côtés d’Amir, je me suis toujours sentie comme une  compagne dans la vie et dans la lutte plutôt que comme une « épouse ».  Mais à présent, alors que j’attends, parmi les autres épouses, le temps  de visite qui nous est imparti, je me surprend à méditer ce serment du  mariage traditionnel chrétien : « Ce que Dieu a uni, nul homme n’est  autorisé à le défaire ». Nul homme, à moins qu’il soit geôlier  israélien.
* Janan Abdou travaille  dans le secteur social et est militante féministe. Elle est chercheur au  sein de Mada El Carmel, le Centre Arabe pour la Recherche Sociale  Appliquée, sis à Haïfa.
13 juillet 2010 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à : 
http://electronicintifada.net/v2/ar...Traduction de l’anglais : Najib